Le renversement hier, lundi, du gouvernement Bayrou à une majorité de 364 députés contre 194 n’a pas surpris les observateurs attentifs de la vie politique française. Pour certains analystes, c’est la traduction visible d’un malaise socio-politique généré par une succession de choix politiques depuis au moins une décennie.
“ (...) L’évolution du modèle économique et social français, au fil des dernières décennies, a eu pour effet de renforcer la concentration de la richesse au sommet de la distribution, tout en affaiblissant progressivement les mécanismes de redistribution et de protection au profit des classes moyennes et populaires”, explique à TRT Français, l'économiste Hugo Spring-Ragain du Centre d'études diplomatiques et stratégiques (CEDS) de Paris.
Ce déséquilibre, souligne-t-il, “est moins le fruit d’un projet idéologique assumé que le résultat d’un enchaînement de réformes, d’arbitrages budgétaires et d’orientations macroéconomiques qui ont favorisé les détenteurs de capital, sans suffisamment compenser les effets de long terme sur les revenus du travail”.
En effet, ces dernières années la gauche française a ravivé ses critiques contre Emmanuel Macron qu’elle a qualifié de “président des riches” du fait des avantages concédés à ces derniers.
“Président des riches”?
Au début de son premier mandat en 2017, le président français a, en effet, supprimé un impôt sur la fortune. Ce qui, d'après l’opposition, a contribué à accentuer les clivages entre classes sociales.
Du reste, le "Global Wealth Report", rapport annuel de la banque suisse UBS publié en août 2023, a révélé que le nombre de millionnaires en France avait sensiblement évolué, avec notamment 2,8 millions de personnes dont le patrimoine immobilier et financier dépasse un million de dollars en 2022. Le rapport projette même que le nombre de millionnaires en France pourrait atteindre 4 millions de personnes en 2027.
"Les millionnaires français peuvent dire merci aux cadeaux fiscaux de Macron", avait commenté en son temps sur X la cheffe de file de La France insoumise (gauche radicale) au Parlement européen, Manon Aubry.
L'économiste Hugo Spring-Ragain y voit “une dynamique plus profonde”, marquée par la “concentration du patrimoine chez une minorité”, une “fiscalité devenue écrasante pour les classes moyennes”, “l’essor des emplois précaires, la désindustrialisation de certains territoires, le recul relatif des services publics dans les zones les plus fragiles”.
Pauvreté en hausse
Tous ces processus ont contribué à fragiliser durablement une partie de la population tout en renforçant les positions déjà dominantes, insiste l'économiste.
Résultat : en un an, le taux de pauvreté a augmenté de 0,9 point, passant de 14,4% en 2022 à 15,4% en 2023, selon l'Insee dans son dernier rapport publié en juillet 2025. "Un niveau inégalé" depuis 29 ans.

Concrètement, 9,8 millions de personnes se trouvaient en 2023 en situation de pauvreté monétaire, c'est-à-dire qu'elles disposaient de revenus mensuels inférieurs au seuil de pauvreté, fixé à 60% du revenu médian, soit 1.288 euros pour une personne seule.
Contrairement aux riches qui ont bénéficié de la baisse de certains impôts au début du premier mandat de Macron, les Français ont été privés de certaines aides et indemnités. Une situation qui, d'après Michel Duée, chef du département ressources et conditions de vie des ménages à l'Insee, a contribué à accentuer la pauvreté en France.
"Cette hausse s'explique par l'arrêt des aides exceptionnelles, notamment l'indemnité inflation et la prime exceptionnelle de rentrée, qui avaient été mises en place en 2022 pour soutenir le pouvoir d'achat", explique-t-il. "L'autre élément d'explication, c'est la hausse, parmi les non-salariés, de la part des micro-entrepreneurs dont les revenus sont faibles".
Il apparaît ainsi qu’en France, il y a comme une valorisation des hauts patrimoines en plus du traitement fiscal préférentiel des revenus du capital d’un côté, contre la stagnation des revenus du travail et la persistance de l’appauvrissement, de l’autre.
C’est dire que la tâche du prochain Premier ministre s’annonce ardue, d’autant plus que la grogne ne cesse de monter, rapellant le mouvement des "Gilets jaunes" qui a secoué la France en 2018-2019.
Un mouvement "citoyen" né durant l'été sur les réseaux sociaux sous le slogan "Bloquons tout", a appelé à paralyser le pays demain.
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