La guerre israélienne à Gaza depuis deux ans a plus d’une similitude avec les conquêtes coloniales dans plusieurs régions d’Afrique.
L'intensité de la violence de ce conflit qui a déjà tué au moins 67 139 Palestiniens en 730 jours, est telle qu’une Commission des Nations-Unies a établi qu'Israël commettait un génocide à Gaza. Comme l’Allemagne l’a fait en Namibie en 1901 avec au moins 85 000 morts, commettant le “premier génocide du vingtième siècle”.
Berlin a-t-il oublié son passé génocidaire en Afrique ? En Namibie, le président d’alors, Feu Hageingob l’a insinué, lorsqu’il a vertement dénoncé en janvier 2024, le soutien inconditionnel de l’Allemagne à Israël à la CIJ.
Dans un communiqué publié sur son compte X, la presidence namibienne soulignait que “l’Allemagne ne peut pas moralement exprimer son engagement envers la Convention des Nations Unies contre le génocide, y compris l’expiation du génocide en Namibie, tout en soutenant l’equivalent d’un holocauste et d’un génocide à Gaza”.
“L’Allemagne ne peut se comporter ainsi en ignorant la mort violente de 23 000 Palestiniens à Gaza (le 13 janvier 2024, ndlr)” et “le déplacement interne de 85 % des civils à Gaza dans un contexte de pénurie aiguë de nourriture et de services essentiels”, souligne le communiqué.
Les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata
Comme Gaza aujourd’hui, l'Algérie a aussi expérimenté les méfaits de la violence coloniale française, avec les massacres du 8 mai 1945. Ce jour-là, la France célébrait la victoire sur l’Allemagne nazie. Un jeune “osa” alors brandir un drapeau algérien. Un acte jugé “subversif” par les soldats coloniaux qui déclenchèrent une répression d’une rare violence aussi bien à Sétif, Guelma, que Kherrata. Bilan officiel : 10 000 à 30 000 Algériens massacrés, et 102 “Européens” tués. Ces massacres continuent de hanter la mémoire collective algérienne.
Commentant cet épisode sanglant de la colonisation française en Algérie dans The Conversation, le politiste Paul Max Morin de l'université de Stirling au Royaume-Uni explique: “Il y a dans la colonisation une habitude à la violence de masse pour d’abord conquérir le territoire, asseoir la domination et maintenir l’ordre”.
Guerre révolutionnaire au Cameroun
Les méthodes de l'armée israélienne vidant Gaza de ses habitants pour les concentrer dans une petite portion du territoire, rappellent la “guerre révolutionnaire” de la France au Cameroun entre 1945 et 1971. Paris, d'après un rapport conjoint des chercheurs français et camerounais, usait des “ratissages massifs, raffles préventives et déplacements des populations“.
Des centaines de milliers de personnes étaient déplacées de force et rassemblées dans des “camps de regroupement” afin d’isoler la population des combattants indépendantistes de l’Union des populations du Cameroun (UPC). Au moins 7 500 personnes furent tuées d'après un bilan officiel, contesté par des activistes camerounais.
“Les pratiques coloniales – déplacements forcés, massacres, destruction des moyens de subsistance – trouvent aujourd’hui un écho dans les territoires palestiniens, notamment à Gaza et en Cisjordanie”
Karim Ewaida, ambassadeur de la Palestine en Côte d’Ivoire
L’ambassadeur de la Palestine en Côte d’Ivoire établit un parallèle entre la situation à Gaza, en Cisjordanie et la colonisation en Afrique. Il y voit aussi l’expression d’une “logique raciste” de la prétendue “mission civilisatrice”.
Pour Karim Ewaida, l’objectif est” d’effacer l’identité de l’autochtone”, “dans les discours qui légitiment l’occupation israélienne, niant aux Palestiniens leur humanité et leurs aspirations”. “Les pratiques coloniales – déplacements forcés, massacres, destruction des moyens de subsistance – trouvent aujourd’hui un écho dans les territoires palestiniens, notamment à Gaza et en Cisjordanie”, souligne-t-il dans le média en ligne Afrique XXI.
La complaisance des grandes puissances
Au-delà de cette violence extrême aussi bien à Gaza qu’en Namibie, il y a la passivité et la complaisance de la communauté internationale. En Palestine comme en Afrique, elle assure l'impunité aux bourreaux, au nom de la préservation des intérêts géostratégiques.
Israël jouit d’une impunité de fait à Gaza, en raison du veto protecteur des Etats-Unis. Le 18 septembre dernier Washington a encore opposé son véto (le sixième depuis octobre 2023) à une résolution du Conseil de sécurité, en vue du cessez-le-feu à Gaza et de l'entrée de l’aide humanitaire.
Pour sa part, l’Union européenne ne parvient pas toujours à sanctionner Israël, en dépit de la violation des clauses de l’accord d’association qui lie les deux parties.
Pourtant, la Commission de l’UE a déjà préparé une gamme de suspensions allant de la celle de l'accord tout entier à la révision de la politique des visas en passant par l’interdiction des exportations en provenance des territoires palestiniens occupés.
Du reste, les acteurs de la société civile européenne n’ont cessé de dénoncer les exportations d’armes vers Israël. Un rapport de juin basé sur les données d’importation des douanes israéliennes démontre que la France a livré des composants militaires à Israël de façon continue et massive pendant toute la durée du génocide à Gaza. Il en est de même du Royaume-Uni, selon les révélations du Guardian.
La complaisance des grandes nations vis-à-vis d'Israël fait écho par exemple au silence de l’ONU, sur les abus de la domination Franco-britannique au Cameroun et au Togo. Anciennes colonies allemandes, ces deux pays ont été placés au régime international de tutelle et confiés à la France et au Royaume-Uni, avec l'approbation de l'Assemblée générale de l’ONU en 1946. Dans la réalité, ces deux puissances européennes ont transformé ces deux pays en colonies, contrairement à leur mandat. Sans que l’ONU ne change cette logique.
La monnaie, symbole du colonialisme
Au-delà de la politique, les logiques de domination coloniales impactent aussi le champ économique. Le système économique palestinien est adossé sur la mainmise israélienne. La Palestine ne dispose plus de monnaie nationale depuis 1948. Israël s’emploie à détruire tout embryon de système monétaire autonome par différentes entraves. Alors que l'autorité monétaire palestinienne tient lieu de Banque centrale, la monnaie utilisée est principalement le shekel israélien. Le dollar américain, tout comme le dinar jordanien y ont aussi cours. Israël collecte les taxes douanières et les reverse à l'Autorité palestinienne quand bon lui semble, maintenant ainsi l'économie sous perfusion.
Dans les anciennes colonies françaises d’Afrique, la France a aussi réussi à maintenir son emprise sur la monnaie, le Franc CFA et le Franc Djiboutien. 50% des devises de change de 15 pays africains sont encore conservées et gérées par le Trésor français, les empêchant d’articuler une véritable politique monétaire, dénoncent les souverainistes.
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