Inquiète, l’Europe se prépare à passer un hiver hors norme
Si certains Européens ont réussi à réduire leur dépendance au gaz russe dans un contexte où la Russie ferme les robinets, la flambée des prix de l’énergie dont le gaz et l’électricité font craindre une crise sans précédent cet hiver.
Inquiète, l’Europe se prépare à passer un hiver hors norme (Reuters)

Bien que le commissaire européen à l'Économie Paolo Gentiloni a assuré que l'Union européenne (UE) était "bien préparée" en cas d'arrêt total des livraisons de gaz russe, grâce au stockage, et aux mesures d'économie et de sobriété d'énergie. "Un scénario très sombre" se dessine en Europe, selon le journal allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung.

Des mesures contre les mécontentements

En France, n’étant pas capable de faire face à l’explosion de la facture énergétique, une trentaine de piscines ont été contraintes de fermer leurs portes, ce qui entraîne la mise au chômage des personnels. De l’autre côté de la Manche, au Royaume-Uni, la situation des écoles inquiète. Le budget pour le gaz et l'électricité des écoles a atteint 1,27 million d’euros contre 290 000 euros par an avant la crise.

Si les gouvernements font appel à limiter la consommation énergétique et que les articles expliquant comment économiser du gaz chez soi se multiplient dans la presse, les citoyens affirment leur inquiétude. A Prague, environ 70.000 personnes ont protesté contre le gouvernement avec le slogan "Le meilleur pour les Ukrainiens et deux pulls pour nous" sous-entendant qu’ils ne seront pas capables de payer les factures de chauffage en hiver.

Différentes mesures sont prises par les gouvernements pour faire face à d’éventuelles pénuries énergétiques. Face à la situation économique et sociale dégradante, l’Allemagne, qui a déboursé un paquet d’aide de 65 milliards d'euros pour soutenir les foyers les plus touchés par la crise, a décidé de maintenir en veille jusqu'au printemps 2023 deux centrales nucléaires. Berlin souhaite aussi que les profits exceptionnels réalisés par les entreprises énergétiques grâce à l'envolée des prix du marché soient mis à contribution pour soulager les factures des ménages.

La France s’est dite favorable à acheter du gaz commun en Europe pour le payer moins cher. "Si la Commission venait à décider de mettre un plafond au prix du gaz acheté à travers les gazoducs à la Russie, la France soutiendrait une telle mesure", a déclaré le président Emmanuel Macron.

Pour faire face à la crise énergétique, la France et l’Allemagne se sont accordées dans un deal. La France s’est engagée à livrer du gaz à l’Allemagne alors que Berlin va lui fournir de l’électricité si besoin est cet hiver.

"L'Allemagne a besoin de notre gaz et nous, nous avons besoin de l'électricité produite dans le reste de l'Europe et en particulier en Allemagne. Ça va se traduire en franco-allemand de manière très concrète : nous allons finaliser les connexions gazières nécessaires pour pouvoir livrer du gaz à l'Allemagne. De la même manière, l'Allemagne se mettra en situation de produire davantage d'électricité et surtout nous apporter, dans les situations de pics, sa solidarité électrique en la matière", a annoncé Macron.

D’autres solutions d’approvisionnement sont également sur la table pour diversifier les sources comme avec la Norvège. L’Italie a par exemple signé un contrat avec l’opérateur public algérien Sonatrach pour l’achat de gaz supplémentaire alors que l’Union européenne en a signé un avec l’Azerbaïdjan pour doubler les importations de gaz naturel.

Cependant, les pays européens ne font pas front uni pour se passer du gaz russe. Si certains cherchent d’autres alternatives, d’autres pays européens, qui ne peuvent se passer du gaz russe, négocient avec Moscou. Bien qu’elle ait condamné l’offensive en Ukraine, la Hongrie a défendu le point de vue de Moscou bloquant l’embargo européen sur le pétrole russe, ce qui lui a permis de recevoir des livraisons de gaz. Le nouveau provisoire gouvernement de la Bulgarie s’est également dit prêt à négocier avec Gazprom pour trouver un accord.

L’arrêt de livraison est-il la faute de l’UE ?

Rejetant toute responsabilité, Moscou défend que les arrêts de gaz sont les conséquences directes des sanctions européennes. Le Kremlin a déclaré que l’acheminement du gaz russe vers l’Europe via le gazoduc Nord Stream 1 ne reprendra pas avant la levée des sanctions.

"Ce sont ces sanctions (...) qui ont amené à la situation que nous observons maintenant", a dénoncé le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov lors d'un point presse téléphonique.

"L'Occident - dans ce cas précis l'Union européenne, le Canada et le Royaume-Uni - est responsable du fait que la situation ait atteint un tel point", a-t-il ajouté.

Selon le Kremlin et le géant Gazprom, les turbines nécessitent des maintenances, non réalisables à cause des sanctions empêchant la livraison du matériel nécessaire. Au contraire, l'Allemagne défend que c'est la Russie qui bloque le retour de cette pièce et que quatre turbines sont déjà en Russie.

Si Gazprom a annoncé un gel complet des livraisons le 3 septembre, en raison du démantèlement d’un moteur à turbine à gaz, le fabricant allemand de la turbine a défendu qu’une telle raison n'entraînera techniquement pas l’arrêt des opérations.

Suite à cette nouvelle annonce, le prix du gaz a de nouveau augmenté exponentiellement. Lundi, la référence européenne évoluait à 242 euros le mégawattheure (MWh), s’envolant de près de 13 %, contre 28 euros le MWh il y a un an. Les Bourses européennes ont également baissé avec la crainte que ces prix n’accentuent les risques de crise économique dans la zone euro.

Moscou augmente ses profits

Selon le rapport de Center for research on energy and clean Air, centre de recherche indépendant, la Russie a engrangé 158 milliards d'euros de revenus tirés des exportations d'énergies fossiles en six mois d’offensive grâce aux cours élevés. Si le volume de gaz exporté a baissé de 25% pendant juillet et août 2022, les recettes du Kremlin ont augmenté de 30%.

"On estime que les exportations d'énergies fossiles ont contribué pour 43 milliards d'euros au budget fédéral russe", ont calculé les auteurs sur la période des 6 mois de l’offensive.

Pour les Européens, déstabilisés par les prix d’énergie, le but des arrêts des livraisons est de mettre la pression pour assouplir les sanctions "massives et robustes" prises à l'encontre de la Russie pour sanctionner l'offensive de l'Ukraine.

En raison de la hausse colossale des prix d’énergie, les sanctions européennes sont remises en cause par certains. Matteo Salvini, dirigeant du parti italien d'extrême droite de la Ligue, a mis en question l'efficacité des sanctions. "Plusieurs mois se sont écoulés et les gens paient leurs factures deux fois, voire quatre fois plus, et après sept mois, la guerre continue et les coffres de la Fédération de Russie se remplissent d'argent", a-t-il déclaré.

"Les sanctions fonctionnent-elles? Non. A ce jour, ceux qui ont été sanctionnés sont gagnants, tandis que ceux qui ont mis en place les sanctions sont à genoux", avait-il tweeté la veille.

Si les températures baissent et que l'hiver approche à grands pas, se réchauffer va coûter cher cette année en Europe.

TRT Francais