Le gouvernement est en cours de constitution, mais déjà les voix s'étonnent de ce qui semble être “un recyclage des mêmes élites” malgaches, commente Tin Rakotomalala, président et cofondateur du Think Tank Diapason.
La formation en cours des nouvelles autorités malgaches avec le serment prêté vendredi 17 octobre par le colonel Ra permet d’espérer une stabilité, mais Tin Rakotomalala signale de suite que la mobilisation des GenZ 212 avait des demandes précises, et que surtout aujourd’hui, ces jeunes ne semblent pas être inclus dans les futures autorités.
L’ex-président malgache avait prévenu, s’il part, les bailleurs de fonds vont le suivre. Le président de Diapason ne croit pas que les investisseurs internationaux vont se détourner de Madagascar. Il en veut pour preuve que les représentants des pays occidentaux comme la France, l’Union européenne, les États-Unis ou encore la Grande Bretagne étaient présents lors de la prestation de serment par le nouveau président malgache, le colonel Michael Randrianirina, devant la Haute cour constitutionnelle. “Cette présence est un geste diplomatiquement fort”, il confirme un soutien tacite et ajoute-t-il, l’Occident n’a pas intérêt à se désolidariser de Madagascar.
Le soutien des bailleurs de fonds n’a rien d’un geste d’empathie ou de solidarité, Madagascar a des richesses minières que beaucoup convoitent. Quand les militaires disent vouloir lutter contre la corruption, cela concerne notamment les contrats miniers qui ne sont pas publics. La GenZ 212 demande ainsi que ces contrats soient transparents pour que le public malgache constate s’ils sont équitables ou pas.
Des multi-nationales qui ne payent pas de taxes
Le président du Think Tank Diapason conclut qu’il faut changer le système, remplacer les élites politiques par d’autres élites n’est pas suffisant. C’est sans doute là, l’obstacle majeur que va rencontrer l’équipe de cette transition politique. Pour financer ou améliorer ses infrastructures, l’Etat a besoin de remplir ses caisses.
Malgré sa richesse en ressources naturelles, Madagascar souffre d’une fuite massive de ses revenus, d’une fiscalité faible sur les multinationales et d’une économie souterraine florissante. Ainsi le PIB du pays en 2023 s’élevait à 14,6 milliards d’euros, mais les recettes fiscales ne représentaient que 12,8 % du PIB, l’un des taux les plus bas au monde.
Les recherches ont prouvé que les volumes de minerais (ilménite, cobalt, graphite) exportés sont sous-estimés et donc les multinationales ne paient pas les taxes normalement dues.
Ainsi, une enquête menée par PWYP (Publish What You Pay) a révélé que Rio Tinto/QMM, une entreprise anglo-australienne n'a versé que 8 millions de dollars en royalties à l'État malgache en 2021, alors que la production réelle d'ilménite aurait dû générer au moins 50 millions de dollars de taxes.
Certaines ressources naturelles, comme les pierres précieuses, sont même exportées en dehors de tout circuit officiel. Cet enchevêtrement de circuits opaques et de corruption prive l'État des revenus des richesses de Madagascar. Le nouveau régime veut s’atteler à changer cette réalité, et dans cette recherche d’équité avec le commerce mondial, il a un atout, l’occident a besoin des minerais malgaches pour manufacturer ses produits industriels.
Pour une réforme constitutionnelle
Au-delà des réponses immédiates aux préoccupations légitimes des Malgaches, des leaders politiques estiment qu’il est temps de revoir la forme de l’Etat. Jean-Louis Zafivao, président national du parti GASYMI, membre d’une plateforme d’une vingtaine de formations politiques, plaide pour la décentralisation du pouvoir. L’Etat unitaire centralise les ressources et alourdit le processus de prise de décisions dans un vaste territoire de 587 041 kilomètres carrés, soit quatre fois et demi l'étendue de l’Angleterre.
“La centralisation actuelle n’a pas répondu aux besoins essentiels de Madagascar. Au contraire, cette forme de l’Etat a contribué à appauvrir davantage le pays”, s’insurge Jean-Louis Zafivao.
“Depuis 2003, 98% des recettes de l’Etat reviennent à l’Etat central alors qu'à peine 1% revient aux régions”, explique-t-il à TRT Français. 1696 communes et 22 régions n’ont utilisé que 5 % du budget de l’Etat. C’est tout à fait normal que le développement ne suive pas. Les régions n’arrivent même pas à fonctionner”.
Pour lui la réforme constitutionnelle est impérative pour briser l’engrenage de la pauvreté depuis l'indépendance de la grande ile le 26 juin 1960.