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Bernard Arnault paierait proportionnellement 6 fois moins d’impôts qu’un Smicard, selon Zucman
L’économiste Gabriel Zucman, spécialiste mondialement reconnu des inégalités et de l’évasion fiscale, souligne que le taux d’imposition sur les revenus de Bernard Arnault est six fois inférieur à celui d’un salarié au SMIC, soit 1,25 % contre 9,7 %.
Bernard Arnault paierait proportionnellement 6 fois moins d’impôts qu’un Smicard, selon Zucman
Attac, Oxfam France et 350.org lors d'un rassemblement à Paris pour défendre la "taxe Zucman" / Reuters
il y a une heure

L’émission Cash Investigation, diffusée sur France 2 le 4 décembre dernier, à révélé les données fiscales de Bernard Arnault, président de LVMH, concernant l’année 2023.

L’émission explique comment la structure patrimoniale du milliardaire, organisée autour de holdings familiales, contribue à réduire le montant de l’impôt effectivement acquitté.

Un patrimoine pensé pour réduire l’impôt

En raison du secret fiscal, le montant exact n’est pas rendu public. L’émission a donc choisi une représentation visuelle sous forme de perles — chacune valant 100 000 euros — réparties en trois catégories : “holdings”, “revenus” et “impôts”.

Le salaire déclaré chaque année par Bernard Arnault représente quelques millions d’euros, mais il ne constitue qu’une infime part de ses revenus.

Selon les calculs de Cash Investigation, la famille Arnault a perçu en 2023 3,2 milliards d’euros de dividendes, transférés aux holdings familiales qui détiennent l’essentiel des actions LVMH.

Selon Le Monde, Bernard Arnault a déjà transmis à ses cinq enfants la majorité de ses parts, tout en conservant l’usufruit, c’est-à-dire le droit de percevoir les dividendes.

Lorsque les dividendes restent dans les holdings, ils sont faiblement imposés, à hauteur de 1,5 %.

Bernard Arnault en transfère une petite partie sur son compte personnel, soumise à la flat tax de 30 %, et laisse la très grande majorité au sein des structures patrimoniales.

Selon l’économiste Lucas Chancel (Sciences Po, Laboratoire sur les inégalités mondiales), cette pratique s’explique par le faible besoin de liquidités des détenteurs de très grandes fortunes : une fois un niveau de revenu suffisant pour assurer un train de vie élevé, il n’est pas nécessaire de retirer davantage de fonds, permettant une optimisation fiscale importante.

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Moins d’impôts qu’un salarié au Smic

À la lumière des révélations de Cash Investigation, l’économiste Gabriel Zucman, professeur à l’Université de Californie à Berkeley et directeur de l’Observatoire européen de la fiscalité, a immédiatement analysé et diffusé ces données sur X, rappelant qu’un salarié au SMIC (1 398 € nets mensuels) supporte sur son revenu brut environ 9,7 % de CSG-CRDS (Contribution Sociale Généralisée et Contribution au Remboursement de la Dette Sociale), soit un taux six fois plus élevé que celui de Bernard Arnault, qui paie 1,5 % sur les 3,2 milliards d’euros de dividendes.

Zucman explique que ce taux extrêmement bas est rendu possible par un montage entièrement légal, comme pointé du doigt par Cash Investigation.

Les dividendes versés par LVMH sont d’abord encaissés par une cascade de holdings personnelles, principalement Christian Dior SE et plusieurs sociétés intermédiaires au Luxembourg et en Belgique.

Grâce au régime européen de participation-exemption, ces structures échappent presque totalement à l’impôt sur les dividendes reçus. La très grande majorité des 3,2 milliards d’euros reste immobilisée dans ces holdings et est réinvestie sans déclencher d’imposition immédiate pour la personne physique.

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LVMH a versé 13 euros de dividende par action en 2023. Bernard Arnault, qui contrôle environ 48 % du capital via ses holdings, a donc perçu le montant confirmé par les documents fiscaux. L’entreprise elle-même a acquitté 4,5 milliards d’euros d’impôt sur les sociétés la même année.

Selon les travaux de Gabriel Zucman et de l’EU Tax Observatory, les mécanismes utilisés par Bernard Arnault sont représentatifs de ceux employés par l’ensemble des ultra-riches français : les 100 plus grands patrimoines du pays paient en moyenne entre 2 et 3 % d’impôt effectif sur leurs revenus du capital, contre 20 à 45 % pour les classes moyennes et supérieures salariées. 

Le manque à gagner pour l’État est ainsi estimé entre 15 et 25 milliards d’euros par an, selon l’économiste.

Au 5 décembre 2025, le projet de loi de finances pour 2026, en discussion à l’Assemblée nationale, ne prévoit aucun dispositif visant à instaurer une taxation minimale des très grands dividendes ou à réintroduire un impôt sur les fortunes mobilières, malgré les alertes répétées de Gabriel Zucman et d’autres économistes.

Arnault a bénéficié d’aides publiques

Cash Investigation a également publié de nouveaux éléments sur les conditions dans lesquelles Bernard Arnault a repris le groupe textile Boussac en 1984.

Les journalistes ont retrouvé, dans les archives du ministère de l’Économie, un document inédit présentant pour la première fois le montant exact des aides publiques accordées lors de cette opération, à Bernard Arnault qui soutient souvent que les politiques ne doivent pas se mêler du monde de l’entreprise.

Au début des années 1980, Boussac, conglomérat textile employant environ 17 000 salariés, était au bord de la faillite. L’État devient actionnaire pour tenter de sauvegarder les emplois et cherche un repreneur.

Le groupe possède alors un actif particulièrement convoité : Christian Dior Couture. Bernard Arnault, alors âgé de 35 ans et dirigeant de la société familiale Ferinel, se positionne comme candidat. 

Les médias le surnomment alors “Tintin”. Le 16 décembre 1984, il adresse une lettre au Premier ministre Laurent Fabius pour demander un appui financier. Le gouvernement donne une réponse favorable dès le lendemain.

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Selon la note retrouvée dans les archives, Ferinel a racheté Boussac pour 400 millions de francs, soit l’équivalent de 133 millions d’euros constants. Les aides publiques accordées atteignent 633,1 millions de francs, soit environ 211 millions d’euros constants.

Bernard Arnault s’engage à rembourser 300 millions de francs si l’entreprise redevient bénéficiaire, en plus de plusieurs prêts accordés par l’État. 

Après la publication de l’enquête, LVMH a précisé qu’il existait plus d’un milliard de francs à rembourser aux pouvoirs publics et affirme que ces sommes avaient été intégralement réglées.

En 1995, la Commission européenne impose toutefois à LVMH le remboursement d’une partie des aides, estimant qu’une partie du dispositif n’était pas conforme aux règles européennes encadrant les aides d’État.

SOURCE:TRT français et agences