AFRIQUE
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Le Nigeria dans le viseur de Trump: quand la foi devient un instrument politique
Le Nigeria est confronté à la menace de Donald Trump qui promet d’attaquer le pays si les chrétiens ne sont pas suffisamment protégés des violences des terroristes de Boko Haram. Sur le terrain, la réalité semble être bien différente des prejugés.
Le Nigeria dans le viseur de Trump: quand la foi devient un instrument politique
Le président Nigérian Bola Ahmed Tinubu…
il y a 8 heures

Les menaces proférées dimanche par Donald Trump contre le Nigeria, qui ne ferait pas assez pour préserver les chrétiens des violences, continuent de susciter des interrogations au sein de l’opinion publique en Afrique et ailleurs. 

“Si le gouvernement nigérian continue de tolérer le meurtre de chrétiens, les États-Unis cesseront immédiatement toute aide et assistance au Nigeria et pourraient très bien intervenir dans ce pays désormais déshonoré, armes au poing”, a prévenu Trump.

“Par la présente, j’ordonne à notre ministère de la Guerre de se préparer à une éventuelle action. Si nous attaquons, ce sera rapide, brutal et implacable, à l’image des attaques terroristes contre nos chers chrétiens”, a-t-il ajouté.

Qu’est-ce qui explique cette subite attention du président américain pour les chrétiens du Nigeria ? La question revient régulièrement.

 L’attitude de Trump est le reflet des dynamiques de la vie politique américaine avec la montée en puissance des mouvements évangéliques, résument des spécialistes des Etats-Unis.

Montée du nationalisme chrétien

“Il convient de souligner la montée en puissance du nationalisme chrétien aux États-Unis, qui dans la phase actuelle, beaucoup de gens en conviennent, est pro-blanc”, explique à TRT Francais Mohamed Mbodji professeur d'histoire africaine et afro-américaine, d'islam, d'esclavage, à l’universite de Manhattanville de New York.

“ (...) C’est ce qui explique l'arrivée des réfugiés blancs sud-africains et les accusations de maltraitance de la minorité blanche conférant ainsi aux Etats-Unis un rôle de Pandore”, ajoute-t-il.

La dénonciation des persécutions des chrétiens par les Américains est “une vieille rengaine qui remonte aux années 90”, précise pour sa part l’historienne française Blandine Chelini-Pont, auteure d'une Géopolitique des religions avec Roland Dubertrand et Valentine Zuber.

Au regard de la situation défavorable des chrétiens au Soudan, explique Blandine Chelini - Pont à TRT Français, les mouvements évangéliques ont engagé un important lobbying au Congrès. Un engagement qui a abouti en 1998 à l'adoption de la loi sur la protection de la liberté religieuse dans le monde (International Religious Freedom Act de 1998, NDLR).

“Trump a surréagi pour ‘communiquer’ avec son électorat en menaçant d'une intervention militaire directe contre les terroristes, et derrière lui le ministre de la Défense qui est un chrétien très proche du pasteur Doug Wilson”

Blandine Chelini-Pont, auteure de Géopolitique des religions

“Aujourd'hui, la loi IRFA, explique l’historienne française, après plusieurs amendements, a musclé les capacités du Département d'Etat dans ses relations bilatérales à ‘pénaliser’ les pays dans lesquels des croyants (et des non croyants-athées depuis les amendements de 2016 sous Obama) seraient maltraités et où la liberté religieuse serait bafouée. Des pays déclarés 'particular concern’ (suscitant des inquiétudes particulières), comme le Nigeria”.  

Deux poids deux mesures

Pour autant, fait remarquer l’auteure de Géopolitique des religions, il y a comme un traitement de deux poids deux mesures de la part de l’administration Trump.

 Les chrétiens palestiniens, outre le génocide, subissent de graves entraves dans l’expression de leur foi, sans que les Etats-Unis ne réagissent.

Israël a détruit la présence chrétienne en Palestine et continue de bombarder des églises et leurs institutions au milieu du carnage à Gaza, selon le Comité présidentiel supérieur pour les affaires des Églises en Palestine, dans un rapport publié en septembre dernier. 

La population chrétienne de la Palestine est passée de 12,5 % en 1948 avant la Nakba ou “catastrophe”, lorsque des centaines de milliers de personnes ont été expulsées de leurs foyers suite à la création de l'État d'Israël à 1,2 % dans la Palestine historique et 1% dans les territoires occupés. Sur ce cas précis, l'administration Trump autoproclamée grand avocat des chrétiens demeure silencieuse. 

Pour le cas précis du Nigeria, “Trump a surréagi pour ‘communiquer’ avec son électorat en menaçant d'une intervention militaire directe contre les terroristes, et derrière lui le ministre de la Défense qui est un chrétien très proche du pasteur Doug Wilson”, insiste Blandine Chelini-Pont.

Au-delà des préoccupations politiciennes de Donald Trump soucieux de ménager une partie de son électorat, certains citoyens nigérians ont aussi contribué à braquer les projecteurs sur leur pays, explique Mohamed Mbodj.

“Des militants veulent ressusciter la tentative de sécession biafraise des années 60, principalement des Ibos (ethnie du Nigeria, NDLR), explique l’historien. Ils pensent que le futur du Nigeria impose une sorte d'éclatement de la fédération synonyme d'autonomie, voire d'indépendance de l'est et le sud-est du pays, à forte dominance chrétienne”
Mohamed Mbodji professeur d'histoire africaine et afro-américaine, d'islam, à l’universite de Manhattanville

“Des militants veulent ressusciter la tentative de sécession biafraise des années 60, principalement des Ibos (ethnie du Nigeria, NDLR), explique l’historien. Ils pensent que le futur du Nigeria impose une sorte d'éclatement de la fédération synonyme d'autonomie, voire d'indépendance de l'est et le sud-est du pays, à forte dominance chrétienne”.

Au demeurant, la violence de Boko Haram n'épargne personne et “les musulmans, contrairement aux accusations de Trump, sont les principales victimes des violences d’un pays qui s’inscrit dans la coexistence des religions”.

Peu avant les menaces de Donald Trump, le président nigérian Bola Ahmed Tinubu dans un message sur son compte X a rassuré que son administration a “maintenu un dialogue ouvert et actif avec les dirigeants chrétiens et musulmans et continue de s'attaquer aux défis sécuritaires qui touchent les citoyens de toutes confessions et de toutes régions”. 

Ironie du sort, souligne l’historienne Blandine Chelini - Pont, “le président Tinubu, un musulman est marié à une chretienne pasteure dans une église”.

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