Cet anniversaire est l’occasion de se demander ce que la laïcité veut dire exactement. Ce vendredi 5 décembre, la Défenseure des droits française Claire Hédon a publié son rapport de décembre 2025 et elle conclut à une “interprétation erronée” de la laïcité aujourd’hui en France.
Claire Hédon souligne l’augmentation des discriminations fondées sur la religion en France sous l’effet de discours stigmatisants. Dans son enquête, elle souligne que 38 % des femmes de confession musulmane et 31 % des hommes musulmans déclarent avoir été discriminés à cause de leur religion.
La Défenseure des droits se base sur le rapport 2024 de la commission nationale consultative des droits de l’homme sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, dans lequel 24 % des sondés disent comprendre la laïcité comme une “interdiction des signes religieux dans l’espace public”, ce qui la conduit à conclure que la France souffre d’une “interprétation erronée” du principe édicté dans la loi de 1905.
L’Article 2 assure la liberté de l’exercice du culte
Dans son livre “De la laïcité en France,” paru en 2022 et réédité en janvier 2025 (Folio), Patrick Weil revient sur l’esprit et la genèse de la loi de 1905. Le politologue rappelle que l’article 1 de la loi de 1905 instaure la liberté de conscience et “assure le libre exercice des cultes, c’est-à-dire que toute personne a le droit de porter un signe religieux dans l’espace public. Il souligne que “c’est l’esprit du législateur”. L’article 2, lui, instaure la séparation de l’Eglise et de l’Etat.
“Le péril que court la laïcité, c’est l’ignorance de ceux qui en parlent, leur méconnaissance du droit et de la jurisprudence“ Une conclusion sévère du politologue formulée sur France Culture, le 1er juin 2025.
L’universitaire rappelle ensuite que la loi de 1905 a une dimension universelle et qu’elle ne concerne pas uniquement les religions chrétiennes de la métropole. Pour l’anecdote historique, il faut savoir que les députés français avaient, à l’époque, inclus l’Algérie française dans le champ de la loi de 1905 bien qu’elle n’y ait jamais été appliquée. Patrick Weil résume ce qu’il considère comme l’esprit de la loi de 1905 : “Chacun a sa place, agnostique, religieux, laïque, croyant, non-croyant”.
Mais alors comment en est-on arrivé là ? En 2004, le port du voile est interdit dans les écoles françaises, en 2010, le port du voile intégral, c'est-à-dire qui recouvre le visage, est interdit dans l'espace public. En 2013, les parents d’élèves doivent signer la première charte de la laïcité à l'école. En mai 2015, une loi sur le principe de "neutralité religieuse" est votée pour les structures accueillant des enfants de moins de six ans.
Et à la rentrée 2023, le ministre de l’Education interdit le port de l'abaya, cette longue robe traditionnelle couvrant le corps, à l'école, au nom du respect de la laïcité. Cette même année, il manque des centaines de professeurs mais l’abaya fait le buzz de la rentrée.
La laïcité, le cheval de Troie de l’extrême-droite
Comment s’est opéré ce glissement de sens et d’interprétation dans l’espace politique français à tel point qu’un député Les Républicains, Laurent Wauquiez, parti héritier du gaullisme en arrive à proposer l’interdiction du port du voile aux mineurs dans l’espace public (proposition de loi le 24 novembre dernier) ?
Le chercheur belge en science politique François Debras, maître de conférence à l’Université libre de Bruxelles et animateur du podcast PopEx (Populisme, Extrémisme et Complotisme) a une réponse. Une réponse, au terme de son étude des discours des partis extrémistes européens dont ceux du Rassemblement national français.
Ses recherches indiquent qu’en voulant se dédiaboliser dans les années 90, les partis d’extrême droite ont remplacé le discours raciste classique par des concepts comme l’égalité homme-femme et la laïcité, des valeurs mises à ma,l selon eux, par la présence des croyants musulmans.
C’est ainsi que le Rassemblement national est devenu - en tout cas dans ses discours - le champion auto-proclamé de la laïcité en France. Une notion, historiquement défendue par les partis de gauche. Ainsi, Marine Le Pen demande régulièrement l’interdiction du voile dans tout l’espace public au nom de … la laïcité, qu’elle dit menacée.
Historiquement défendue par les partis de gauche, la notion de laïcité apparaît dans les discours du Rassemblement national (RN) sous la présidence de Marine Le Pen et à plusieurs reprises, elle évoque une laïcité menacée ou la nécessité de l’étendre à l’ensemble de l’espace public. Face à un islam plus visible dans l’espace public, la laïcité devient un enjeu politique central et une thématique récurrente des discours du RN. Il est à noter qu’elle n’est utilisée que contre les musulmans.
Ce glissement rhétorique ne veut pas dire que le RN n’est plus raciste. Il est toujours ancré dans une idée simple : “eux” contre “nous”. Mais les mots sont moins choquants et veulent donner à croire qu’ils concernent l’entier de la société.
Dans une tribune du journal Le Monde signée ce 8 décembre, l’historien et sociologue Jean Baubérot-Vincent regrette que les attentats de 2005 aient conduit la République à une surenchère législative au nom de la laïcité. Il écrit ainsi : “Ceux qui acceptent, de fait, une laïcité à géométrie très variable font, à leur insu, le jeu du radicalisme islamiste. Seule une laïcité qui évite soigneusement toute discrimination et défend une liberté de conscience égale pour tous combat efficacement l’extrémisme religieux”.
C’est cela l’esprit de la loi de 1905, rappelle-t-il. Et il termine par cette phrase un peu désabusée. “Faute de correctifs et d’actualisations, la célébration des 120 ans de la loi de 1905 risque fort d’être entachée d’hypocrisie et de faux-semblants”.















