Ce vendredi 10 octobre, à la sortie du tribunal administratif de Marseille, les avocats de la défense semblent confiants. Pendant plus de quatre heures, face à la préfecture des Bouches-du-Rhône, les représentants de la mosquée des Bleuets et de ses fidèles ont cherché à démontrer que la fermeture du lieu est “illégale”.
Une audience particulière
À 9h30 du matin, la salle est déjà remplie de fidèles venus soutenir leur mosquée. Devant le tribunal, une vingtaine d’entre eux n'ont pas pû rentrer faute de place. Face au président du tribunal, trois avocats venus défendre les intérêts de la mosquée des bleuets et quatre représentants de la préfecture, dont Georges-François Leclerc, le préfet.
Dans le dossier de la préfecture, la plupart des preuves avancées pour demander la fermeture de la mosquée, accusent son imam, Smaïl Bendjilali, déjà en procédure pour apologie du terrorisme pour des publications sur les réseaux sociaux. Pour faire avancer au mieux les discussions lors de l’audience, le juge a choisi une pratique surprenante. “On ne s’attendait pas à ce que le président analyse publication par publication pour, à chaque fois savoir ce que l’imam a dit, ce que la défense avait à en dire et enfin ce que lui reprochait la préfecture”, raconte Maître Rafik Chekkat, avocat de l’imam. Maître Quentin Grenaille, représentant l’association des Bleuets, confirme : “C’est la première fois que je vois un juge aller aussi loin dans le questionnement des éléments avancés”. À plusieurs reprises, le juge a pris la parole pour demander : “Quelle personne ou groupe de personnes est visé(e) par l’incitation à la haine ?”, élément primordial pour décider de la fermeture ou non de la mosquée.
Ce procédé leur a permis d’amener une réflexion que résume Rafik Chekkat lors de l’audience : “La fermeture temporaire d’un lieu de culte est possible s’il y a de l’incitation à la haine et à la violence, par actes ou paroles dans le lieu de culte, et non à l’extérieur, ce n’est pas ce que commande la législation”. Du côté de la préfecture, le constat est clair, les propos de l’imam Smaïl sur les réseaux sociaux ont un impact sur ses fidèles. “Quand on retweete, on sait ce qu’on fait. Quand on est un responsable religieux, on ne peut pas balancer des phrases si fortes de sens sans donner d’explications, des propos ambigus peuvent donner des interprétations ambiguës”, développe la sous-préfète au juge.
“C’est une mosquée hors du commun”
“C’est une procédure d’urgence”, explique Maître Sarah Cuzin, avocate des fidèles de la mosquée. L’arrêté de fermeture du lieu de culte est publié lundi 6 octobre. Seulement quelques jours plus tard, un recours est déposé, permettant un procès en moins de 48 heures et le maintien de la mosquée le temps de la procédure.
Les avocats ont tenu à faire ces démarches au plus vite afin de ne pas priver les fidèles de leur lieu de prière. Ce point a longuement été détaillé par Sarah Cuzin, qui a mis en avant lors de sa présentation, le nombre de fidèles se rendant régulièrement à la mosquée des Bleuets et l’incapacité pour ces derniers de changer leurs habitudes : “On n’a pas une mosquée comme les autres. C’est une mosquée hors du commun qui accueille environ 1000 fidèles pour le prêche du vendredi, qui est engagée dans des activités caritatives et culturelles et qui a été pensée pour être inclusive, notamment pour les PMR.”
Du côté des fidèles eux-mêmes, tous s’accordent à dire que leur imam n’est pas celui décrit par la préfecture. “Cette mosquée, c’est un lieu de paix. Depuis que l’imam officie ici, le quartier s’est apaisé. Avant, il y avait un point de deal juste ici, il n’existe plus parce que les jeunes sont venus prier”, nous confie un fidèle des Bleuets résidant dans le quartier.
Une procédure “politique” selon la défense
La plupart des preuves avancées lors de l’avis de fermeture de la mosquée sont issus de notes blanches, écrites par les renseignements français qui “surveillent la mosquée depuis des années”, selon les dires de l’imam Smaïl. Au total 222 pages retraçant les relations, les publications facebook et les dires de ce dernier ainsi que sur les fidèles de la mosquée et leurs activités annexes.
“Ce que mes avocats ont essayé de démontrer aujourd’hui, c’est que la fermeture relève de l’interprétation des autorités préfectorales de ces notes”, explique Smaïl Bendjilali. À plusieurs reprises, des incohérences sont soulevées par la défense sur les preuves avancées par la préfecture. Certains proches de l’imam s’indignent aussi en chuchotant : “C’est faux” ou encore : “Ils n’ont rien contre lui”.

Selon Rafik Chekkat, il s’agit ici d’un procès religieux et politique. “Une démocratie nécessite que les institutions restent à leur place. Ce n’est pas le rôle de la préfecture de dire si Monsieur Bendjilali a une bonne lecture de l’islam ou qui doit être l’imam de la mosquée des Bleuets. En appliquant cette même rigueur aux autres religions, on fermerait 99,99% des lieux de cultes en France.”
Cette victoire n’est pour le moment pas définitive, la préfecture peut toujours faire appel de cette décision, ce qui engagera un nouveau procès. En attendant, la mosquée des Bleuets reste ouverte, au plus grand bonheur de ses fidèles.
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