Le procès de la tentative d’escroquerie au jugement visant Total s’est ouvert lundi devant la 15ᵉ chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Nanterre, seize ans après le lancement d’un arbitrage international que les enquêteurs décrivent comme entièrement fabriqué.
Avocats, arbitres et intermédiaires sont ainsi renvoyés pour corruption et escroquerie en bande organisée, dans un dossier où la composition même du tribunal arbitral aurait été manipulée pour réclamer jusqu’à 22 milliards d’euros au groupe pétrolier Total.
L’avocat Olivier Pardo, qui fait florès en France ces derniers temps pour son engagement pro-israélien en défendant des personnalités génocidaires ou polémiques comme Benjamin Netanyahu, Meyer Habib, ou Eric Zemmour, se retrouve au cœur de cette machination judiciaire via son cabinet d’avocats.

Mais Pardo n’en est pas à son premier coup dans les affaires d’escroquerie. Il se fait connaître en 2008 en défendant l’homme d'affaires Bernard Tapie dans le cadre du dossier Adidas.
Il est depuis plusieurs années l’avocat du polémiste Eric Zemmour, tandis qu’en 2011 il a assuré la défense d’Imad Lahoud dans la médiatique affaire Clearstream, puis de Ziad Takieddine sur le dossier de l’attentat de Karachi.
“Dédé la sardine”, entre Françafrique et Russie
Le contexte de l’affaire remonte aux années 1990. En 1992, Elf Aquitaine, dont Total est aujourd’hui l’héritier, signe un contrat de prospection et de partage de production avec la société russe Interneft AOZT, représentant les régions de Volgograd et Saratov.
Cette opération est négociée grâce à l’intermédiation d’André Guelfi, alias “Dédé la sardine”, décédé en 2016, ex-patron du Coq sportif, grand ordonnateur des rétrocommissions dans l’affaire Elf, et intime d’Omar Bongo (président du Gabon de 1967 à sa mort en 2009).
Guelfi entretient également des relations en Russie et le contrat comporte une clause compromissoire permettant le recours à l’arbitrage en cas de litige.
En raison des instabilités en Russie, les conditions du contrat ne sont pas remplies, le projet est abandonné, les sociétés cessent toute activité et Guelfi est indemnisé à hauteur de 7 millions de dollars.
Vingt-sept ans plus tard, en 2009, Guelfi recrée via des sociétés offshore et des prête-noms des entités homonymes d’Interneft et de Neftegaz.
Ces sociétés saisissent l’Institut d’arbitrage de la Chambre de commerce de Stockholm pour réclamer des dommages estimés à près de 170 milliards de dollars, dont 22 milliards à Total, en invoquant la non-exécution des contrats de 1992. Selon le parquet de Nanterre, l’objectif était de constituer un tribunal arbitral favorable.
Le mécanisme mis en place consistait à contrôler la nomination des arbitres. Un mandataire ad hoc, proche de Guelfi, est désigné par le tribunal de commerce de Nanterre pour représenter Total sans que le groupe en soit informé.
Ce mandataire nomme un arbitre favorable à Guelfi. Interneft et Neftegaz désignent chacune un arbitre acquis à la “Dédé la sardine”, et les deux arbitres s’accordent sur un président d’arbitrage lui aussi favorable.
Olivier Pardo au coeur de la machination judiciaire
Les arbitres impliqués, Jean-Pierre Mattei, Lei Kamara et Andrés Reiner, sont mis en examen pour corruption passive et escroquerie en bande organisée. Maurice Lantourne, arbitre connu pour l’affaire Tapie, avait initialement été pressenti, sans être finalement retenu.
Total découvre le montage et réagit fin 2009 en saisissant la justice commerciale pour contester la nomination de deux arbitres. En 2011, le groupe dépose une plainte pénale pour tentative d’escroquerie au jugement.
Malgré l’enquête, les arbitres perçoivent environ trois millions d’euros via des sociétés offshore liées à Guelfi, une partie des fonds transitant par le cabinet d’avocats d’Olivier Pardo.
Le parquet précise notamment qu’un virement de 120 000 euros destiné à l’arbitre Andrés Reiner a été effectué depuis un compte de Pardo Boulanger et Associés puis remboursé par une société considérée comme contrôlée par Guelfi.
En 2012, la Cour arbitrale de Stockholm révoque les trois arbitres et en nomme de nouveaux, qui concluent en 2017 à l’inanité des prétentions formulées contre Total.
Les investigations françaises s’intensifient ensuite avec perquisitions, auditions et mises en examen, particulièrement en 2020. L’instruction se clôt en 2024, après de multiples recours et demandes d’investigations complémentaires de la part des mis en examen.
Le procès se déroulera sur trois semaines, Olivier Pardo sera entendu les 3 et 4 décembre, les arbitres mis en examen les 8 et 9 décembre, une journée sera consacrée à la procédure d’arbitrage le 10 décembre, et la deuxième semaine sera dédiée aux réquisitions et aux plaidoiries.















