Selon les enquêtes des médias d’investigation israéliens Hebrew on Local Call et +972 Magazine, le projet d’expropriation d’environ 1 800 dounams de terres privées à Sebastia, dans le nord de la Cisjordanie occupée, a été annoncé le 19 novembre, par l’Administration civile israélienne au moment même où plusieurs archéologues israéliens participaient au congrès annuel de l’American Society of Overseas Research (ASOR) à Boston.
Cette simultanéité a ravivé les critiques formulées depuis plusieurs années par des institutions internationales et des chercheurs à propos du rôle de l’archéologie dans les politiques menées par Israël dans les territoires occupés.
Le plan dévoilé prévoit la prise de contrôle de 550 parcelles appartenant à des habitants de Sebastia, avec pour objectif déclaré la restauration et le développement du site archéologique local.
Les habitants affirment que l’opération entraînerait la destruction de milliers d’oliviers, dont certains sont pluriséculaires, et priverait le village de terres agricoles vitales.

“Valorisation patrimoniale”
Selon eux, elle restreindrait également l’accès à des zones importantes sur les plans historique, économique et social. Les autorités israéliennes prétendent pour leur part que le projet s’inscrit dans une démarche de “valorisation patrimoniale”.
Sebastia est un site archéologique d’une grande richesse, où se superposent des vestiges datant de l’âge du fer, de l’époque hérodienne, de la période romaine et de l’ère byzantine.
Les fouilles réalisées dans les années 1930 ont mis au jour des structures associées au palais du roi Achab, tandis que d’autres recherches ont révélé un théâtre romain bien préservé, une église byzantine et les traces d’un temple construit par le roi Hérode en hommage à l’empereur Auguste.
Cette importance scientifique fait de Sebastia un point de référence pour les chercheurs, mais elle est également au cœur des tensions actuelles concernant la gestion du patrimoine dans les territoires occupés.
La décision israélienne de renforcer son contrôle sur le site s’inscrit dans un processus engagé depuis mai 2023, lorsque le gouvernement a alloué 32 millions de shekels à un programme de développement et de restauration.
En juillet 2024, l’armée a pris le contrôle du sommet du Tel Sebastia où se trouvent les vestiges les plus significatifs, en invoquant des considérations de sécurité. Dans les mois qui ont suivi, des signaux ont laissé entendre que d’autres parcelles du village pourraient être concernées par des mesures similaires.
Les habitants, avec le soutien de l’organisation Emek Shaveh, ont déposé une objection officielle auprès de l’Administration civile en faisant valoir que l’usage de biens culturels à des fins militaires est contraire au droit international.
Leur requête a été rejetée. Peu après, le ministre israélien du Patrimoine, Amichai Eliyahu, a salué publiquement l’expropriation, déclarant que le site constitue selon lui un héritage national et que son contrôle ne doit pas être abandonné.
Si la zone visée est classée en zone C, sous contrôle administratif et sécuritaire israélien, tandis que le centre bâti du village se situe en zone B, où l’administration civile est palestinienne mais la sécurité israélienne, les organisations locales soulignent que ces deux zones forment en réalité un paysage unique et continu.
Parcours touristique pour les Israéliens
Le projet prévoit notamment la création d’un parcours touristique destiné aux visiteurs israéliens, conçu pour contourner le village, ainsi que la construction d’un centre d’accueil et l’installation de clôtures autour de la zone archéologique, ce qui pourrait limiter l’accès des habitants à leur environnement immédiat.
Les pratiques archéologiques dans les territoires occupés font l’objet de critiques régulières de la part de plusieurs institutions internationales, parmi lesquelles l’UNESCO, la Commission d’enquête indépendante de l’ONU et la Cour internationale de Justice.
Toutes ont exprimé des préoccupations concernant le respect du droit international humanitaire et la gestion de sites culturels dans des zones où les populations locales n’ont pas de contrôle sur les décisions qui les concernent.
Ces enjeux ont également des répercussions dans les milieux académiques. En amont de la conférence de l’ASOR à Boston, certains chercheurs ont suggéré d’encadrer la participation d’archéologues israéliens, en raison de leur rôle institutionnel dans des fouilles et projets menés en Cisjordanie.
En Europe, des discussions similaires ont émergé au sein de l’Association européenne des archéologues, où la question de la représentation institutionnelle israélienne dans les colloques a été soulevée.
Les experts qui suivent ces évolutions rappellent que la Cisjordanie compte plus de 6 000 sites archéologiques enregistrés.
Selon plusieurs d’entre eux, la manière dont ces sites sont administrés dans un contexte de conflit prolongé a des répercussions sur le patrimoine régional, sur les communautés palestiniennes qui vivent à proximité de ces sites, et sur la crédibilité scientifique de l’archéologie opérée dans un environnement marqué par des enjeux politiques et territoriaux sensibles.
















