La décision du Conseil d'Etat contre le burkini : quelles interprétations? (Reuters)

Lorsque le Conseil d’État a confirmé la décision du tribunal administratif, interdisant le port du burkini dans les piscines de la ville française de Grenoble, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin s’était aussitôt félicité sur les réseaux sociaux de la décision de la plus haute juridiction administrative, en la qualifiant de "victoire pour la loi sur le séparatisme, pour la laïcité et, au-delà, pour toute la République" et de défaite pour le communautarisme.


Le juge des référés du Conseil d’État a certes confirmé l’existence d’une jurisprudence autorisant le gestionnaire d’un service public à « adapter les règles d’organisation et de fonctionnement du service pour en faciliter l’accès, y compris en tenant compte des convictions religieuses des usagers », mais surtout, a souligné les dispositions de l’article 1er de la Constitution de 1958 qui empêchent à tout citoyen "de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes". Il a également insisté sur le fait que "l’usage de cette faculté ne doit pas porter atteinte à l’ordre public ou nuire au bon fonctionnement du service".

Vers une extension du principe de laïcité aux usagers des services publics ?

Cette décision semble confirmer la dynamique de durcissement du concept de la laïcité qui s’opère en France depuis une vingtaine d’années.


Si la loi portant sur la séparation de l’Église et de l’État du 9 décembre 1905 (plus communément appelée loi sur la laïcité) affirme que l’État ne reconnaît et ne salarie aucun culte, et par conséquent exprime son indifférence face aux expressions religieuses tant que celles-ci ne remettent pas en cause l’ordre public, cette loi est depuis de nombreuses années "réorientée" de façon extensive.

La neutralité religieuse définit par la loi de 1905 ne s’appliquerait plus exclusivement aux agents des services publics, mais également à ses usagers. Cet élargissement de l’obligation de neutralité religieuse à cette dernière catégorie donnerait ainsi raison aux plus farouches opposants de l’expression religieuse dans
l’espace social, qui défendent l’idée selon laquelle la religion n’a sa place en République, que dans le privé. Si la décision du Conseil d’État est saluée par les partisans d’une laïcité « maximaliste », elle a des conséquences sociales concrètes pour les femmes portant le burkini ou ayant le désir de le porter. Pour ces dernières, cette décision est vécue comme une régression juridique qui viendrait limiter leur liberté de croyance, mais aussi leur capacité à s’intégrer à la société française en les excluant de l’espace public.

Une décision de justice qui se veut mesurée

Or, à y regarder de plus près, force est de constater que la décision du Conseil d’État ne peut se résumer à ces constats. Elle est plus nuancée. En effet, elle n’a pas confirmé l’interdiction du port du burkini dans les piscines grenobloises, en raison d’une quelconque volonté de lutter contre le séparatisme ou d’affirmer que le burkini est l’expression d’un communautarisme remettant en cause la laïcité, mais pour des raisons quelque peu différentes.

Par conséquent, pour le Conseil d’État, cette interdiction ne se fonde pas, comme de nombreux hommes politiques ont pu l’affirmer comme une volonté de se soustraire aux revendications communautaristes et religieuses, mais plutôt, en raison du caractère très ciblé et fortement dérogatoire de l’autorisation du port du burkini.

Ainsi, cette dérogation rend impossible "le respect des règles communes des tenues de bain par les autres usagers. Il affecte donc le bon fonctionnement du service public et l’égalité des usagers, de sorte que la neutralité du service public est compromise".
En conclusion, le juge des référés a été par conséquent très prudent et a préféré poser des limites juridiques très strictes, afin que cet arrêt ne fasse sans doute pas jurisprudence. Ainsi, la décision se limite à clarifier qu’un maire n’a pas le droit d’accepter le port du burkini dans une piscine dont il a la gestion, alors que dans le même temps, il interdit l’usage d'un maillot non moulant.

Dès lors, cette décision ne peut s’appliquer qu’au cas grenoblois et ne peut pas par conséquent être étendue de façon mécanique, à d’autres situations impliquant le burkini dans des piscines municipales.

TRT Francais