Des  français issus de l’immigration ont fait le choix de quitter la France notamment en raison du “climat délétère” qui y règne (AFP) (AFP)

“La France m’a tout donné, elle m’a adopté, m’a fait grandir pour me faire comprendre finalement que je n’étais pas son fils. Elle a fini par renier ce que j’étais. Le Maroc concrètement ne m’a pas donné tout ça, il m’a laissé un héritage, mais il ne m’a surtout fait aucune promesse, il m’a accueilli tel que j’étais’, insiste Nabil B., un Franco-marocain installé au Maroc depuis 2010.

Entre un amour inconditionnel et un désamour de plus en plus prononcé, la balance affective penche d’un côté pour ce Montbéliardais. “Il y a une sorte de +je t’aime, moi non plus+ entre nous. Nous sommes déçus l’un de l’autre”, somme-t-il amèrement.

Comme lui, d’autres ont sauté le pas. Siham T, 40 ans, maman d’un garçon de 8 ans et d'une fille de 5 ans, a élu domicile, après le Covid, dans la capitale marocaine, Rabat. Cette Franco-tunisienne, mariée à un homme d’origine marocaine n’a pas hésité une seule seconde.

“Passer de la région parisienne à la magnifique ville côtière de Rabat, c’est passer de l’enfer au paradis !”, se réjouit-elle fièrement. “Mes enfants ont une forte identité marocaine, ils connaissent du pays l’hymne et sont très patriotes ! Pour moi l’attachement à une patrie est très important pour leur équilibre”.

“Le Maroc est la partie de ma personnalité que je n’avais pas en France. C’est là où je peux être un bon père, un bon musulman et un entrepreneur sans travestir la personne que je suis”, pense ainsi Youssef. M (nom modifié).

Cet entrepreneur de 34 ans, papa de deux enfants, boucle sa décennie d'emménagement au Maroc. Un challenge au départ et un rêve devenu réalité pour ce natif de Taza qui avait traversé la Méditerranée à tout juste quelques mois, grâce à un regroupement familial.

A la recherche d'une vie meilleure

Nabil, Siham ou encore Youssef ne sont que l’archétype de milliers de jeunes Français qui quittent la France pour plusieurs raisons : discriminations, faibles opportunités de travail ou manque de considération.

Un phénomène grandissant, selon plusieurs études comme ce sondage de l’institut français OpinionWay, publié le 8 janvier dernier. Un chiffre éloquent en ressort : 30 % des Français seraient prêts à partir pour l’étranger.

Climat politique anxiogène en France, conjoncture économique favorable au Maroc, les facteurs sont multiples pour expliquer pourquoi le Royaume. C’est ce que soutient Jamal Belahrach, président de la Maison de la Diaspora.

Selon ce Franco-marocain, qui a aussi choisi le pays de ses parents pour vivre, “le Maroc vit un momentum exceptionnel en termes de développement économique. Il y a des événements importants qui sont venus relayer tout cela comme la coupe du monde. Mais il y a tout le reste ; les nouvelles industries qui sont en train de se développer”.

Les données relatées par l’association, chiffres non officiels puisque les statistiques ethniques sont interdites par la loi française, estiment que près de 50.000 Français sont inscrits dans les consulats français au Maroc parmi lesquels environ 85% seraient des binationaux et au moins 50.000 autres Français au Maroc vivraient de manière pendulaire.

La CCI franco-marocaine rappelle également qu’elle anime un réseau de plus de 4.000 entreprises dans tous les secteurs d’activités. L’entreprenariat constitue l’une des principales niches d’emploi pour ces nouveaux arrivants.

“Ça a été un beau challenge, une nouvelle vie. Mon mari a créé sa boîte et travaille à distance de son canapé. Une femme de ménage s’occupe de la maison. En rentrant du travail je passe du temps de qualité avec mes enfants. Ca n’a pas de prix, comparé à l’énorme charge mentale vécue en France”, témoigne Siham à TRT Français.

Siham T. 40 ans, maman d’un garçon de 8 ans et d'une fille de 5 ans, a élu domicile dans la capitale marocaine, Rabat. (Others)

Quant à Youssef, après avoir fait escale à Dubaï, il décide de prendre ses quartiers à Casablanca avec l’objectif d’ouvrir une filiale de la multinationale qui l’emploie. Il se marie un an après son arrivée avec une Casablancaise.

“Le rêve c’était le Maroc mais je ne savais pas si j’allais y arriver immédiatement. J’ai été recruté à travers un V.I.E en 2013. Puis j’ai découvert Casablanca, avec l’adhan, ici tout est halal et il n’y a aucun plafond de verre pour les ambitions professionnelles”.

Nabil, lui, prendra le large après l’une de ses sœurs et posera aussi ses valises dans la ville blanche.

“Avec ma femme, nous avons commencé par du salariat, car la aussi l’ironie c’est que je refusais la notion d’intégration en France. Mais pour moi c’était différent ici, je ne connaissais le Maroc qu’à travers les vacances. Aujourd’hui, j’ai un cabinet de courtage en assurance à Casablanca et nous avons lancé au Maroc une application de recrutement. Finalement, on va aller à la conquête de la France comme l’ont fait nos parents”, raconte fièrement Nabil à TRT Français .

Le refus de subir

Des ambitions, des rêves nés d’une vie vécue par procuration dans cet “Eldorado”que recherchaient à l’origine leurs parents. Ceux de Siham “sont arrivés en France dans les années 70. Papa y a ouvert une épicerie et a installé sa petite famille dans le 19e à Paris. Originaires de Djerba, ils venaient pour travailler et offrir à leurs enfants une vie meilleure. En 1986, mon papa a décidé d’acheter un appartement dans une résidence assez luxueuse à Clichy sous-bois. Au fil du temps, ce lieu idyllique s’est transformé en enfer, les immeubles se sont dégradés”, relate la quadragénaire.

Parcours quasi-similaire pour Nabil. “Nous avons grandi à Valentigney avec ma mère, ma sœur et mon frère. Mon père est hélas décédé très tôt d’un accident de voiture. Le quartier formait une petite communauté brassée de différentes cultures. Une douce enfance et une adolescence plutôt sympathique, malgré un quartier réputé difficile”.

Une zone dont le quotidien était rythmé par des crises selon Nabil ; “c’était souvent mêlé à des périodes de chômage et chaque poussée de production de Peugeot qui relançait la dynamique intérim, replongeait la région dans la sérénité”.

Pour Youssef, c’était pour ainsi dire du pareil au même. “Famille marocaine rurale qui a été accompagnée en France pour faire le travail que les Français ne souhaitaient pas faire. Mon père était bûcheron en Corse puis il a travaillé longtemps dans le Sud de la France. Il est arrivé avec des contrats de saisonniers. Pendant 10 ans, il était 6 mois au Maroc et 6 mois en France. Ce n’est que 20 ans plus tard qu’il a ramené sa femme et ses enfants”. Le trentenaire évoque son enfance avec beaucoup de nostalgie, “nous étions pauvres mais très heureux”.

Pour Jamal Belharach, les personnes qui "rentrent ou qui ont envie de rentrer voient d’abord les opportunités de travail et professionnelles parce qu’effectivement ils sont peut-être en difficulté là-bas ou ils ont juste envie d’un autre environnement. J’ose espérer que c’est 60 à 70% de la motivation. Maintenant vous avez 30% qui disent c’est un pays musulman, c’est bon pour ma famille et beaucoup plus sain”. L’envie de changement serait ainsi plus grande que le facteur religieux, même s’il contribue à faire pencher la balance.

Contrer les discriminations et la stigmatisation

Diplômée de la Sorbonne en littérature et professeure de Lettres, Siham a souvent été “cataloguée” comme “maghrébine”, “étrangère”… Elle se souvient encore : “Un soir aux urgences, une aide-soignante m’a même demandé sur un ton très condescendant si je parlais français. Mes enfants ont été un premier déclic. J’ai compris que je ne voulais pas finir ma vie en France, qu’il fallait qu’ils grandissent dans un univers plus sain, plus en phase avec nos valeurs et notre éthique”.

De son côté, pour Nabil, l’envie de découvrir était beaucoup trop forte. “Moi, qui n’avais jamais quitté la France, le déclic a été double. Il y avait d’abord un climat pesant en France : l’arrivée de Sarkozy et son envie de tout nettoyer au Karscher. Ensuite, du fait de ma double culture, j’ai toujours ressenti une attirance pour le Maroc et il présentait à ce moment de belles opportunités”, explique l’entrepreneur dans l’âme.

Une problématique à laquelle a dû aussi faire face Youssef : toujours prouver plus. Il dit: “le racisme, je ne l’ai jamais rencontré frontalement. En revanche, j’ai dû passer 50 ou 70 entretiens pour trouver à chaque fois un stage. J’évite de me dire que c‘est à cause de ma tête, je n’ai jamais été dans la victimisation”. Pour lui, le déclic “ça a été Mohammed Merah, les attentats de 2012. Au travail, avec moi les discussions étaient exclusivement orientées autour de la sémantique religieuse, de l’intégration des “muslims”, de discussions néfastes”.

“Je ne retournerai jamais en France”

“Je me suis lancée un peu à l’aventure, et je ne regrette vraiment pas ! Nous avons absolument tout acheté ici. Nos premiers repas se faisaient à même le sol ! Notre force, c’est de faire la jonction entre la France et le Maroc. Ce qui est une faiblesse là-bas, est une force ici”, argue sans retenue Siham, même si le fromage français lui manque, ironise-t-elle.

Pour Nabil, son installation au Maroc lui permet aujourd’hui de passer un message fort : “Si ça ne me plait pas, je tente autre chose. Si je n’ai pas le pouvoir de faire bouger les lignes mais la capacité de trouver mieux, alors je bouge sans peur”.

Youssef, quant à lui, le crie haut et fort, “je ne retournerai jamais en France, c’est un niet catégorique. J’ai même envie de poser la question inverse, pour quelles raisons je rentrerais en France ? Mon divorce avec elle est même culturel”.

TRT Francais