La pêche illégale a des conséquences néfastes sur les ressources halieutiques - Archives (Reuters)

Ces dernières années, la pêche du thon dans les eaux ivoiriennes est devenue un véritable business pour de nombreux thoniers fréquents dans la zone. Malheureusement, les chaluts géants et les navires épuisent les ressources halieutiques et déséquilibrent les écosystèmes marins. Une situation devenue dangereuse qui suscite inquiétudes et indignation.

Une activité rentable mais destructrice

Le thon est le premier produit halieutique d’exportation de la Côte d’Ivoire, 2e exportateur mondial après le Japon.

Il génère annuellement environ 460 milliards FCFA (environ 750 millions USD) de recettes. Le secteur emploie plus de 3000 personnes, selon les chiffres officiels.

Le thon débarqué au port d’Abidjan est pêché en grande partie par des navires européens et quelques navires ivoiriens. 36 thoniers battant pavillon portugais, espagnol et français sont autorisés à pêcher et à stationner dans les eaux ivoiriennes. En contrepartie, l’UE et les armateurs paient une redevance globale de 2,6 milliards FCFA (4,2 millions USD) sur 6 ans.

Quant à l’Industrie du thon, elle constitue un secteur vital de l’économie ivoirienne. Elle représente, à elle seule, près de 70 milliards de FCFA (114 millions USD) sur les recettes d’exportation vers l’Union européenne, soit environ 15% des recettes totales.

Les trois conserveries présentes en Côte d’Ivoire exportent plus de 25 000 tonnes de thons transformés, pour plus de 60 milliards FCFA (98 millions USD), faisant de la Côte d’Ivoire, le 4e fournisseur africain de l’Union européenne.

Parallèlement à ce secteur moderne et intégré, une filière locale s’est développée.

Cette filière apparemment informelle est connue sous le nom de secteur du « faux thon ». Il désigne une catégorie de poissons refusée par les conserveries mais commercialisée au port de pêche d'Abidjan. Cette catégorie est constituée de thons de trop petites tailles, abîmés ou mal conservés, les thonidés mineurs comme les auxides.

Conséquences néfastes sur l'océan

Derrière ce profit pour l’économie ivoirienne, cette activité a malheureusement des conséquences néfastes sur les ressources halieutiques de l'océan.

Le stock de thon en baisse a été déclaré en état critique d’exploitation par La Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique (ICCAT ou CICTA).

Sur le banc des accusés se trouvent les techniques controversées de la pêche industrielle prédominante, comme la pêche électrique, la pêche aux explosifs et les dispositifs de concentration de poissons (DCP). La pêche sous DCP est une technique qui consiste à utiliser la tendance qu’ont les thons à se regrouper sous les objets flottants (radeaux, troncs…).

Selon Greenpeace, les DCP, en facilitant la capture de trop nombreux poissons et de prises accessoires (espèces non ciblées), font peser un trop lourd poids sur les stocks de poisson.

« En capturant les poissons juvéniles, la pêche avec DCP empêche les espèces de se reproduire. C’est en particulier pour cette raison que les populations d’albacore des océans Indien et Atlantique sont aujourd'hui surexploitées et dans le rouge », souligne l’organisation.

Sur le banc des accusés se trouve aussi la pêche illégale des trois espèces de thons majeures capturées en abondance : I'albacore, le listao et le patudo.

Interrogé par l'Agence Anadolu, Brice Delagneau, président de l'ONG AMISTAD (Actions pour la Mobilisation des Initiatives et Stratégies d'Aide au Développement), soutient que deux éléments favorisent cette pêche illégale dans les eaux ivoiriennes : les législations qui ne sont pas assez rigides et le faible moyen de surveillance des côtes.

« Nos frontières marines sont assez poreuses et nos zones économiques exclusives sont envahies par des bateaux pirates du fait que les moyens de surveillance n’accompagnent pas les politiques de nos États. De plus, la législation Inter-États ou la législation sous-régionale, n’est pas assez répressive pour décourager les bateaux pirates », a-t-il expliqué.

Pis encore, explique le colonel Abé, directeur de l’Institut de sécurité maritime interrégional (ISMI) basé à Abidjan, le phénomène est de plus en plus répandu le long des 550 kilomètres du littoral ivoirien. Les chalutiers chinois mis en cause, font de la pêche à l’explosif ou avec des filets aux mailles si serrées qu’elles ne laissent pas s’échapper les jeunes poissons.

Conséquence, chaque année, plusieurs milliards FCFA sont perdus par la Côte d’Ivoire.

Selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), la pêche illégale non déclarée et non réglementée (INN) serait responsable de la prise annuelle de 11 à 26 millions de tonnes de poisson, privant ainsi l'économie mondiale de 10 à 23 milliards de dollars.

De même, selon un rapport du Comité des pêches pour le Centre-Ouest du golfe de Guinée (CPCO), une structure intergouvernementale régionale, « sur une réserve de plus d’un million de tonnes dans le golfe de Guinée, la pêche INN constitue 37 % des captures ». Un chiffre qui s’élèverait même à 60 %, selon l’ONG africaine Stop Illegal Fishing.

Approches et solutions

Afin de garantir une pêche responsable, propice à une amélioration qualitative et quantitative des productions issues de la pêche, la Côte d’Ivoire, ne lésine sur aucun moyen pour favoriser un cadre global de gestion harmonieuse et bénéfique de ses potentialités halieutiques.

Selon le ministre ivoirien des Ressources animales et halieutiques, Sidi Touré, le gouvernement, avec le concours de partenaires techniques et financiers tels l’Union européenne et la FAO, a pris des mesures énergiques et cohérentes pour lutter contre la pêche INN.

« Il s’agit entre autres de l’élaboration d’un plan national de lutte contre la pêche INN ; la ratification de l’Accord sur les mesures du ressort de l’état du port et enfin de la mise en place d’un Centre de surveillance des pêches (CSP) doté de technologies satellitaires de suivi des navires de pêches », a indiqué Sidi Touré, dans une déclaration.

Par ailleurs, a souligné le ministre, « l’administration des pêches collabore étroitement avec d’autres structures étatiques telles les autorités portuaires, l’administration maritime, la Marine nationale et l’ensemble des entités impliquées dans l’Action de l’État en mer.

Cette synergie d’actions est assurément le meilleur moyen pour contrecarrer la progression inquiétante de la pêche INN ».

Brice Delagneau, président de l'ONG AMISTAD, encourage le gouvernement ivoirien à doter les équipes dans l’Action de l’État en Mer, par de nouvelles technologies.

«La lutte contre la pêche illégale ne peut pas se faire militairement, il faut avoir de la très haute technologie. Il faut mettre beaucoup d’argent pour pouvoir lutter contre la pêche illégale. N’oublions pas que les gens profitent de la pêche illégale pour commettre d’autres crimes, notamment les questions de drogue.

Il faut que nos dirigeants outillent tous ces services et que la pêche illégale ne soit pas seulement une affaire liée à la question de la consommation. C’est en réalité un problème de sécurité nationale », a-t-il affirmé.

AA