Omar Sy sur le plateau de l'émission Quotidien sur TMC (Others)

Les euphémismes d’Omar Sy semblent susciter une plus grande émotion en France que les tentes lacérées d’exilés venus de Syrie, d’Afghanistan ou d’Afrique, continent en proie à de nombreux conflits dont l’un des plus meurtriers ces dernières années, celui du Tigré en Ethiopie. Pourtant depuis le début de la guerre en Ukraine, les exemples du double standard dans le traitement des exilés ne manquent pas.

D’aucuns l’imputeront au fameux principe du “mort-kilomètre”, cette règle médiatique qui induirait une sensibilité plus forte lorsque des événements se passent au plus près de chez nous. Mais il est inutile de sortir ses outils de mesure pour savoir qu’Alger est bien plus proche de Paris que ne l’est Kiev, et que c’est en réalité un principe de ce qu'on pourrait qualifier de “mort-colorimètre” qui prime ici.

Si la Méditerranée est devenue l’un des plus grand cimetières de la région, sans que cela ne semble émouvoir ni les médias, ni les gouvernements européens -qui se renvoient la gestion et les responsabilités dès lors qu’un bateau pointe le bout de son nez-, c’est parce qu’à son bord les bébés n’y sont pas blancs.

Voilà des mois que plusieurs acteurs sociaux et ONG s’égosillent sur le terrain, et tentent de sensibiliser autour des inégalités de traitement entre les exilés en France, dans l’indifférence générale. Mais il aura fallu une toute petite phrase insignifiante d’Omar Sy, pour que se déchaînent les passions, pendant des jours sur les plateaux et réseaux sociaux, retrouvant soudainement leur capacité d’indignation.

Qu’a dit Omar Sy ?

Interrogé par le journal Le Parisien, pour la sortie de ‘Tirailleurs’, film rendant hommage aux tirailleurs africains, l’acteur et réalisateur français Omar Sy, a expliqué son étonnement face à l’émotion soudaine suscitée par la guerre en Ukraine. Question légitime alors qu’à l’ère de l’information en continu et des médias digitaux, nous sommes toutes et tous continuellement confrontés aux informations liées à la guerre, à l’exil, aux persécutions partout dans le monde.

“Une guerre, c’est l’humanité qui sombre, même quand c’est à l’autre bout du monde. On se rappelle que l’homme est capable d’envahir, d’attaquer des civils, des enfants. On a l’impression qu’il faut attendre l’Ukraine pour s’en rendre compte. Oh, les copains ? Je vois ça depuis que je suis petit. Quand c’est loin, on se dit que là-bas, ce sont des sauvages, nous, on ne fait plus ça.” a-t-il expliqué dans les colonnes du Parisien. Mais c’est surtout sa question “Quand c’est en Afrique vous êtes moins atteints ?” Qui lui a valu les foudres. Tollé général face à une vérité pourtant si banale.

Pourquoi Omar Sy a raison ?

Oui, évidemment que oui, la guerre en Ukraine a révélé un double standard souvent nié. Double standard dans sa couverture médiatique d’abord: de nombreuses chaînes occidentales ont été épinglées pour des propos tenus sur leurs plateaux, expliquant la légitimité de leur émotion face à ces réfugiés venus d’Ukraine qui étaient “comme nous”. Par “nous” fallait-il comprendre “civilisés” comme l’expliquait un journaliste sur CBS News. Ou plus clairement, devions-nous comprendre “Blancs”, comme le précisera cette journaliste de NBC News à l’antenne : “Ce ne sont pas des réfugiés de Syrie, ce sont des réfugiés d’Ukraine… Ils sont chrétiens, ils sont blancs, ils nous ressemblent beaucoup”. Des dizaines de propos similaires sur les plateaux de BFM TV, CNews entre autres, viendront s’ajouter à la liste de ces commentaires ouvertement racistes. Certains émanant évidemment de représentants politiques venant rappeler ô combien cette immigration venue d’Ukraine était “d’une grande qualité dont on pourra tirer profit” comme l'expliquait par exemple Jean-Louis Bourlanges, député français au micro d’Europe 1.

Mais au-delà des propos racistes, déshumanisant les réfugiés venus du Moyen-Orient ou d’Afrique, toute la terminologie autour de la couverture de la guerre en Ukraine a été intéressante à analyser, tant elle révélait le double standard de ces médias. L’utilisation du terme “réfugié” systématique lorsqu’il s’agit d’un Ukrainien, alors qu’on lui préférera celui de ”migrant” lorsqu’il s’agit d’un Syrien ou d’un Afghan fuyant pourtant lui aussi des zones de conflits armés.

Mais le problème, c’est que ce double standard n’est pas qu’une bataille sémantique s’arrêtant aux portes des médias. Il a accompagné une différenciation claire et officielle dans la gestion des réfugiés par l’institution, et c’est là que le bât blesse.

La gestion des réfugiés Ukrainiens "du jamais vu" en France

Cette différenciation est manifeste très clairement, dès le début de la guerre en Ukraine. Il n’aura fallu que quelques jours pour que le Conseil de l’Union Européenne fasse appliquer, pour la première fois, son système de “protection temporaire” créé en 2001. Voté à l’unanimité, ce système permet en cas d’afflux massif de réfugiés, “d’éviter un effondrement des systèmes d’asile des États membres de l’Union européenne (UE) et d’assurer une protection « immédiate » des personnes déplacées”, comme expliqué sur le site du Parlement européen.

C’est ainsi que les réfugiés venus d’Ukraine ont pu bénéficier d’autorisations provisoires de séjour distribuées en quelques minutes, d’une couverture maladie et d’un droit immédiat de travailler. Du jamais vu sur le sol français. Aucun autre exilé n’a pu bénéficier d’un tel dispositif sur le territoire, ni les Syriens ni les Afghans, ni même les Ethiopiens fuyant l’un des conflits les plus meurtriers en 2022. “L’Europe ne peut pas à elle seule assumer les conséquences de la situation actuelle. Nous devons anticiper et nous protéger contre les flux migratoires irréguliers importants”, déclarait en août 2021 Emmanuel Macron au sujet des vagues d’exilés fuyant la guerre en Afghanistan. Mais il n’est pas le seul. Six ans plus tôt, au regard de la crise syrienne, une cinquantaine d’organisations, avaient demandé au président François Hollande et à l’Europe d’œuvrer en faveur de la protection temporaire. En vain.

“Cette protection, tous les demandeurs d’asile devraient y avoir droit. Il y a un deux poids deux mesures. N’ayons pas peur des mots : c’est du racisme. La différence de traitement est insupportable”, dénonçait alors Yann Manzi, cofondateur de l’association Utopia56 interrogé par le magazine basta.media. Il y dénonce l’incarnation du double discours “humanité et fermeté”, martelé par le gouvernement français depuis son arrivée au pouvoir. “Pour toutes les populations maghrébines, ou d’Afrique subsaharienne, on a la fermeté ; tandis que pour les Ukrainiens, on a l’humanité” ajoutait-il. Une réaction compréhensible pour cette association confrontée depuis des années à la gestion inhumaine et dramatique des exilés en France.

Alors que d’un côté des centres inédits rassemblant des services de la préfecture, de l’immigration, de l’intégration et de l’assurance maladie étaient mis en place pour faciliter l’accompagnement et l’hébergement de ces réfugiés venus d’Ukraine; De l’autre des tentes de fortunes distribuées par ces militants d’Utopia56 à des exilés africains continuaient d’être lacérées par la police. Comme l’ont documenté plusieurs journalistes à Calais ou Paris, où des tentes avaient été coupées au cutter en plein hiver par la police. Cette même police qui, rappelons-le, avait également percé des bidons d’eau destinés aux exilés, et maltraité devant les objectifs des caméras, des exilés en pleine nuit pendant qu’ils dormaient sous leur tente.

Dernière différence de traitement en date, une action en justice menée par les associations Utopia 56 et Médecins du Monde, réclamant que les places vides d'hébergement d’urgence, réservées aux réfugiés Ukrainiens soient attribuées aux autres exilés, eux aussi dans l’urgence, puisqu’à la rue en plein hiver. Cette action a été déboutée le 19 décembre 2022 par le Conseil d’Etat, qui préfère de loin laisser des familles à la rue, dont des bébés en très bas âge, pour la plupart venues d’Afrique subsaharienne, plutôt que de risquer de manquer de place en cas “d’afflux soudain” de réfugiés ukrainiens. “En refusant l’accès aux dispositifs Ukraine à toutes les personnes, le Conseil d’État confirme une politique d’accueil différenciée entre les Ukrainiens et les autres exilés à la rue.”, explique une nouvelle fois l’association Utopia 56.

Omar Sy n’aura pas encore eu l’occasion d’approfondir son propos qu’il était déjà voué aux gémonies; Mais s’il est aujourd’hui attaqué, c’est pour ce qu’il incarne et non ce qu’il dit. Comme il l’expliquera très bien sur les plateaux de quotidien ou de 28 minutes : “C’est parce que je suis enfant d’immigré que je n’ai pas le droit de m’exprimer sur la France ? C’est parce que je suis noir que je n’ai pas le droit de m’exprimer sur la France ?” Questionnera-t-il, comme le dit l’expression convenue, la réponse est dans la question.

TRT Francais