Des soldats de l'armée malienne à la place de l'indépendance à Bamako. Archives. Photo: Reuters (Others)

Les coups d'État sont de retour en Afrique. On note même comme une résurgence du phénomène. Ces trois dernières années, huit coups d’État ont été enregistrés sur le continent. Le dernier en date est survenu le 30 août 2023 au Gabon.

L'arrivée au pouvoir du Comité provisoire pour la restauration des institutions, (CPRI), marque ainsi le dernier coup de force d’une série de huit, avec le Soudan, le Zimbabwe, la Guinée, le Mali, le Tchad, le Burkina Faso et le Niger.

Mais à quoi rime cette succession de putschs en Afrique?

L’Afrique de l’Ouest d'emblée exemplaire

L’Afrique de l’Ouest a été au début des années 90 un modèle de démocratie sur le continent. À l’issue des “conférences nationales souveraines” qui ont permis le passage des régimes monolithiques au multipartisme, l’on a assisté à l’alternance à la tête des États, à la faveur d’élections bien organisées. .

Au Bénin par exemple, le président sortant Mathieu Kérékou s’est présenté à deux reprises pour remporter le scrutin.

Au Mali, c'est le président Amadou Toumani Touré qui, après avoir orchestré un coup d’État, assurait la transition. Après avoir démissionné de la présidence, il s’est porté candidat au scrutin présidentiel qu’il a remporté par la suite.

L’Afrique de l’Ouest était citée en exemple pour la démocratie en Afrique.

Seulement quelques années plus tard, une tendance de coups de force est venue entraver cette belle dynamique.

C’est Mamadou Tandja le président du Niger d’alors qui donne “le mauvais signal” en mai 2009. Après avoir essuyé l’avis défavorable du Conseil constitutionnel sur sa prétention à briguer un troisième mandat, il annonce la dissolution de l’Assemblée Nationale et la tenue d’un référendum. Son objectif était alors de modifier la constitution, afin de lever l’interdiction limitant les mandats présidentiels à deux. Il a été renversé par un coup d’État le 10 février 2010.

Laxisme et duplicité

Seidik Abba, Journaliste-Écrivain, chercheur associé et président du Centre international d'études et de réflexions sur le Sahel (CIRES) dénonce, dans une interview à TRT français, le “laxisme et la réaction molle” de la communauté internationale qui avait tacitement entériné ce coup de force.

“La CEDEAO, l’Union africaine ont fait preuve de mollesse”, a-t-il fait remarquer, ajoutant qu’il n’y a pas eu suffisamment de pression pour faire revenir le Président Tandja à de meilleurs sentiments, ce qui a inspiré d’autres dirigeants de la région à prendre des libertés avec la constitution pour se maintenir au pouvoir.

Il est important de relever que l’annonce du référendum constitutionnel a eu lieu à la veille du lancement des travaux de la mine d’uranium d’Imouraren (Nord-Niger) dont l’exploitation avait été accordée au groupe français Areva, leader de l’industrie nucléaire.

“Une exploitation qui doit profiter autant au Niger qu’à la France et faire gagner une place au troisième producteur mondial d’uranium, soulignait Jeune Afrique.

À ce niveau, l’on peut comprendre le zèle et l’assurance du dirigeant nigérien d’alors, dont l’attitude est un cas d’école, pour assimiler la récurrence des coups d’État sur le continent.

La France, ancien colonisateur, entretient des liens étroits avec le Niger. Outre la présence d’une base militaire, c’est Areva devenu Orano qui exploite encore l’uranium, un combustible vital pour l’indépendance énergétique de ce pays européen.

C’est à ce niveau que les ingérences étrangères alimentent aussi les coups d’État en Afrique. En compétition avec les États-Unis et menacée par la Russie et la Chine, Paris, pouvait-elle aller au-delà des mises en gardes contre les coups d’État?

Le cas nigérien, avec le passage en force du président Tandja pour un troisième mandat, conforté par la “mollesse de la communauté internationale”, dictée par les intérêts géostratégiques de la France et des États-Unis, ont inspiré et encouragé d’autres dirigeants soucieux de se maintenir au pouvoir, d'après Seidik Abba.

Il cite ainsi le cas guinéen où malgré l’hostilité de la classe politique et de l’opinion publique, le président Alpha Condé a modifié la constitution pour profiter d’un troisième mandat. Surfant sur le mécontentement populaire, Mamady Doumbouya a chassé Alpha Condé par un coup d’État le 5 septembre 2012.

Dans le même ordre d'idée, le nouveau président du Gabon,le général Brice Olingui Nguema a pointé du doigt la responsabilité de la communauté internationale sur fond de duplicité en marge d’une rencontre avec la presse le 2 septembre dernier à Libreville.

“C’est vous les organisations internationales qui êtes responsables parce que lorsqu’un chef prend la peine de tripatouiller la constitution, vous ne faites rien. Vous ne condamnez pas. Quand il fait des élections tronquées, vous ne condamnez pas. Et après quand les militaires s’interposent, on dit c'est un coup d’État, et là, vous condamnez”.

Que dire alors du cas ivoirien ? Élu en 2010 puis réélu en 2015, le président ivoirien Alassane Ouattara a réussi à se faire élire de nouveau. Certes la Constitution ivoirienne limite à deux le nombre de mandats présidentiels, mais le pouvoir estime que l'adoption de cette nouvelle loi fondamentale en 2016 a remis les compteurs à zéro. Ce que conteste l’opposition.

La propension des leaders à modifier les constitutions pour se maintenir au pouvoir, en surfant sur les rivalités géopolitiques des puissances, favorise les coups d'État. Il en est de même de l’insécurité nourrie par le terrorisme dans le sahel.

Le défi de la sécurité

Le Mali a servi de porte d'entrée pour les terroristes qui sévissent au Sahel depuis 2012.

De ce fait, les pays de la bande sahélo-saharienne sont gravement affectés au point où leur intégrité est menacée.

La zone dite des trois frontières entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger échappe au contrôle des États, devenant, ainsi, l'épicentre de la violence.

Elle cristallise des menaces qui vont de la contrebande au terrorisme, en passant par les violences communautaires.

Cette violence impacte négativement la vie socio-politique du Burkina-Faso. Excédées par des attaques terroristes, la population au Burkina s'est souvent soulevée pour demander des comptes aux gouvernants incapables d’assurer leur sécurité.

En novembre 2021, l’attaque contre le poste de gendarmerie d’Inatta dans le nord du pays fit 57 morts dont 54 gendarmes et un civil. Une attaque de trop pour des populations excédées qui, lors des manifestations réclamèrent même la démission du président Roch Marc Christian Kaboré, président incapable d’assurer leur sécurité, d’après les protestataires. Pour calmer une situation potentiellement tendue, le chef de l’État a choisi d’adresser au peuple le 25 novembre un message radiotélévisé où il promettait des changements dans l'armée et même un remaniement ministériel, pour plus d’efficacité dans la lutte contre le terrorisme.

Des mesures qui n’ont pas empêché un coup d’État quelques semaines plus tard, en janvier 2022. Le lieutenant-colonel Paul Henri Daniba s’est alors emparé du pouvoir pour huit mois à peine, avant d’être démis à son tour de ses fonctions, en septembre 2022, par le capitaine Ibrahim Traoré qui lui reprochait son inefficacité dans la lutte contre le terrorisme. Pourtant, depuis son arrivée, la situation a continué à se dégrader.

Début 2002, une moyenne de 20 à 30 attaques par semaine était enregistrée, souligne à l’AFP le consultant burkinabé en sécurité Mahamadou Savadogo. Aujourd’hui, on est à 30 à 40 attaques et le nombre de régions touchées a augmenté, selon lui.

D’après le chercheur Seidik Abba, la lutte contre le terrorisme a mis les militaires au-devant de la scène, tout en fragilisant les gouvernements.

Défaut de légitimité

Autre motif des coups d’État en Afrique, les dirigeants, en manque de légitimité, se rabattent sur les tripatouillages des constitutions et de la loi électorale pour “s'éterniser au pouvoir”, estime le chercheur.

Le coup d’État en Guinée le 5 septembre 2021 contre Alpha Condé appartient à cette catégorie. Après onze ans de pouvoir, l’ex-chef de l’État a voulu assurer un troisième mandat en modifiant la constitution. Mal lui en a pris.

Le cas du Gabon est aussi riche en enseignements

“Le cas du Gabon révèle que la longévité au pouvoir peut être un obstacle à la démocratie”, s’indigne l’analyste politique Raphaël Mvogo dans des déclarations à TRT Français.

“Avec des élections truquées, comment peut-on déclarer un président sortant élu à 4 heures du matin, quand les électeurs qui se sont exprimés dorment ? On décide de fabriquer un résultat et la population doit se réveiller devant le fait accompli. Globalement, il y a remise en question de l’ordre ancien des systèmes indéboulonnables”, a-t-il poursuivi.

Généralement, des dirigeants mal élus entretiennent la mal gouvernance et sont loin de répondre aux besoins élémentaires des peuples pour lesquels ils sont censés travailler.

Du reste, après le renversement d'Ali Bongo Ondimba, les nouvelles autorités déclarent avoir saisi dans les domiciles privés de certains anciens dirigeants, la somme de 7,5 milliards de F CFA. Une somme qui sera “ reversée dans les comptes du trésor public”.

La démocratie ou rien

“Quoi qu’il en soit, la démocratie est la “seule voie à suivre pour assurer de meilleurs lendemains à l’Afrique. Il n’y a pas d’alternative”, insiste l’analyste Raphaël Mvogo.

Les populations africaines, souligne de son côté le journaliste et chercheur Seidik Abba, doivent défendre la démocratie “à tout prix”.

Il insiste sur l’exemple de la Turquie où, le 15 juillet 2016, des citoyens “à mains nues s'opposèrent à la force des armes” pour faire échouer un coup d'État.

“Nous avons encore en mémoire les images de ces civils qui ont bravé des chars pour défendre la démocratie. C'est l’exemple à suivre pour nos peuples”, a-t-il lancé.

Des généraux nigérians à la retraite, réagissant à la série de putschs de ces derniers temps en Afrique se sont adressés au président Bola Tinubu dans le journal The Punch.

Le meilleur moyen d'éviter un coup d'État militaire, d’après eux, est de respecter la constitution et d'assurer une bonne gouvernance au peuple.

Les coups d’État, “bien que n'étant pas souhaitables” étaient, selon ces généraux, “l’expression des frustrations et du mécontentement du peuple”.

“Si vous regardez les pays développés, quoi qu’il arrive, ils respectent leurs lois électorales et autres lois, de sorte que les gens se sentent chez eux, car leurs intérêts sont protégés. Une fois que les pays seront bien gouvernés et qu’il y aura le respect de l’État de droit, on ne parlera plus de coup d’État”, ont-ils poursuivi.


TRT Francais