Le président turc Recep Tayyip Erdogan et le président Ukrainien Volodymyr Zelensky lors d'une conférence de presse en aout 2022 (Others)

Après un an de guerre entre la Russie et l’Ukraine, le curseur de la diplomatie internationale est en train de se déplacer doucement mais sûrement vers le continent asiatique. Si l’occident, -les Etats-Unis en premier lieu et l’Union Européenne son alliée de toujours-, ont pour habitude d’endosser le rôle de garants de la paix dans le monde, le conflit entre la Russie et l’Ukraine a mis à mal ce positionnement. Et ce, au profit de nouveaux pays qui s’érigent de plus en plus comme des interlocuteurs crédibles sur l’échiquier international : la Turquie et la Chine.

Alors que la situation est de plus en plus tendue sur le terrain de ce qui devait être une guerre “éclair”, notamment à Bakhmout en Ukraine, où les troupes russes ont violemment gagné du terrain, les sanctions européennes et américaines pleuvent sur le Kremlin et au moins 31 pays participent à l’effort de guerre Ukrainien face à son rival.

De l’autre côté, la Chine s’est abstenue lors de l’Assemblée générale des Nations Unies du 24 février de voter la résolution appelant la Russie à retirer immédiatement ses troupes d’Ukraine. Le même jour, Pékin publie sur la “position de la Chine sur le règlement politique de la crise ukrainienne”. On notera que depuis le début du conflit, la chine refuse d’employer le mot “guerre” et, différence fondamentale avec le texte de l’ONU, met la Russie et l’Ukraine sur le même plan.

Le plan de paix chinois comporte plusieurs points. Les deux premiers n’évoquent pas explicitement la “crise” ukrainienne mais souligne la nécessité de “respecter la souveraineté de tous les pays”. Le second appelle à “abandonner la mentalité de guerre froide”. Pour la Chine, “la sécurité d’une région ne devrait pas être réalisée en renforçant ou en élargissant des blocs militaires”. Une critique implicite de l’existence même de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). D’ailleurs comme le rapporte le journal le monde, la caricature du quotidien Chinois Global Times de vendredi dernier représentait des bâtons de dynamite attachés les uns aux autres, avec la mention : “conflit Russie-Ukraine”. Passe l’Oncle Sam qui, négligemment, jette un briquet allumé, sur lequel est écrit : “expansion de l’OTAN”.

Cette proposition d’intervention diplomatique de la Chine intervient au lendemain d’une visite de deux jours à Moscou de Wang Yi qui a rappelé “l’amitié solide comme un roc” entre la Russie et la Chine. Aucune mention n’est faite de fourniture d’armes par la Chine à la Russie, mais plusieurs sources révèlent depuis quelques semaines des intentions chinoises de livrer de l’armement au Kremlin, dont notamment une centaine de drones. Sans surprise, cette hypothèse est soutenue par la CIA et dénoncée depuis des jours par le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken pour qui une telle vente constituerait “une ligne rouge” et une véritable rupture entre la Chine et l’occident.

Pour le moment, le plan de paix proposé par la Chine n’a pas convaincu le Kremlin, estimant toutefois qu’alors que la proposition “méritait l'attention", les conditions nécessaires à une solution "pacifique" n'étaient pas réunies "pour l’instant”.

Kazakhstan nouvelle région clé ?

Par ailleurs, dans ce contexte où les sanctions décidées par l’occident, notamment en matière d’achat de gaz russe ont eu certes un impact sur la consommation d’hydrocarbures en Europe, qui est largement dépendante des énergies russes, le Kazakhstan s’impose comme la nouvelle plaque tournante des besoins énergétiques.

L’Union Européenne était jusqu’en 2021 le premier client de gaz Russe et Moscou était le premier fournisseur de pétrole de l’Union Européenne. Le Kazakhstan est l’un des principaux exportateurs d’uranium au niveau mondial, important pour la filière du nucléaire français, et de nombreuses entreprises françaises y sont implantées depuis des années.

Ce pays d’Asie centrale a par ailleurs proposé aux entreprises occidentales qui ont quitté le marché russe de venir s’installer chez lui. Certaines entreprises européennes y ont effectivement déplacé leurs bureaux, autrefois à Moscou. Près de 20% du PIB kazakh dépend de l’exportation du pétrole. Mais l’or noir kazakh, vendu aux clients européens, transite par la Russie. Depuis le début de la guerre en Ukraine, la livraison via cet oléoduc a été suspendue par la Russie à plusieurs reprises, peut-être pour signifier à cette ex-république de l’Union soviétique qu’elle ne devait pas trop s’éloigner de Moscou, selon plusieurs observateurs.

Et alors qu’il y a une semaine le Kazakhstan et la Russie annonçaient un projet de Gazoduc vers la Chine c’est au tour du secrétaire d’Etat américain Antony Blinken de se rendre en Asie centrale cette semaine afin de renforcer l’influence américaine dans la région. Le chef de la diplomatie américaine s'est entretenu avec ses homologues du Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan, Tadjikistan et Turkménistan dans la capitale kazakhe Astana, dans le but de renforcer l'empreinte des Etats-Unis dans cette région prise en étau entre le puissant voisin russe, ex-puissance tutélaire concentrée désormais sur l'Ukraine, et l'influence grandissante de la Chine, notamment via son projet d'investissements des "nouvelles routes de la soie”.

Principale annonce effectuée lors de sa visite : , M. Blinken a indiqué que 25 millions de dollars supplémentaires seront débloqués, après une première tranche équivalente annoncée en septembre, pour aider les pays centrasiatiques à notamment diversifier leurs routes commerciales et à créer des emplois.

Le rôle primordial de la Turquie dans la résolution du conflit

De l’autre côté de la mer noire, la Turquie tente depuis le début du conflit de s’imposer en médiateur entre les deux pays avec lesquels elle a tissé depuis des années des relations bilatérales fortes. Le 24 février dernier, les présidents turcs et ukrainiens se sont entretenus par téléphone. Remerciant Zelensky qui a manifesté sa solidarité envers la Turquie en envoyant des équipes de sauvetages ainsi que du matériel au pays qui a subi deux violents tremblements de terre, Recep Tayyip Erdogan a rappelé que la Turquie était prête à apporter toutes les contributions possibles d’une solution de paix. Solution basée sur un cessez-le-feu et des négociations entre les deux pays voisins.

Ce n’est pas la première fois que la Turquie endosse ce rôle de médiateur depuis que le conflit a éclaté. Une première réunion avait, en effet, eu lieu entre les chefs des diplomaties russe et ukrainienne en Turquie deux semaines après le début du conflit. Puis, Istanbul a également abrité des pourparlers directs entre les délégations des deux pays, avec la participation du président Erdogan, le 29 mars. Mais le point culminant de ces démarches restera, sans nul doute, la signature, le 22 juillet à Istanbul, de l’accord pour la création d’un corridor céréalier en mer Noire, avec la médiation d’Erdogan et du le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres.

Ce succès aura permis de réduire fortement les risques d’une grave crise alimentaire mondiale. Après le passage de centaines de navires et l’acheminement de plus de 9 millions de tonnes de céréales, Moscou décide de suspendre sa participation à l’accord suite à des attaques ukrainiennes contre ses navires.

Au milieu de nouvelles inquiétudes à propos de de l’apparition d’une crise alimentaire mondiale, l’intervention et la capacité de persuasion d’Erdogan permettront en quelques jours seulement le retour de la Russie à l’accord, cette fois-ci avec un accord entre Moscou et Ankara d’envoyer gratuitement des céréales vers les pays les plus touchés tels que la Somalie, le Soudan et Djibouti.

La guerre en Ukraine qui se déroule entre autres sur les rives de la mer Noire implique nécessairement la Turquie, toujours gardienne des détroits, aux termes de la convention de Montreux, encore en vigueur. Membre de l’OTAN depuis 1952, la Turquie a dénoncé l’offensive russe, mais n’a pas pris de sanctions contre Moscou, et a livré de l’armement particulièrement efficace à l’Ukraine. Le pays a ainsi réussi à incarner le rôle du médiateur le plus crédible depuis le début du conflit.

TRT Francais