Journaux et magazines français en vente dans un kiosque. Photo: Reuters (Others)

Les articles et les émissions, que nous avons pu à la fois lire et voir, nous ont ouvert les yeux sur les tropismes qui, tantôt s’affichaient ouvertement, tantôt livraient leur sens grâce à une analyse, plus fine, de la teneur des commentaires.

Ces reportages furent l’occasion pour une conception très "franco-française" du journalisme de se manifester au grand jour. Conception qui, faisant la part belle à l’abstraction, tente non pas d’éclairer le lecteur, le spectateur ou l’auditeur, mais d’orienter sa perception des choses en fonction de présupposés idéologiques, jamais soumis à une interrogation critique.

Autre travers notable: au lieu de s’en tenir aux faits, on inonde le destinataire de formules frappées au coin de la bien-pensance; on se pose en donneur de leçons au lieu de se tenir au plus près des événements. Généralement, l’impression prévaut qu’on vise plus à juger qu’à informer.

C’est un fait que le premier tour des élections turques a montré l’inanité des espoirs occidentaux de voir M. Erdogan défait. Alors qu’on donnait le candidat de l’opposition favori devant M Erdogan, c’est l’inverse qui s’est produit. Ce n’est pas la première fois que les médias français se prennent "les pieds dans le tapis".

Dans de nombreuses affaires, on a foulé aux pieds le sacro-saint principe de "vérification de l’information". Pour nous en tenir à l’Hexagone, qu’il nous suffise d’évoquer le cas du bagagiste de Roissy. M. Besseghir, qui se vit accusé d’avoir préparé un attentat à l’explosif. Durant plus de dix jours, presque toute la presse condamne à l’unisson le "terroriste islamiste".

Les jugements du "Figaro" et du "Monde" ne laissent place à aucune équivoque : "L’inquiétant arsenal du bagagiste de Roissy”, énonce “Le Figaro. Quant au "Monde", il déclare "Le bagagiste de Roissy en contact avec les islamistes ". Mais voilà le bagagiste était innocent et il sera lavé de toute accusation par la justice.

En juillet 2004, on s’indigne dans les médias français d’une agression "antisémite" survenue prétendument dans le RER D : "Une agression particulièrement sauvage”, tonne "Europe 1" et "Libération" dans une belle chute, énumère dramatiquement : "Antisémitisme, antisionisme, anticapitalisme mêlés comme aux pires heures de l’histoire". Mais l’agression était inventée de toutes pièces par la supposée victime.

Et que dire de l’affaire d’Outreau, un "Tchernobyl judiciaire", selon les termes du "Parisien". Dans tous ces cas, les organes de presse n’ont pas rempli leur office. On s’est contenté d’y proférer des anathèmes, d’émettre sentences et jugements, de procéder à des condamnations médiatiques.

Le sensationnalisme y a peut-être trouvé son compte, mais non le service de la vérité. La presse, au lieu d’éclairer l’opinion, s’est drapée dans la robe du procureur et a requis des sentences contre des innocents désignés comme coupables. Puis quand leur innocence fut reconnue par les tribunaux, voilà que les mêmes organes de presse qui les avaient accusés les réhabilitent. Quand on pâtit d’un tel passif, on devrait se montrer discret et s’employer à tirer les leçons de ces erreurs, de ces scandales.

Que les médias occidentaux aient des conceptions et des visions politiques, des amitiés et des préférences, rien ne l’interdit expressément. Ce qui est problématique, c’est le mélange des genres et la pratique de l’amalgame.

La faute capitale serait de vouloir plier les faits à ses désirs, de plaquer ses préférences sur le réel. La personnalité de M. Erdogan cristallise sur elle une aversion durable et nombre d’organes de presse communient dans l’hostilité au président turc.

Présenté comme un "sultan ottoman", un "dictateur d’opérette", ils en proposent volontiers des caricatures. Supposons que le peuple turc ait majoritairement plébiscité un homme que l’Occident, selon son prisme, nomme "autocrate", que faudrait-il faire ? Changer de peuple? Considérer qu’il est inutile d’organiser des votes ? Faire ce que le parlement français fit en 2008 à propos du Traité de Lisbonne ? Rejeté par les Français, ledit traité fut ratifié par voie parlementaire sous le règne de Sarkozy. Imaginons qu’Erdogan ait pris semblable initiative, nul doute que l’UE eût trouvé ample matière à ses philippiques contre le "despotisme et l’autocratie".

La presse française se signale par son appétence à donner des leçons, à distribuer les bons et les mauvais points. Elle loue et ménage ceux qu’elle aime et leur trouve des circonstances atténuantes, vouant aux gémonies ceux qu’elle abhorre.

Après tout, Emmanuel Macron a bien reçu le président Sissi dont le bilan en matière des droits de l’homme est, de l’avis général, calamiteux. Ne dit-on pas que la France est une monarchie républicaine ?

En ce moment même, Macron impose une "réforme" des retraites à laquelle une majorité de Français est franchement réfractaire. Davantage même, le Parlement a été mis à rude épreuve par l’emploi, en une seule année, de onze 49.3 constitutionnels certes, mais nullement démocratiques.

Irions-nous jusqu’à rappeler que les conditions même dans lesquelles a éclos la Ve République sentaient le foin du complot et de la conjuration ? François Mitterrand n’a-t-il pas qualifié la Ve République de "Coup d’Etat permanent" ? Depuis 2012, la France a été condamnée huit fois par la Cour européenne des droits de l’homme. Dernière condamnation en date : "Le 26 novembre 2018, le préfet de Loir-et-Cher, représentant l’Etat français, décide d’enfermer une mère et sa fille dans un centre de rétention afin de mener à bien l’expulsion sur le fondement du règlement Dublin vers l’Italie. Elles sont restées enfermées onze jours dans des conditions médiocres et totalement inadaptées à l’enfermement d’une enfant" (source : La Cimade).

Les puissances occidentales, qui prétendent défendre les droits des femmes, des enfants et des persécutés, s’acoquinent avec des dictatures et entretiennent de bonnes relations avec des tyrans et des despotes qui sont reçus dans les chancelleries, à qui on vend des armes, des produits de toutes sortes.

Les hommes d’affaires occidentaux ne se sont-ils pas accommodés des atteintes aux droits de l’homme quand ils étaient violés dans la Libye de Kadhafi ? N’a-t-on pas permis à ce dernier de dresser sa tente dans la capitale française en échange de promesses de juteux contrats qui n’ont été qu’un mirage Dans ces conditions, a-t-on le droit moral de traiter le président Erdogan de "sultan", de “fossoyeur des libertés et de l’Etat de droit”, termes impropres et discutables.

C’est un fait que les pays composant l’UE ont ardemment désiré la déroute électorale du président Erdogan. "Pour la première fois, déclare M Marc Pierini, l’ex-ambassadeur de l’UE à Ankara, l’alternance est plausible, à défaut d’être certaine".

Certains observateurs tendancieux n’hésitent pas à disserter sur les graves "dérives autoritaires" qui guettent la Turquie au cas où Erdogan serait réélu. Avant même son élection, Joe Biden déclarait son intention de susciter "un changement de régime" en Turquie.

L’Occident voit en Kilicdaroglu son candidat de prédilection dont l’arrivée au pouvoir favoriserait ses desseins et ses entreprises. Cette déferlante d’hostilité à l’égard d’Erdogan, et au-delà de la Turquie, sert-elle les intérêts des pays européens ? Quoi qu’il en soit, pour être affublée de toutes ces épithètes disgracieuses, la Turquie de Monsieur Erdogan, par l’alternative qu’elle incarne, doit déranger nombre d’intérêts.

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