Le militant sud-africain anti apartheid assassiné Chris Hani (Others)

Le 10 avril 1993, dans un contexte de délicates négociations avec le “pouvoir blanc” en vue des premières élections démocratiques, le leader du parti communiste est tué par balles devant sa maison de l'est de Johannesburg, sous les yeux de sa fille âgée de quinze ans.

Quelques minutes plus tard, un immigré polonais lié à l'extrême droite blanche afrikaner, Janusz Walus, est arrêté. Dans sa voiture, la police découvre l'arme du crime et sur sa chemise, des traces de sang.

Cette mort violente exacerbe les tensions raciales, provoque de violentes émeutes. Nelson Mandela appelle au calme, le pouvoir blanc fait des concessions.

Trois décennies après ce tournant historique, le pays se débat avec des scandales de corruption, une pauvreté et un chômage vertigineux.

Chris Hani fait "presque figure d'antidote à ce que l'Afrique du Sud est devenue", affirme auprès de l'AFP le commentateur politique Justice Malala.

"Il représente, peut-être naïvement, dans l'esprit des Sud-Africains l'idée que les combattants de la liberté étaient des gens intègres, soucieux de servir", a indiqué Malala.

- Sophocle, Marx et Jésus -

Il était né en 1942 dans une famille pauvre de la région xhosa (sud-est). Fréquentant une école catholique, il pense devenir prêtre avant de changer de vocation, selon M. Malala.

Militant contre l'apartheid dès ses quinze ans, ce brillant élève étudie latin et lettres classiques à l'université où il se fait prosélyte auprès de ses camarades.

Il est l'un des premiers à rejoindre la branche armée de l'ANC, il y gagne rapidement la réputation de défier ses dirigeants. "Il soulevait toujours les problèmes des soldats ordinaires", rappelle auprès de l'AFP Solly Mapaila, l'actuel dirigeant du parti communiste (SACP).

Après avoir organisé et participé à des opérations de guérilla à l'étranger, il prend du galon puis rentre officiellement en Afrique du Sud en 1990 après la fin du bannissement des partis anti-apartheid.

Capable de parler de Sophocle avec des opposants politiques ou de religion avec l'archevêque Desmond Tutu, Chris Hani "s'est très vite imposé comme le porte-voix des frustrations des jeunes et des pauvres", explique Justice Malala. "C'est le dirigeant le plus populaire après Mandela".

Son assassin a été remis en liberté conditionnelle en décembre dernier, après de multiples refus. La décision, qualifiée de "diabolique" par sa veuve Limpho, réveille des souvenirs douloureux dans le pays.

- Vision radicale -

Son assassinat, à première vue limpide, alimente toutes sortes de théories du complot, allant des services secrets aux arcanes de l'ANC.

Le parti communiste a réclamé récemment une nouvelle enquête. "De nombreux facteurs n'ont pas correctement été examinés", avance Solly Mapaila. "Nous devons connaître la vérité".

Il estime, comme beaucoup d'observateurs de gauche, que Chris Hani incarnait une vision audacieuse de transformation radicale, y compris en redistribuant terres et ressources, qui ne s'est pas concrétisée sous l'ANC, parti au pouvoir depuis la fin de l'apartheid.

L'Afrique du Sud conserve "l'un des taux d'inégalité les plus élevés et les plus persistants au monde", selon la Banque mondiale.

Et la politique libérale du gouvernement "déshonore" la mémoire de Hani, juge M. Mapaila, alors que les Sud-Africains sont découragés par une économie stagnante, criminalité croissante, inflation et coupures d'électricité.

Nombreux regrettent cette époque où les dirigeants politiques semblaient désintéressés. Hani lui-même était "très méfiant à l'égard de ses propres camarades et de ce qu'ils pourraient faire lorsqu'ils arriveraient au pouvoir", souligne Justice Malala.

Une cérémonie est prévue lundi matin près de Boksburg, où se trouvent la tombe et un monument dédié à la mémoire de Chris Hani.

Agences