Un an après la mort d'Idriss Déby, où en est le Tchad ?
À l’annonce de la disparition soudaine d'Idriss Déby, le 20 avril 2021, un Conseil militaire de transition a été mis sur pied avec à sa tête Mahamat Idriss Déby, le fils du président. Un an après, le jeune général est toujours aux commandes du Tchad.
Un an après la mort d'Idriss Déby, où en est le Tchad ? (AFP)

Le président tchadien Idriss Déby Itno est décédé le 20 avril 2021 des suites de ses blessures alors qu'il commandait son armée dans des combats contre des rebelles dans le nord du Tchad. À l’annonce de la disparition soudaine d'Idriss Déby, un Conseil militaire de transition a été mis sur pied avec à sa tête, le fils du président, Mahamat Idriss Déby. En prenant le pouvoir, le jeune général de 37 ans a annoncé que la transition durera pour une période de 18 mois et a promis d’organiser des élections à la fin de la transition pour un retour à l’ordre constitutionnel.


Selon la Constitution, c’était au président de l’Assemblée nationale, Haroun Kabadi, d’assurer l’intérim et d’organiser des élections. Refus de ce dernier, impossibilité de gouverner en raison d’une maladie… les versions avancées pour justifier ce coup de force sont nombreuses. La France, pour sa part, a estimé que la situation de N’Djamena est « particulière ».


« Dès l’annonce du décès du président Déby, le Tchad est parti d’un régime constitutionnel à un régime militaire. Tous les gouverneurs, préfets et sous-préfets sont des militaires », a souligné à l’Agence Anadolu Evariste Ngarlem Tolde, politologue et enseignant chercheur tchadien.


Dans un rapport publié le 11 octobre 2021, l’ONG Amnesty International a estimé que le nouveau régime militaire ne protège pas le droit à la liberté d’expression.
« Depuis le début de la transition politique, plusieurs manifestations ont été interdites et réprimées par les autorités. Entre le 27 avril et le 19 mai 2021, au moins 16 personnes ont été tuées au cours de manifestations à N’Djamena et dans la ville de Moundou, dans le sud du pays. Le résultat des enquêtes n’a toujours pas été communiqué », avait relevé cette ONG.

Grogne sociale


Le décès inattendu d’Idriss Déby a été aussi suivi par une grogne sociale au Tchad.
« Les magistrats, les diplômés sans emplois, les handicapés, les transporteurs, des partis de l’opposition, les enseignants et des élèves ont manifesté leur mécontentement pendant cette période de transition et pour des raisons diverses.

Pour mettre fin ces mouvements d’humeur, le président de la transition a fait des promesses aux grévistes. D’autres mouvements d’humeur ont été réprimé par des forces de l’ordre », a indiqué le statisticien économiste tchadien Ngaryanouba Titiyan, dans une déclaration à l’Agence Anadolu. Selon ce statisticien, l’économie tchadienne a observé une baisse inattendu de 1,1% au cours de l’année 2021.

« L'évolution macroéconomique du Tchad a été affectée par une série de chocs négatifs et durables. Il s'agit notamment de la covid-19, de la volatilité des prix du pétrole et d'une détérioration significative de la production du secteur pétrolier, des attaques sécuritaires, du changement climatique et de l'insécurité alimentaire. Il faut noter que certains partenaires ont aussi hésité à investir au Tchad après le décès du président Déby. Ils ont certainement craint des troubles pendant la période de transition », a-t-il expliqué.

« Gendarme du Sahel »


Avant son décès, Idriss Déby Itno, le chef de guerre devenu « gendarme du Sahel », avait engagé le Tchad sur plusieurs fronts. Celui qui a assuré la présidence de l'Union africaine (UA) en 2016 avait acquis ces dernières années une stature de premier plan en positionnant sa redoutable armée à la pointe de la lutte contre le terrorisme dans le Lac Tchad, au nord du Tchad près de la frontière avec la Libye et le Soudan et au Sahel.


« L'arrivée au pouvoir du général Mahamat Idriss Déby Itno, après la mort de son père Idriss Déby Itno en avril 2021, aurait pu semer le doute. Mais le fils semble poursuivre l'engagement militaire de son père au Sahel. La junte militaire tchadienne avait même décidé dès décembre 2021 d’envoyer des hommes au Mali afin de renforcer le contingent stationné dans la région d'Aguelhok, en prévision du départ annoncé des soldats français », explique, pour sa part, le géostratège tchadien Abraham Dandja.


« Au niveau du Lac Tchad, on n’entend presque plus parler des attaques terroristes du groupe Boko Haram. Au nord du Tchad où le président Deby a trouvé la mort, l’armée tchadienne a neutralisé plusieurs rebelles et fait certains prisonniers. Donc sur le plan militaire, on peut conclure que le Tchad est sur la bonne voie un an après le décès du maréchal Déby », a ajouté le géostratège dans une déclaration à AA.

En attendant le dialogue

En prenant le pouvoir le 20 avril 2021, le nouvel homme fort du Tchad avait dissous le Parlement, limogé le gouvernement, abrogé la Constitution et promis des « élections libres et démocratiques » après une transition de dix-huit mois.
Le général Mahamat dont le destin a basculé le 20 avril 2021 avait aussi promis un « dialogue national inclusif » ouvert à « toutes » les oppositions, politiques et armées, et qui doit aboutir aux élections.


« Ça fait des années que les Tchadiens attendent ce dialogue pour bâtir ensemble un Tchad de paix, de stabilité et de sécurité. Des groupes politico-militaires sont en concertation à Doha au Qatar. Des opposants exilés sont retournés au pays et attendent de participer au dialogue national prévu le 10 mai à Ndjamena. C’est un progrès encourageant qu’il faut applaudir en ce qui concerne ce gouvernement de transition », a relevé à AA Saada Mahamat Djido, politologue tchadienne.


Pour préparer le dialogue national du 10 mai, un pré-dialogue entre le gouvernement tchadien et des groupes politico-militaires se tient à Doha depuis le 13 mars.
« Le pré-dialogue va aboutir à des accords qui sont préparés d’avance. Et ils vont venir faire un simulacre de dialogue inclusif. Ce serait un séminaire de sandwichs que les gens se partageront, mais on ne fera rien de bon. Un mouvement rebelle a d’ailleurs rompu les négociations », confie à AA le politologue tchadien Mahamat Hassane.

Doutes sur le respect des délais


À six mois de la date butoir théorique pour l’organisations des élections, des doutes sur le respect des délais par la junte au pouvoir persistent.
« Le calendrier de la transition ne sera pas respecté. Les négociations de Doha n’avancent pas. Il n’est pas certain que le dialogue se tient le 10 mai tant que les groupes politico-militaires et la junte ne s’accordent pas. La transition risque être prolongée », a projeté le politologue camerounais Eric Owona.


« La transition de père en fils telle que nous l’avons vécu au Gabon, pourrait être effective au Tchad. Les partenaires du Tchad comme la France seront réconfortés si tel est le cas. Le Tchad avec un militaire au pouvoir est un symbole de stabilité dans la sous-région », a-t-il conclu, dans une déclaration à Anadolu.


« Notre souhait est de ne pas aller au-delà (des 18 mois), mais il y a deux conditions pour que ce délai soit respecté. La première est que nous, Tchadiens, soyons capables de nous entendre pour avancer au rythme prévu. La seconde est que nos partenaires nous aident à financer le dialogue et les élections, car il est évident que le Trésor tchadien ne pourra pas supporter seul un tel coût. Si on s’entend et si l’on nous aide, les 18 mois sont à notre portée. Dans le cas contraire, ce sera très difficile », a relevé le chef de la junte, en juin dernier.

AA