Au terme de quatre semaines de débats, et après les plaidoiries des parties civiles, les deux représentantes du parquet national antiterroriste (Pnat) ont pendant six heures et demi livré un réquisitoire méthodique et sans concession.
"Nous ne sommes pas dans une affaire financière mais dans une affaire de nature terroriste", a d’emblée précisé Aurélie Valente. Pour la procureure, "peu importe le niveau d'élaboration des circuits financiers", "seule compte la finalité des flux financiers".
Lafarge est soupçonné d'avoir versé en 2013 et 2014, via sa filiale syrienne Lafarge Cement Syria (LCS), plusieurs millions d'euros à des groupes terroristes dont Daesh afin de maintenir l'activité d'une cimenterie à Jalabiya, dans le nord de la Syrie, alors que les autres entreprises étrangères avaient plié bagage.

“Ce n’est pas une affaire financière”
Dans leurs réquisitions, les magistrates ont expliqué avoir retenu "l'absence totale d'adhésion à l'idéologie jihadiste" des personnes jugées, mais elles ont aussi insisté sur l'"extrême gravité des faits" et "l'absence de reconnaissance" des prévenus, qui n'ont pas exprimé de "regrets" lors des débats.
Contre l'ex-PDG du groupe, Bruno Lafont, qui a réfuté avoir été au courant des versements illicites, le Pnat a demandé six ans d'emprisonnement, 225.000 euros d'amende et une interdiction d'exercer une fonction commerciale ou industrielle ou de gérer une entreprise pendant 10 ans. Les emails présentés durant le procès montrent que sa secrétaire recevait sous plis confidentiel le détails des paiements et des activités de l’usine syrienne.
Selon le Pnat, il était bien informé et a "donné des directives claires" pour maintenir l'activité de l'usine, "un choix purement économique, ahurissant de cynisme".
La peine d'emprisonnement la plus lourde requise, de huit ans, concerne l'intermédiaire syrien Firas Tlass, visé par un mandat d'arrêt international et réfugié à Dubaï.
Concernant la personne morale, la société Lafarge SA, le ministère public a aussi demandé la confiscation partielle de son patrimoine à hauteur de 30 millions d'euros.
Le Pnat a en outre réclamé à l'encontre de quatre des prévenus, dont Bruno Lafont, et de la société une amende douanière solidaire de 4,570 millions d'euros, pour le non-respect des sanctions financières internationales, autre infraction au cœur du procès.
Le mercantilisme poussé à l’extrême
"C'est l'histoire d'un dérapage, d'un dévoiement qui fait que la société Lafarge, fleuron de l'industrie française, en est venue à financer des organisations terroristes, dans une seule visée: mercantile", a estimé Aurélie Valente. Elle a dénoncé un "fonctionnement systémique" de la société, qui en est venue à considérer les organisations terroristes comme des "partenaires économiques, des interlocuteurs commerciaux".
Pour le Pnat, les versements aux groupes classés comme "terroristes" a atteint un montant minimal de près de 4,7 millions d'euros.
Les prévenus ont expliqué avoir été l'objet de "racket" de la part des différentes factions armées qui encerclaient l'usine, et y avoir cédé, pensant que la situation ne durerait pas aussi longtemps. Une thèse balayée par l'accusation qui a également réfuté la ligne de défense consistant à dire que les autorités françaises - diplomatie et services de renseignement - avaient incité Lafarge à rester en Syrie.
"LCS a été cet animal assurément commercial (...) qui a nourri à coups de millions d'euros la bête jihadiste", a asséné l'autre représentante du ministère public, Olga Martin-Belliard.
La société avait déjà accepté de payer une amende de 778 millions de dollars aux États-Unis dans le cadre d'un accord de plaider-coupable pour les mêmes faits.
La défense doit plaider jusqu'au 19 décembre. Le délibéré est attendu en 2026.

















