Des milliers de kilomètres séparent la France du Québec, et pourtant l’idée de laïcité a traversé l’Atlantique. Le Québec renforce peu à peu ce principe dans le secteur de l’éducation alors même qu’un recours a été déposé devant la Cour suprême canadienne contre sa loi 21, la loi sur la laïcité.
Tout commence en 2019, le Québec se dote d’une loi sur la laïcité qui interdit tout port de signe religieux aux employés de l'État québécois. Une telle loi n’existe pas au niveau fédéral, mais la Charte canadienne des droits et des libertés permet aux provinces canadiennes d’adopter des lois contraires à la charte de manière temporaire pendant un délai maximum de cinq ans.
Le Québec utilise cette exception pour faire passer sa loi 21 mais quand Montréal maintient sa loi 21 pour une nouvelle période de cinq années, l’état fédéral dépose un recours en septembre 2025 devant la Cour suprême, dont les auditions auront lieu en mars 2026. La Cour va devoir statuer sur les limites de l’exception temporaire.
Un débat très clivant au Québec sur la laïcité
Mais pourquoi le Québec se lance-t-il dans cette affirmation de la laïcité ? Le recours fédéral a relancé le débat autour de la loi 21 au Québec. Cette loi s’applique dans les écoles publiques en excluant les universités et ne remet pas en cause le port du voile chez les personnels déjà embauchés. Le principe de laïcité a été élargi par la loi 94 aux activités extra-scolaires comme le temps périscolaire ou les activités sportives ou musicales. Cette loi empêche toute personne portant un signe religieux de travailler dans une école même privée.
Le 6 novembre, le journal Le Devoir publiait le témoignage de Nour sous le titre “Madame Nour ne pourra plus diriger la chorale”. L’article commence ainsi : “La loi 21 m’a fait renoncer à une carrière d’enseignante. La loi 94 met un terme à ma carrière en musique. J’adore la direction chorale. J’adore travailler avec les enfants et ils et elles m’adorent. Je dirige peut-être la chorale parascolaire de votre enfant et, oui, je porte un signe religieux, celui qui est détesté par notre gouvernement actuel”.

Amel Zaazaa a émigré depuis la Tunisie pour le Québec en 2019 et elle dirige aujourd’hui l’Observatoire pour la justice migrante. Elle rappelle auprès de TRT Français que 38 associations ou organisations ont fait appel comme le gouvernement canadien devant la Cour suprême. “Cette loi 21 enlève de fait un accès à l’emploi aux femmes musulmanes. La Loi 94 qui a suivi, interdit depuis cet été le voile dans les activités scolaires dans toutes les écoles. Dans les faits ces deux lois touchent surtout les femmes musulmanes”.
Son organisation souhaite donc que cette loi 21 soit abandonnée tout simplement pour éviter cette “mort sociale” que subissent les femmes musulmanes. “On retrouve au Québec un discours identitaire et une peur de l’immigration comme en France même s' il y a des différences. La tradition laïque est récente dans la province mais les politiques jouent sur des peurs et sur l’enjeu de la survie au sein du Canada anglophone”.
Le Québec copie-t-il la France ?
En 2004, les signes religieux sont interdits en France dans les écoles publiques. En 2010, le port du voile intégral, c'est-à-dire qui recouvre le visage, est interdit dans l'espace public. En 2013, les parents doivent signer une charte de la laïcité à l'école. En mai 2015, une loi interdit le port du voile dans les structures accueillant des enfants de moins de six ans. À la rentrée 2023, le port de l'abaya, cette longue robe traditionnelle couvrant le corps, est interdit à l'école, au nom du respect de la laïcité.
Ce petit survol de la législation française votée au nom de la laïcité concerne dans les faits surtout les signes religieux musulmans. Les arguments sont toujours un peu les mêmes, la neutralité religieuse, la liberté des femmes, l’ordre public et la laïcité.

Les déclarations actuelles de la majorité Arizona au Québec font résonner les mêmes sons de cloche. Le gouvernement de François Legault a déposé à l’automne un projet de loi pour interdire les prières de rue, interdire les signes religieux dans les écoles professionnelles et les garderies subventionnées et interdire les salles de prière dans toutes les universités du Québec. Le Premier ministre du Québec, Francois Legault, n’hésite pas à écrire sur son compte X : “‘Le Québec a fait le choix de la laïcité dans le secteur public, en interdisant les signes religieux et le visage couvert pour les employés de l’État en position d’autorité. On va se battre jusqu’au bout pour défendre nos valeurs et ce que nous sommes”.
La laïcité remplace-t-elle la lutte pour l’indépendance ?
Francois Legault continue en mettant en garde l'État fédéral contre toute tentative d’Ottawa d’intervenir sur le dossier de la laïcité québécoise, ce serait “une attaque envers l’autonomie des États fédérés”, écrit-il.
Marc Chevrier, politologue et professeur de science politique à l’université du Québec à Montréal tient à rappeler auprès de TRT Français l’importance de la laïcité dans l’histoire récente québécoise car l’église catholique était ultra-puissante jusque dans les années 60. “Beaucoup de Québécois ont un mauvais souvenir de cette présence religieuse très forte et ils ne veulent plus d’une société avec une religion qui gère la vie des gens”, explique-t-il.
Il admet cependant que cette arrivée en force du concept de laïcité sur le devant de la scène politique a aussi ses racines dans l’échec de la province québécoise à obtenir son indépendance. “Avec cette loi 21, la coalition Avenir Québec au pouvoir essaie de donner une nouvelle définition nationale, la laïcité fait partie d’une définition nationaliste du gouvernement actuel”.
Le politologue poursuit en expliquant que le mouvement indépendantiste utilise cette loi pour relancer sa dynamique en vue des élections provinciales de 2026. Il rappelle aussi que, pour certains Québécois, la remise en cause de la loi 21 au niveau fédéral est vécue comme “une atteinte à l’autonomie du Québec.”
En d’autres termes, le gouvernement actuel du Québec francophone utilise la laïcité pour se distinguer dans un Canada anglophone.
Amel Zaazaa termine en soulignant une contradiction québécoise. Le Québec souhaite attirer une immigration francophone dans la province par différents programmes mais plus de la moitié des francophones sont africains. Mettre en place une politique perçue comme anti-islam pourrait compromettre cette ambition.







