A Mayotte, une opération imminente et contestée d'expulsion massive de migrants (Others)

Une opération pas si secrète

Révélée fin février par le journal satirique Le Canard enchaîné, l'opération "Wuambushu", qui peut vouloir dire en mahorais "reprise" comme "poil à gratter", n'avait jusqu'alors pas été officialisée par le gouvernement français.

Mais le ministre français de l'Intérieur Gérald Darmanin a confirmé vendredi la tenue d'une opération "au long cours", validée par le président Emmanuel Macron en Conseil de défense, selon une source proche du dossier.

M. Darmanin a démenti un lancement lundi et pour une durée de deux mois, avancé par la presse. "Il n'y a pas un moment où on la commence et un moment où on la termine", a-t-il ajouté, affirmant même que l'opération avait "déjà commencé".

"Il y a 1.800 policiers et gendarmes en ce moment-même à Mayotte qui font des opérations de police, qui mettent fin au trafic d'armes, qui mettent fin aux bandes criminelles", dont 60 ont été dénombrées, a-t-il dit.

Au total, plus de 2.500 personnels (forces de l'ordre, agence régionale de santé, justice, réserve sanitaire) sont mobilisés, selon une source proche du dossier.

L'apogée d'une longue crise migratoire

Mayotte, devenu le 101e département français en 2011, attire chaque année des milliers de migrants, arrivés par la mer en "kwassa kwassa", des embarcations de fortune, de l'île comorienne voisine d'Anjouan, mais également de l'Afrique des Grands Lacs et de plus en plus de Madagascar.

Près de la moitié des 350.000 habitants estimés de Mayotte ne possède pas la nationalité française, selon l'Insee, l'Institut national des statistiques, mais un tiers des étrangers sont nés sur l'archipel.

Ces migrants clandestins, installés dans des quartiers insalubres, des "bangas" en proie à la violence et aux trafics, vivent pour la plupart tranquillement, occupant de petits emplois. Les mineurs sont scolarisés.

Mais ils sont aussi accusés par la population et les élus de déséquilibrer le peu d'infrastructures et ressources de l'archipel et de nourrir un taux de délinquance "hors normes".

Plusieurs opérations dites de "décasage", parfois réalisées par des habitants eux-mêmes constitués en milices, ont déjà eu lieu depuis 2016.

M. Darmanin a dit souhaiter la destruction de "1.000 bangas dans les deux mois": "nous prendrons le temps nécessaire (...) toujours sur autorisation du juge, car il va de soi que nous relogeons les personnes conformément au droit".

Inquiétude des défenseurs des droits humains

La Commission nationale consultative des droits de l'Homme a demandé au gouvernement de renoncer à l'opération, face aux risques d'"aggravation des fractures et des tensions sociales" à Mayotte et d'"atteinte au respect des droits fondamentaux des personnes étrangères".

Plusieurs organisations, dont la Ligue des droits de l'Homme, se sont inquiétées que "la France place ainsi des mineurs dans des situations de vulnérabilité et de danger intolérables".

"Les actions annoncées (...) m'inquiètent tout particulièrement", a aussi déclaré la Défenseure des droits Claire Hédon, qui a annoncé la présence de quatre de ses délégués sur place.

"On ne peut pas respecter les droits des personnes en les considérant comme une masse informe", a déclaré à l'AFP Flor Tercero, responsable des Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE), dont une délégation mènera une mission d'observation sur place.

Tensions diplomatiques avec les Comores

Les autorités des Comores, qui revendiquent toujours leur souveraineté sur Mayotte, restée française après l'indépendance des Comores en 1974, sont vent debout contre cette opération.

"Nous n'avons pas les moyens d'absorber cette violence fabriquée de Mayotte par l'Etat français. Une situation aussi complexe ne peut se régler de manière aussi déroutante", a déploré mardi Anissi Chamsidine, le gouverneur d'Anjouan.

Le président comorien Azali Assoumani, qui assure la présidence de l'Union africaine, a déclaré à l'AFP espérer "que l'opération sera annulée", en reconnaissant "n'avoir pas les moyens de (la) stopper par la force".

D'intenses tractations ont eu lieu ces dernières semaines entre Moroni et Paris, laissant planer la possibilité d'un accord de dernière minute. Gérald Darmanin a même assuré que la France "travaille très bien" avec l'Union des Comores et que tous les "délinquants étrangers" comoriens arrêtés à Mayotte "sont reconduits aux Comores".

Mais "les Comores n'entendent pas accueillir des expulsés issus de l'opération", a affirmé à l'AFP vendredi le porte-parole du gouvernement comorien, Houmed Msaidie.

AFP