Lorsque les bombes israéliennes ont commencé à tomber, Mohammad al-Najjar, son épouse et leurs six enfants ont fui leur maison dans le sud de Gaza en pleine nuit, se dispersant dans la panique avec des centaines d’autres habitants de leur quartier.
Quand la poussière est retombée et qu’al-Najjar s’est réfugié avec sa famille dans un abri à plusieurs kilomètres, son fils Ahmad, 23 ans, avait disparu. Au lever du jour, la famille a fouillé les hôpitaux voisins et interrogé les habitants.
Aucune trace. Près de deux ans plus tard, ils mènent encore des recherches.
"C’est comme si la terre l’avait englouti", confie Mohammad al-Najjar depuis la tente familiale à Al Mawasi, sur la côte sud de Gaza, leur neuvième camp de déplacement depuis cette nuit fatidique de décembre 2023.
Des milliers de familles à Gaza recherchent des proches disparus dans la guerre brutale d’Israël, l’une des plus destructrices des dernières décennies. Certains sont ensevelis sous les décombres, d’autres – comme le fils d’al-Najjar – ont simplement disparu lors des offensives militaires israéliennes.
Dans une guerre où le nombre réel de morts reste inconnu, "nul ne sait combien de personnes sont portées disparues", déclare Kathryne Bomberger, directrice générale de la Commission internationale sur les personnes disparues.
La famille al-Najjar a fouillé les ruines de sa maison bombardée, s’est rendue à la morgue et a contacté le Comité international de la Croix-Rouge.
"Est-il prisonnier en Israël ? Est-il mort ?", demande le père de 46 ans. "Nous sommes perdus. Nous sommes tourmentés par tout".
Les services pénitentiaires israéliens et l’armée ont indiqué qu’ils ne pouvaient pas divulguer d’informations sur des prisonniers spécifiques et ont refusé de commenter le cas d’al-Najjar.
Une tâche colossale
Environ 6 000 personnes seraient toujours ensevelies sous les décombres, selon le ministère de la Santé de Gaza.
Mais le chiffre réel serait bien plus élevé, car dans de nombreux cas, des familles entières ont été tuées, sans plus personne pour signaler les disparus, explique Zaher al-Wahidi, responsable des données au ministère.
En parallèle, le ministère a reçu des signalements concernant 3 600 autres disparus, dont le sort demeure inconnu. À ce jour, seules 200 affaires ont été examinées : sept personnes ont été retrouvées détenues par Israël, les autres ne figurant ni parmi les morts, ni parmi les corps identifiés sous les décombres.
Le CICR dispose de sa propre liste : au moins 7 000 cas non résolus, sans compter ceux présumés ensevelis.
Dans le chaos des offensives, des bombardements et des déplacements massifs touchant presque les 2,3 millions d’habitants de Gaza, les moyens de disparaître ont été multiples. Des centaines ont été arrêtés aux points de contrôle israéliens ou raflés lors d’opérations militaires, sans notification à leurs familles.
Lors des assauts terrestres, des corps ont été laissés dans les rues ; des Palestiniens ont été abattus pour s’être trop approchés des zones militaires israéliennes, leurs corps retrouvés des semaines plus tard, décomposés.
L’armée israélienne a également emporté un nombre indéterminé de corps, affirmant rechercher des otages israéliens ou des Palestiniens identifiés comme combattants. Plusieurs centaines de cadavres non identifiés ont été renvoyés à Gaza et enterrés dans des fosses communes anonymes.
La recherche des disparus, une mission presque impossible
Identifier les disparus nécessite des analyses ADN avancées, des échantillons fournis par les familles et l’examen d’images aériennes pour localiser les fosses communes, explique Bomberger.
"C’est une tâche immense", dit-elle.
Mais selon Bomberger et le ministère de la Santé, Israël empêche l’entrée de matériel d’analyse ADN à Gaza. Les autorités militaires israéliennes ont refusé de commenter cette interdiction.
Bomberger rappelle qu’il incombe à l’État occupant – donc à Israël – de rechercher les disparus.
"Tout dépendra de la volonté politique des autorités israéliennes d’agir", souligne-t-elle.
L’odeur de son fils
Fadwa al-Ghalban est sans nouvelles de son fils Mosaab, 27 ans, depuis juillet, lorsqu’il est retourné chercher de la nourriture à la maison familiale, pensant que les troupes israéliennes avaient quitté la zone près de Maan, au sud.
Ses cousins l’ont aperçu gisant au sol. Ils ont crié son nom, mais il n’a pas répondu. Les soldats israéliens étant encore proches, ils ont dû fuir. Ils l’ont cru mort.
Revenus plus tard, les proches n’ont trouvé aucun corps — seulement ses sandales.
La famille a publié des avis sur les réseaux sociaux, espérant que quelqu’un l’aurait vu en détention en Israël ou l’aurait enterré.
"Je vis d’espoir", dit Fadwa. Un autre parent, d’abord déclaré mort, s’est révélé être prisonnier en Israël, quatre jours après les condoléances officielles.
"Quelle que soit sa destinée, il y a un feu dans mon cœur", dit-elle. "Même si quelqu’un l’a enterré, ce serait plus supportable que cette douleur".
Des ONG de défense des droits humains accusent Israël de faire "disparaître" des centaines de Palestiniens de Gaza, détenus sans procès ni chef d’accusation, souvent au secret.
Israël ne publie aucun chiffre officiel, sauf sur requête via la loi sur la liberté de l’information. Une révision de la loi en temps de guerre permet désormais de détenir des Gazaouis sans contrôle judiciaire pendant 75 jours et de leur refuser l’accès à un avocat encore plus longtemps. Les comparutions se tiennent à huis clos, par visioconférence.
Hamoked a confirmé qu’en septembre, 2 662 Palestiniens de Gaza étaient détenus en Israël, en plus de plusieurs centaines d’autres dans des installations militaires, où des cas de torture et de mauvais traitements ont été signalés par l’ONU et des détenus eux-mêmes.
Tout ce qu’il reste à Fadwa de son fils, ce sont ses derniers vêtements. Elle refuse de les laver.
"Je continue de les sentir. Je veux garder son odeur", dit-elle en pleurant. "Je l’imagine venir vers moi dans la tente. Je dis qu’il n’est pas mort".
Même une bague
Avec la majorité des bulldozers détruits à Gaza, les familles doivent fouiller elles-mêmes les décombres, espérant retrouver ne serait-ce que les os de leurs proches.
Khaled Nassar a perdu sa fille Dalia, 28 ans, et son fils Mahmoud, 24 ans, tués lors de frappes aériennes distinctes et ensevelis sous leur maison du camp de Jabaliya.
Les secours n’ont pas pu atteindre Jabaliya, pilonné à plusieurs reprises et désormais sous contrôle militaire israélien.
Dalia et son mari ont été tués le 9 octobre 2023, troisième jour de l’agression israélienne. Leurs enfants ont survécu et vivent aujourd’hui chez leur grand-père.
"Nous avons cherché, mais nous ne l’avons pas trouvée", dit Nassar. "Elle semblait s’être évaporée avec la roquette".
Un an plus tard, une frappe a touché de nouveau leur maison, ensevelissant Mahmoud, revenu brièvement pour se laver.
Lorsque le cessez-le-feu a été annoncé en janvier, Nassar et sa femme Khadra ont entrepris de creuser eux-mêmes.
Chaque jour, le père, ancien ouvrier du bâtiment de 60 ans, utilisait un marteau et une pelle pendant que son épouse évacuait les gravats.
Ils ont fouillé la moitié de la maison sans rien trouver. Puis Israël a rompu le cessez-le-feu en mars, les forçant à fuir.
Khadra refuse de perdre espoir : "S’il y a un nouveau cessez-le-feu, je reprendrai les fouilles", dit-elle.
"Même si je ne trouve qu’une bague sur son doigt ou quelques os à enterrer, pour dire que c’est mon fils".
