POLITIQUE
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Trump 2 à l'Afrique: du business plutôt que de l’aide
Dans sa logique de Make America Great Again, Washington a substitué les transactions économiques avec l’Afrique à la traditionnelle aide au développement, dans un continent perçu comme une immense réserve de ressources naturelles stratégiques.
Trump 2 à l'Afrique: du business plutôt que de l’aide
Archive. Biden avec Lourenço (Angola), Tshisekedi (RDC), Hichilema (Zambie) et le vice-président tanzanien Isdor Mpango, près de Lobito, le 4/12/ 2024 / Reuters
il y a 19 heures

A peine arrivé à la Maison Blanche pour un deuxième mandat le 20 janvier 2025, Donald Trump a pris une série de mesures, suscitant des interrogations sur la nouvelle tournure des relations entre Washington et l’Afrique. 

Outre le décret du 20 janvier 2025 ordonnant le gel de l’aide étrangère américaine qui a largement impacté le continent africain, il y a surtout l'annonce du Secrétaire d’Etat Marco Rubio du 10 mars portant suppression de 83% des programmes de l’agence de développement USAID. Autrement dit, le démantèlement de l’agence américaine pour le développement international qui fournissait, à elle seule, 42% de l’aide humanitaire mondiale.

En Afrique, l’on ne s’attendait pas à des décisions aussi brutales que dramatiques pour les citoyens. Au Cameroun par exemple, le programme Sacare, qui soutient les efforts du gouvernement dans la riposte contre le VIH, a aussitôt été suspendu. Depuis lors, la vie de 300 000 personnes est menacée du fait du gel du Plan d’urgence du président américain pour la lutte contre le sida (PEPFAR).

En RelationTRT Français - Achille Mbembe: "Le multilatéralisme doit revenir à l’ordre du jour"

En Afrique du Sud où 14% de la population est séropositive, la lutte contre le VIH a pris un sérieux coup. Le Pepfar représente en effet 17% du budget sud-africain consacré à la lutte contre le VIH. Il a permis à 5,5 millions de personnes de bénéficier d’un traitement antirétroviral, selon le ministère de la Santé.

L’aide extérieure “ne protège pas l’Amérique”

Donald trump

“Donald Trump affirme que l’aide extérieure “ne protège pas l’Amérique” et la qualifie de “gaspillage sans contrepartie directe” explique la Revue de Défense nationale de France dans un article consacré à la stratégie africaine de Trump 2.

Du business à la place de l’aide

“L’Afrique, continent historiquement marginalisé mais stabilisé en partie grâce aux instruments de diplomatie publique devient désormais le théâtre d’un repli stratégique doublé d’une logique extractive agressive. Le démantèlement de l’USAID (Agence américaine du développement international), la mise à l’écart de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA) et la suppression des opérations multilatérales témoignent de cette mutation géopolitique brutale”. 

Début novembre, Donald Trump a donné plus de lisibilité à sa stratégie africaine  en la consignant dans le rapport sur la sécurité nationale des États-Unis. Il apparaît que dans sa relation avec l’Afrique, Washington privilégie désormais des relations bilatérales basées sur des transactions économiques au détriment de l’aide au développement.

“Les États-Unis devraient passer d'une relation axée sur l'aide à l'Afrique à une relation axée sur le commerce et l'investissement, privilégiant les partenariats avec des États compétents et fiables, déterminés à ouvrir leurs marchés aux biens et services américains”, souligne le rapport sur la Sécurité nationale des États-Unis rendu public le 1er novembre dernier.

Les États-Unis, poursuit ce rapport, devraient plutôt chercher à nouer des partenariats avec certains pays (Africains, NDLR) afin d'apaiser les conflits, de favoriser des relations commerciales mutuellement avantageuses et de passer d'un modèle d'aide étrangère à un modèle d'investissement et de croissance capable d'exploiter les abondantes ressources naturelles et le potentiel économique latent de l'Afrique”.

Vu de Washington en 2025, l’Afrique apparaît comme un immense gisement de ressources à exploiter avec une préférence pour les métaux critiques et l'énergie. “Un secteur d'investissement prioritaire pour les États-Unis en Afrique, offrant de bonnes perspectives de retour sur investissement, comprend l'énergie et l'exploitation des minéraux critiques”, précise le rapport sur la stratégie de sécurité nationale des Etats-Unis.

D'après les informations du FMI, l’Afrique possède 30% des réserves prouvées de minerais essentiels. Il s’agit précisément de 85% de manganèse, 80% de platine, 47% de cobalt et 11% de cuivre. Des minerais au cœur de la transition énergétique.

Ces matières premières entrent dans la fabrication de véhicules électrifiés (cobalt, cuivre, lithium, graphites), dans les piles à combustible (métaux du groupe platine) et dans les technologies de l’éolien et du solaire photovoltaïque (cuivre, lithium, cobalt, nickel).

Duel entre les Etats-Unis et la Chine

Largement devancé par la Chine dans la course aux minéraux rares et l'accès aux sources d'énergie, Donald Trump perçoit ainsi l’Afrique comme un tremplin à même d’aider l’Amérique à combler son retard. “Le développement de technologies nucléaires, de pétrole et de gaz naturel liquéfié, soutenu par les États-Unis, peut générer des profits pour les entreprises américaines et nous aider dans la compétition pour les minéraux critiques et autres ressources”, souligne le rapport 2025 sur la stratégie de sécurité nationale des Etats-Unis.

Du reste, le 17 décembre dernier, Donald Trump a concrétisé la promesse de financement de son prédécesseur Joe Biden en Angola. La Société de financement du développement international des États-Unis (DFC) a conclu  avec Trafigura et de Mota Engil les deux principaux concessionnaires du corridor de Lobito un accord de prêt de 553 millions de dollars. Le couloir de Lobito est un chemin de fer long de 1300 kilomètres. Il relie les bassins de cuivre et de cobalt de Zambie et la RDC au port angolais de Lobito sur l'océan Atlantique. 

A terme, cet investissement “devrait permettre de multiplier par dix la capacité de transport de Lobito, pour atteindre 4,6 millions de tonnes annuel, et de réduire jusqu’à 30% le coût du transport des minerais essentiels”. 

Dans l'accès aux minerais critiques dans cette région, les Américains prennent ainsi une longueur d’avance sur les Chinois qui y développent un projet concurrent .

Pékin veut réhabiliter la ligne de chemin de fer Tanzanie-Zambie (TAZARA) longue de 1860 kilomètres grâce à un investissement de 1,4 milliard. L’objectif est de relier les mines de cuivre de la Zambie aux marchés internationaux à travers le port tanzanien de Dar es Salaam sur l’océan Indien.

Pour autant, l’un des principaux défis des États-Unis est la pacification de la région pour un meilleur accès aux matières premières. L’implication tout azimut de Donald Trump pour la paix dans l’Est de la RDC minée par des conflits endémiques et la normalisation entre le Rwanda et la RD Congo participent de cette logique.

Il en est de même de la lutte contre le terrorisme. Donald Trump a inauguré les bombardements américains dans le monde par des raids contre les cibles de Daesh en Somalie le 1er février dernier. Un pays qu’il n’a cessé de pourfendre. "Leur pays ne vaut rien pour une raison ou une autre. Leur pays est pourri, et nous ne voulons pas d'eux chez nous", a-t-il hurlé le 2 décembre courant dans une violente attaque xénophobe contre la Somalie.

Enfin, l'indocilité de l’Afrique du Sud, première économie africaine membre influente des BRICS “une organisation qui s’appuie sur le multilatéralisme”, apparaît comme “(...) un coup à la volonté des États-Unis de démanteler le multilatéralisme afin de coopérer directement avec les États. L’implication sud-africaine est un obstacle à cette politique, d’autant plus que le pays dispose de technologie adossée à un système de recherche scientifique idoine”, explique  à TRT Français, Mohamed Mbodj, professeur d’histoire africaine à Manhattanville College de New York. D'où les tensions caractéristiques des relations entre Pretoria et Washington, bien scrutées dans le reste du continent. 

Mohamed Mbodj estime que cela pourrait se traduire par : “Ne venez pas sur mes plates-bandes, occupez-vous de vos propres affaires, négociez individuellement, n’ayez pas une perspective panafricaine, ne sortez même pas du cadre de l’Afrique comme le fait l’Afrique du Sud”.

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SOURCE:TRT Francais