Nord stream: la piste de “l'acteur étatique” désormais envisagée (Reuters)

Quatre gazoducs Nord Stream 1 et Nord Stream 2, depuis longtemps au centre de tensions géopolitiques engendrées par l’offensive russe en Ukraine, ont été touchés par des fuites depuis le début de la semaine. Celles-ci provoquent d'importants bouillonnements marins de plusieurs centaines de mètres de large en surface qui rendent impossible dans l'immédiat l’inspection des ouvrages.

Pourquoi Nord Stream est-il si important ?

Le terme "Nord Stream" regroupe en fait deux gazoducs reliant la Russie à l'Allemagne via la mer Baltique : Nord Stream 1 et Nord Stream 2. Avant de cesser de fonctionner en raison du conflit en Ukraine, près de 55 milliards de mètres cubes de gaz naturel transitaient chaque année par Nord Stream 1. Actuellement, certains spécialistes estiment que le gazoduc serait perdu et probablement irréparable.

Quant à Nord Stream 2, il était destiné à doubler la capacité de livraison de gaz russe en Allemagne, mais sa mise en service a été suspendue en représailles à l’offensive. A ce jour, aucun des deux pipelines n’est opérationnel et la perspective d'une reprise prochaine des livraisons de gaz à l'Europe s’éloigne.

Ces développements menacent non seulement la stabilité de l'économie européenne, mais fragilisent également le marché du gaz globalement. Par cet acte, les auteurs sous-entendent avoir la capacité de frapper d’autres infrastructures. "C'est un violent rappel de la vulnérabilité de notre infrastructure énergétique", met en garde Lion Hirth, professeur à la Hertie School de Berlin. Sebastian Herold, chercheur à l'Université de Darmstadt, estime, quant à lui, que "ce qui se passe en mer Baltique peut très bien se produire en mer du Nord et en Méditerranée".

Qui a endommagé le Nord Stream ?

Si la thèse du sabotage est fortement privilégiée, la méthode utilisée et l'auteur présumé restent inconnus.

Alors que l’Otan a dénoncé des actes de sabotage "délibérés, inconsidérés et irresponsables" commis contre les gazoducs, la présidente de la commission européenne Ursula von der Leyen a évoqué dans un message posté sur Twitter un "acte de sabotage" tout en restant prudente sur son auteur. "Il est primordial d'enquêter sur les incidents et de faire toute la lumière sur les événements (...) Toute perturbation délibérée de l'infrastructure énergétique européenne active est inacceptable et entraînera la réponse la plus ferme possible", a-t-elle déclaré.

L’ampleur de l’opération nécessitant d'intervenir sur 70 mètres de profondeur, augmente la probabilité d’un acteur étatique à celui d’un acte de terrorisme. Alors que personne n’a revendiqué les explosions, les spécialistes estiment que peu de pays ont la capacité de commettre ces actes.

"C'est du lourd. Abîmer deux gazoducs au fond de la mer est un événement important, donc un acteur étatique est probable", note Hirth.

Des accusations mutuelles

Kiev pointe du doigt Moscou sans toutefois avancer de preuves. Les fuites sont le résultat d'une "attaque terroriste planifiée" par Moscou "contre l'Union européenne", affirme Mykhaïlo Podoliak, conseiller de la présidence ukrainienne.

Rappelant que le gaz qui s'échappe des gazoducs lui appartient, la Russie a ouvert mercredi une enquête pour "acte de terrorisme international".

Le Kremlin a dit suspecter "l'implication" d'un Etat étranger sans toutefois en nommer un en particulier. "Il est très difficile d'imaginer qu'un tel acte terroriste puisse avoir lieu sans l'implication d'un État", a déclaré à la presse le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov, appelant de nouveau à "une enquête urgente".

Sur les réseaux sociaux, les yeux sont rivés sur les Etats-Unis. Une vidéo du président américain Joe Biden, datant du 7 février dernier, peu avant l’offensive russe en Ukraine, circule abondamment. Biden évoquait la possibilité de "mettre fin" au Nord Stream en déclarant : "Je vous le promets, nous serons capables de le faire".

La Maison Blanche a quant à elle déclaré qu'il était "ridicule" d'insinuer que les Etats-Unis pourraient avoir commis ces sabotages.

Impact "désastreux" sur l’environnement

Les conséquences de ces fuites ne sont pas seulement d’ordre géopolitique mais aussi environnemental. Bien qu’ils étaient à l’arrêt, les gazoducs contenaient du gaz, notamment du méthane, un gaz à effet de serre puissant. L’agence fédérale de l’environnement allemande a estimé que 300 000 tonnes de méthane devraient être relarguées dans l’air mais il est difficile d’en estimer la quantité exacte.

Ayant un pouvoir réchauffant supérieur à celui du CO2, la fuite dans l’atmosphère de millions de tonnes de méthane fait redouter à plusieurs experts un désastre environnemental. Ce serait un “désastre climatique et environnemental”, c’est ainsi que Stefano Grassi, chef de cabinet de la commissaire européenne à l’énergie, a qualifié la situation.

Les gazoducs contiendraient entre 200 000 et 300 000 tonnes de méthane, selon plusieurs scientifiques, alors que les autorités danoises estiment que plus de la moitié du gaz contenu dans les deux gazoducs s'est déjà échappé dans l'atmosphère, et le reste pourrait être parti d'ici dimanche. Si tout le gaz s’échappait, les émissions seraient alors équivalentes au tiers, voire à la moitié, des émissions annuelles du Danemark.

Suite à la demande de la Russie, les dégâts provoqués sur ces installations, vont être au centre d'une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU vendredi à New York.

TRT Français et agences