Martinique: quand déboulonner des statues soigne la blessure mémorielle
Statue du député Victor Schœlcher qui a fait voter l'abolition de l'esclavage par l'Assemblée française
Martinique: quand déboulonner des statues soigne la blessure mémorielle
Pendant trois jours, le tribunal correctionnel de Fort-de-France a jugé l’affaire du déboulonnage de 3 statues en Martinique en mai 2020. Le jugement est attendu le 17 novembre mais le déboulonnage constitue-t-il une forme de réparation ?
il y a 7 heures

Ce procès était tout sauf ordinaire. Les 11 prévenus ont tous revendiqué le déboulonnage comme un acte collectif, ils ont tous revendiqué la responsabilité de ces déboulonnages.
Les 19 témoins appelés à la barre étaient tous venus pour soutenir la défense, ce qui représente une autre singularité. Pour eux, le “déchoukaj” de ces statues d’anciens esclavagistes ou de personnages liées au dossier de la colonisation est un acte politique et n’a rien de criminel.

Autre particularité et non des moindres, ce procès s’est terminé sans réquisition de la procureure, pourtant très inflexible au début du procès. 

Les avocats des 11 prévenus ont plaidé la relaxe, invoquant notamment la mémoire historique, la liberté d’expression et l’absence de preuves matérielles. La décision est mise en délibéré au 17 novembre.

Juliette Smeralda, sociologue martiniquaise était l’une des 19 témoins de la défense. Elle explique que l’enjeu de ce procès est important : “C’est un sujet sensible car la France est le seul pays à avoir pris la décision de judiciariser des actes que d’autres pays ont décidé de politiser et de porter sur la scène publique”. Certains pays ont, en effet, choisi soit de retirer ces statues, soit de les maintenir  en y adjoignant des panneaux explicatifs pour les replacer dans leur contexte historique.

Marcellin Nadeau, député de Martinique est aussi venu soutenir les 11 prévenus lors des trois jours d’audience. L’élu regrette la “criminalisation” de cette affaire. Le Groupe GDR (Gauche Démocrate et Républicaine) de l’Assemblée nationale rappelle dans un communiqué que ces actions s’inscrivent dans un mouvement mondial contre le racisme et le colonialisme, et appelle à la relaxe des prévenus, soulignant l“’impunité” face à des scandales comme celui du chlordécone, dossier source de tension entre la Martinique et la métropole. 

Ce pesticide interdit en France car cancérigène a été utilisé jusqu’en 1993 dans les Caraïbes pour soutenir la culture des bananes, provoquant une pollution encore présente aujourd’hui.

Une France “sourde” à la question de la mémoire

Dimanche 14 juin 2020, quelques semaines après les événements de Martinique, Emmanuel Macron avait été clair sur le débat autour de figures de l’histoire de France : “La République ne déboulonnera aucune de ses statues”, avait-il déclaré dans cette interview télévisée.

Juliette Smeralda insiste sur les déclarations de la procureure lors du procès, celle-ci a répété à l’envi que le droit français s’appliquait en Martinique, et que l’île était française. “C’est oublier que 8 000 km nous séparent et que malgré tout nous vivons toujours selon des principes coloniaux“, commente la sociologue.

L’universitaire explique qu’une partie de la jeunesse martiniquaise est aujourd’hui extrêmement mobilisée sur la question de la mémoire et de l’identité martiniquaise. “Il y a une accumulation de rancœur car la France n’a pas jugé bon d’abolir le code noir (code régissant l’exploitaion des esclaves), elle ne nous considère pas comme une humanité. Et surtout, cette jeunesse remonte le fil de l’histoire, de [son] identité, et  [elle a] compris que les demandes de respect qu’[elle] pose à l’État français ne sont pas entendues. Je l’ai dit au procès : “la France est sourde”. 

“Schoelcher n’est pas notre sauveur”

Les statues déboulonnées en mai 2020 sont en effet celles de personnages qui racontent l’Histoire de France, selon la version de la métropole. La statue d’Esnambuc est celle d’un flibustier mais aussi celui qui a colonisé la Martinique. Le 15 septembre 1635, Pierre Belain d’Esnambuc prend possession de l’île de la Martinique, il est l'un de ces "pirates des Caraïbes" qui va mettre en place le système esclavagiste aux Antilles françaises. 

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Autre statue déboulonnée, celle de Joséphine de Beauharnais. Si elle fut la première épouse de Napoléon 1er, elle était également la fille d’un propriétaire de plantation. 

Enfin, deux statues de Victor Schœlcher ont été détruites. Si le député alsacien est à l’origine de l’abolition de l’esclavage en France votée le 27 avril 1848, les Martiniquais préfèrent, eux, rappeler que l’abolition de l’esclavage avait déjà été décidée quelques semaines avant en Martinique après une importante révolte d’esclaves. Dans un communiqué, les manifestants avaient expliqué leur acte en 2020 en affirmant “Schœlcher n’est pas notre sauveur”.


Pour la sociologue martiniquaise, la présence de ces statues dans l’espace public est une forme de “brutalité symbolique”. Voir au quotidien des artisans de l’esclavage ou du système colonial être fêté est une brutalité symbolique envers les Martiniquais.

Plusieurs membres du collectif "Rouge-Vert-Noir" avaient lancé aux autorités martiniquaises un ultimatum réclamant en mai 2020 que ces statues qui ne sont pas "représentatives du peuple martiniquais" soient "déchouké". 

Le procès de ces déboulonnages intervient dans un contexte social tendu  en Martinique. L’île a vécu une mobilisation très importante contre la vie chère en septembre 2025. Cette mobilisation a dénoncé un système économique colonial encore prégnant aujourd’hui, et principalement aux mains des anciennes familles de planteurs, avec un système de taxes qui renchérit les produits.

L’un des avocats de la défense a posé la question de la légitimité de l’Etat français à instruire un procès sur la question de l’esclavage. L'État français peut-il être impartial dans un procès qui a un lien avec un crime contre l’humanité ? L’esclavage a été reconnu comme un crime contre l’humanité par la loi Taubira en 2001 mais la France écarte toujours l’idée de réparations aux descendants des esclaves.

SOURCE:TRT FRançais
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