Le procès se déroule devant le tribunal correctionnel de Paris jusqu’au 16 décembre pour financement d’entreprises terroristes, et pour non-respect de sanctions financières internationales.
Neuf personnes sont sur le banc des accusés. Au côté de Lafarge, racheté en 2015 par le groupe suisse Holcim, on trouve l’ancien PDG du cimentier français Bruno Lafont, et cinq ex-responsables de la chaîne opérationnelle ou de la chaîne de sûreté ainsi que deux intermédiaires syriens dont l’un est absent au procès.
Le groupe français est soupçonné d’avoir versé, en 2013 et 2014, plusieurs millions d’euros à des groupes armés contrôlant la zone où il opérait, notamment autour de sa cimenterie de Jalabiya, dans le nord de la Syrie. Ces paiements auraient transité par sa filiale locale, Lafarge Cement Syria (LCS), et concerné des organisations classées comme terroristes en Europe.
Pendant ces deux années, la plupart des usines étaient pillées, les employés, kidnappés ou même tués. La sécurité était un énorme problème et de nombreux entrepreneurs ont préféré stopper leur activité.
La société Lafarge avait investi 680 millions d’euros dans ce site, dont la construction s’était achevée en 2010. Alors que d’autres multinationales quittaient le pays en 2012, Lafarge s’était contentée d’évacuer ses employés de nationalité étrangère cette année-là, maintenant l’activité de ses salariés syriens jusqu’en septembre 2014.
Durant ces deux années, LCS aurait rémunéré des intermédiaires pour s’approvisionner en matières premières et pour assurer la circulation des employés et des marchandises.
L’information judiciaire avait été ouverte à Paris en 2017 après plusieurs révélations médiatiques et deux plaintes en 2016. L’uneémanait du ministère de l’Économie pour violation d’embargo ; l’autre avait été déposée par des associations comme Sherpa, le Centre européen pour les droits constitutionnels (ECCHR) et onze anciens salariés de LCS pour financement du terrorisme.
Une enquête interne lancée par le groupe Holcim
Le nouveau groupe issu de la fusion de 2015 - d’abord baptisé LafargeHolcim, puis renommé Holcim en 2021 -, qui a toujours pris soin de se désolidariser des faits antérieurs à cette opération, avait lancé une enquête interne.
Un procès antérieur pourrait peser dans la balance. En octobre 2022, Lafarge SA a plaidé coupable aux Etats-Unis d’avoir versé à Daesh et à Jabhat Al-Nosra près de 6 millions de dollars, et a accepté de s’acquitter d’une amende record de 778 millions de dollars.
En France, Lafarge encourt jusqu’à 1,125 million d’euros d’amende pour le financement du terrorisme. Pour la violation d’embargo, l’amende encourue est plus lourde, allant jusqu’à 10 fois le montant de l’infraction qui sera retenu in fine par la justice.
Questionner la responsabilité des multinationales
L’ex-PDG Bruno Lafont conteste avoir été informé des paiements aux groupes terroristes, il “attend de pouvoir enfin défendre son honneur, et de comprendre ce qui s’est passé”, notamment le rôle joué par les services de renseignement français.
Les magistrats instructeurs ont estimé que si des remontées d’informations avaient eu lieu entre les responsables sûreté de Lafarge et les services secrets sur la situation autour du site, cela ne démontrait “absolument pas la validation par l’Etat français des pratiques de financement d’entités terroristes mises en place par Lafarge en Syrie”.
Sherpa, partie civile dans le dossier, estime de son côté que ce procès est une “occasion inédite pour la justice française de se pencher sur la responsabilité des multinationales lorsqu’elles opèrent dans des zones de conflit”.
Ce dossier comprend un second volet, le groupe a aussi été mis en examen pour complicité de crimes contre l’humanité en Syrie et en Irak.













