2021: "Une année très difficile pour les musulmans français" (ONG) (Others)

"L’année 2021 a été une année très difficile pour les musulmans français, notamment avec la mise en place de la loi anti-séparatisme qui a été beaucoup critiquée par de nombreux observateurs" pour "son caractère liberticide et répressif".

C'est ainsi que débute la description faite par l'Institut Leopold Weiss [1] de la situation de l'islamophobie en France, dans son « rapport sur l'Islamophobie en Europe », publié le 21 septembre.

Il fait état d'attitudes et d'actes prenant pour cible les musulmans étant commis par des citoyens lambda, des médias, mais aussi par l'Exécutif politique. Le rapport questionne également le manque d'indépendance du système judiciaire français face aux décisions du gouvernement.

Une loi liberticide à l'encontre des musulmans

Faisant référence à la « Loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République », le rapport établit que "cette loi, censée apporter une réponse ferme contre le “terrorisme” et “l’islam radical”, a en fait provoqué une violente répression à l’encontre de la visibilité et de l’organisation musulmane".

Le rapport indique que celle-ci "affecte, en effet, d’abord, les musulmans les plus visibles en étendant l’interdiction des signes religieux dans d’autres espaces et criminalise toute tentative d’organisation indépendante du culte musulman et de lutte contre l’islamophobie en procédant à des fermetures abusives".

L'institut fait état de "fermeture ou dissolution arbitraire de nombreuses structures musulmanes ou perçues comme telles (des associations, des écoles, des mosquées, des restaurants, des maisons d’édition, etc.) très souvent [...] justifiées par des motifs très peu convaincants".

Constatant que "le démantèlement du tissu associatif musulman réduit la possibilité de fournir des données détaillées et diversifiées sur l’islamophobie en France", le rapport "questionne les intentions du gouvernement français pour mettre en place une telle politique allant jusqu’à criminaliser la musulmanité".

Il rappelle que la loi anti-séparatisme, qui a fait l'objet d'un débat peu de temps après la terrible décapitation de Samuel Paty, en octobre 2020, "est présentée comme la réponse du gouvernement français au « terrorisme » et à la lutte contre « l'islam radical ».

Concédant qu'il "fallait trouver une réaction ferme pour mettre fin à une telle barbarie, "l'Institut Leopold Weiss rappelle, néanmoins, que "de nombreux observateurs, dont le politologue Olivier Roy, expliquent que cette nouvelle mesure n'empêchera pas de futures atrocités".

"De plus, Roy démontre que cette loi, qui restreint les libertés individuelles des musulmans, est en contradiction avec les valeurs républicaines que la Constitution française est censée défendre, telles que les libertés de religion, de croyance, de conscience, d'opinion, de pensée et de parole", lit-on encore dans le rapport.

Celui-ci indique que "les musulmans français sont pris en étau entre un terrorisme qui revendique les pires atrocités au nom de leur propre religion et leur propre gouvernement qui réprime l'affichage de leur musulmanité au lieu de renforcer les mécanismes de réduction du terrorisme".

Augmentation des actes islamophobes

Notant que la dissolution des ONG luttant contre l'islamophobie, a restreint le recueil statistique des actes anti-musulmans, l'Institut Leopold Weiss souligne qu'il n'a pu s'appuyer que sur les données du ministère français de l'Intérieur, alors que l'Observatoire National de Lutte contre l'Islamophobie et la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme (CNCDH) n'ont pas encore publié leurs données.

"En 2021, un total de 171 actes anti-musulmans ont été recensés, soit une augmentation de 32 % par rapport à 2019", lit-on dans le Rapport sur l'islamophobie en Europe, citant les données rendues publiques par le ministre français de l'Intérieur, Gérald Darmanin, à travers la presse française, et en comparaison avec d'autres actes anti-religieux.

Cette "comparaison montre que les actes christianophobes et antisémites enregistrés la même année sont respectivement quatre fois et trois fois plus nombreux que les actes islamophobes".

Le rapport met, néanmoins, en doute, les chiffres du ministère, notant que ceux-ci se basent "sur les travaux de recensement du Service Central du Renseignement Territorial (SCRT) qui, dans un rapport, fournit des statistiques un peu plus élevées (213 actes anti-musulmans en 2021)".

L'Institut Leopold Weiss, note, par ailleurs, que "le Collectif contre l'Islamophobie en Europe (CCIE, basé en Belgique), qui est souvent présenté comme l'héritier du Collectif contre l'Islamophobie en France [CCIF, dissous en 2021 par le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, NDLR], présente également un total plus élevé avec 384 dossiers en 2021 rien que pour la France".

"Avec l'accès difficile aux données, il ne sera pas non plus possible de fournir des détails sur la nature de ces actes anti-musulmans (discrimination, agression ou dégradation)", lit-on encore dans le rapport, soulignant que "l'islamophobie en France en 2021 pose moins de questions sur les actes eux-mêmes que sur les mesures politiques mises en place [par le gouvernement] pour contrôler la foi musulmane".

Nature des actes islamophobes

Ne pouvant se baser que sur le rapport du Service Central du Renseignement Territorial (SCRT), le rapport sur l'islamophobie en Europe fait état de 213 actes anti-musulmans, la moitié (109) d'entre eux concernant des dommages aux lieux de culte, centres culturels et cimetières musulmans, dont six incendies criminels contre des mosquées.

Il indique, par ailleurs, que 22 % des actes anti-musulmans concernent des atteintes aux personnes, dont trois cas de violences physiques et cite "le cas d'Adil Sefrioui qui a subi une terrible agression en avril 2021, juste devant son domicile dans la petite commune de Dole (Jura). La vidéo choc filmée par sa femme (Laëtitia) montre qu'un homme septuagénaire a écrasé Adil Sefrioui avec sa voiture devant sa famille", après l'avoir insulté et traité de "bicot" [2].

Faisant référence à la presse française, l'Institut Leopold Weiss fait également état "d'importants actes de vandalisme sur les édifices religieux et les mosquées" et cite l'exemple de l'institut Dar Ennour situé à Martigues (Bouches-du-Rhône) qui a été tagué en juillet 2021 d'inscriptions islamophobes [3].

"Les inscriptions sont clairement des insultes contre les musulmans et font référence aux horribles attaques armées perpétrées au nom de l'islam que la France a connues ces dernières années", lit-on dans le rapport, citant des inscriptions telles que « Musulman = porc », « Arabe dehors », « Sauvez les blancs », ainsi que "des appels à la justice pour les victimes des attentats du Bataclan, de Nice et de Charlie Hebdo".

"Ces actes de vandalisme sont justifiés en assimilant la foi musulmane à de telles atrocités", ajoutent les auteurs du rapport qui fait également état de graffitis islamophobes inscrits sur les façades des mosquées françaises, notamment la Croix de Lorraine dessinée sur une mosquée de Pontarlier, dans le Doubs [4].

L'institut Leopold Weiss rappelle que la croix de Lorraine, représentée par une barre verticale et deux barres horizontales graduées, était le symbole de la France Libre pendant la Seconde Guerre mondiale (libération de la France de l'Allemagne nazie et de la France de Vichy) et du gaullisme.

"Dans ce contexte, elle prend le sens de la soi-disant résistance contre la colonisation perçue de la France par les musulmans français", lit-on encore dans le rapport faisant état du dévoiement d'un symbole de la Résistance française à l'occupation nazie et à son antisémitisme.

Emploi et éducation

Dans son rapport, l'Institut Leopold Weiss fait également état de "discrimination islamophobe" dans les domaines de l'emploi et de l'éducation.

"Les discriminations islamophobes au travail en France concernent très souvent des femmes musulmanes voilées qui travaillent dans une entreprise privée puisque le secteur public est totalement soumis à la neutralité religieuse en raison du principe de laïcité", lit-on dans le rapport, précisant que "dans les entreprises privées, la liberté religieuse reste la norme".

Cependant, "la loi El Khomri de 2016 permet aux employeurs d'imposer la neutralité religieuse à leurs salariés dans le règlement intérieur de leur entreprise dans certains cas précis", indique encore le rapport, signalant qu'il demeure, cependant, "des situations de discriminations illégales et citant les cas de plusieurs femmes licenciées illégalement pour avoir porté le voile, notamment des employées de magasins de vêtements. Le rapport précise que ces cas ont, plus tard, été reconnus par la Justice française comme des licenciements abusifs et discriminatoires.

Le rapport cite également le cas d'une assistante scolaire dans une école publique française, portant un turban féminin et note que son directeur lui a expliqué qu'elle ne pouvait plus porter son turban "à cause des pressions extérieures".

"Pour justifier cette décision, le directeur a mis en avant le principe de neutralité religieuse dans les écoles et a suggéré : « Vous pouvez travailler dans le nettoyage de l'école, mais pas en tant qu'assistante scolaire ». Ainsi, le couvre-chef [religieux] ne semble plus déranger lorsque les personnes qui le portent occupent des emplois spécifiques peu rémunérés, et dans ce cas, le principe de neutralité est même oublié. Cette dernière remarque montre que le foulard des femmes musulmanes est accepté lorsque ces femmes occupent des emplois subalternes", lit-on encore dans le rapport.

L'institut constate que l'éducation est également un domaine qui subit d'importantes pressions islamophobes.

"Dans les universités françaises, de telles pressions peuvent provenir du gouvernement et peuvent directement affecter et intimider les universitaires travaillant sur les études raciales, postcoloniales et relatives à l'islamophobie", indique le rapport faisant état d'une grave mise en danger de la liberté académique en France à travers l'assimilation des chercheurs et académiciens à « l'islamo-gauchisme voire à l'islamisme ».

Il rappelle qu'en février 2021, "la ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation a demandé au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) de mener une enquête pour recenser toutes les études en question" et que "cette demande a indigné une grande partie des universitaires français et internationaux qui ont dénoncé une chasse aux sorcières des universitaires critiques et la menace d'un autoritarisme académique.

"Les universités françaises sont aussi le lieu où sont enregistrées de nombreuses discriminations envers les étudiantes musulmanes voilées alors même qu'aucune loi n'interdit le port du foulard", lit-on encore dans le rapport qui s'attarde également sur la question de l'enseignement primaire et secondaire.

"La loi anti-séparatisme facilite la fermeture des écoles musulmanes et la restriction sévère de l'enseignement à domicile, qui n'est plus un choix accordé aux parents, mais une possibilité soumise à un régime d'autorisation très strict" souligne le rapport qui précise que "le système éducatif islamique est déjà sous-développé en France" et que "les musulmans qui souhaitent envoyer leurs enfants dans des écoles musulmanes ou les éduquer à domicile voient leurs options considérablement réduites".

Islamophobie dans les médias

Au-delà du rôle des décisions politiques, le rapport de l'institut Leopold Weiss, met également en lumière le rôle de médias français qui "ont une grande part de responsabilité dans la diffusion des discours islamophobes et parfois même des thèses les plus fascistes".

Rappelant l'importance du temps médiatique accordé au journaliste islamophobe et candidat à l'élection présidentielle de 2022, Eric Zemmour, "malgré ses nombreuses condamnations judiciaires pour incitation à la haine raciale", le rapport rappelle que "l'autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique en France a étudié le temps de parole des personnalités politiques dans les médias aux quatre trimestres 2021 et mis en lumière une surexposition de ce candidat, notamment sur les chaînes de télévision CNews et C8 ainsi que sur la radio France Culture".

Dans le rapport, on lit, par ailleurs, que "CNews va très loin dans l'industrie de l'islamophobie" et qu'en "novembre 2021, la chaîne a invité l'écrivain français islamophobe Renaud Camus, qui en 2010 a introduit en France la dangereuse théorie raciste du « grand remplacement » évoquée dans les manifestes de nombreux assassins [et terroristes] suprématistes blancs".

L'institut Leopold Weiss constate également que "CNews va aussi très loin dans la diffusion d'images islamophobes violentes en mettant en scène en octobre 2021 le dévoilement public d'une musulmane voilée devant Eric Zemmour à Drancy (Seine-Saint-Denis).

"Même si cette femme se revendique libre de porter ou enlever le hijab quand elle veut, elle est encore obligée de l'enlever publiquement pour prouver qu'elle est une femme libre sous la forte injonction de Zemmour et les encouragements de la journaliste présentant la scène," lit-on encore dans le rapport qui établit que "ces images d'indécence violente et d'humiliation renvoient aux cérémonies de dévoilement public qui ont eu lieu en Algérie en 1958 à l'époque coloniale".

L'institut constate enfin une "hystérie islamophobe quotidienne en France", notamment dans les médias grand public.

"Les polémiques et les débats médiatiques font surgir des analyses sensationnelles qui ne sont pas rationnelles, sans se soucier de la douleur et des dommages causés aux populations musulmanes françaises. De telles pratiques dédiabolisent l'extrême droite et même le fascisme, qui gagnent de plus en plus d'ampleur en France. Aujourd'hui, ces courants racistes ont réussi à imposer un consensus islamophobe dans les médias français, témoignant ainsi d'une première victoire culturelle de cette dangereuse idéologie" [5], lit-on encore dans le rapport.

Le système judiciaire

L'Institut Leopold Weiss fait également état de "failles majeures dans la mission de jugement impartial" de la justice française.

"Même la plus haute juridiction administrative de France, le Conseil d'État, semble être sous l'influence du gouvernement", indique le rapport rappelant la fermeture arbitraire de plusieurs associations et organisations non gouvernementales (ONG), musulmanes françaises, en 2021.

Le rapport cite l'exemple de la dissolution du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), décidée par le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin et "justifiée dans les débats politiques et médiatiques par des allégations très graves liées à l'apologie du terrorisme que même le Conseil d'État a totalement rejetées".

L'institut note que bien que "le rapporteur du Conseil d'État [ait] balayé les plaintes formulées par le ministère de l'Intérieur" à l'encontre du CCIF, le Conseil d'État "a tout de même confirmé sa fermeture officielle en septembre 2021 pour un seul motif", soit "la dénonciation de l'islamophobie d'État par le CCIF".

"Le CCIF dénonce plusieurs types d'islamophobies, notamment institutionnelles. Et pour le rapporteur, cela constitue en soi une incitation à la haine qui dépasse le cadre de la protection de la liberté d'expression", lit-on dans le rapport sur l'islamophobie en Europe pour l'année 2021.

"Cette décision marque un tournant majeur dans la justice et dans l'institutionnalisation de l'arbitraire administratif et politique. Elle fragilise l'État de droit en France et augmente les risques d'application du délit d'opinion. Elle a également ouvert la porte à d'autres dissolutions abusives, comme celle d'une autre ONG de lutte contre l'islamophobie, la Coordination contre le racisme et l'islamophobie (CRI), un mois plus tard seulement pour les mêmes motifs", constate l'Institut Leopold Weiss.

"Dans un État pleinement démocratique, les organisations de défense des droits de l'homme ne sont pas criminalisées ; au contraire, ils sont considérés comme des acteurs des débats politiques et de la prise de décision. Dénoncer l'inégalité de traitement des groupes minoritaires est un droit démocratique même s'il remet en cause les pratiques étatiques. En ne permettant pas cela, la République française est en régression et devient une démocratie imparfaite et incomplète", note-t-il avant d'ajouter qu'une " telle décision de fermer le CCIF porte gravement atteinte à la réputation du pays en tant que champion de la liberté d'expression et d'association, une question qui a été soulevée par de nombreuses ONG françaises et internationales telles que la Ligue des droits de l'homme, le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples, le Réseau européen contre le racisme et Amnesty Europe".

Notes :

1. Le « Leopold Weiss Institute » est un institut de recherche autrichien basé à Vienne, spécialisé dans l’histoire et la situation des Musulmans en Europe. L'analyse de la situation de l'islamophobie en France en 2021, a été réalisée par l'académicienne Kawtar Najib.

2. « France : l’auteur d’une agression raciste condamné à 5 ans de prison » - Agence Anadolu, le 6 juillet 2021

https://www.aa.com.tr/fr/monde/france-l-auteur-d-une-agression-raciste-condamn%C3%A9-%C3%A0-5-ans-de-prison/2295747

3. « France: des tags islamophobes découverts sur la façade de l’institut Al Ghazali à Martigues » - Agence Anadolu, le 5 juillet 2021

https://www.aa.com.tr/fr/journal-de-lislamophobie/france-des-tags-islamophobes-d%c3%a9couverts-sur-la-facade-de-l-institut-al-ghazali-%c3%a0-martigues/2294415

4. « France: des tags islamophobes contre plusieurs mosquées la même nuit » - Agence Anadolu, le 7 novembre 2021

https://www.aa.com.tr/fr/politique/france-des-tags-islamophobes-contre-plusieurs-mosqu%C3%A9es-la-m%C3%AAme-nuit/2414455

5. « France: 60% des Français favorables à l’interdiction du voile dans l’espace public » - Agence Anadolu, le 22 avril 2022

https://www.aa.com.tr/fr/monde/france-60-des-francais-favorables-%C3%A0-l-interdiction-du-voile-dans-l-espace-public/2570662

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