De la polémique autour des signes religieux "par destination" au code vestimentaire interdisant des jupes jugées "trop longues", ce sont les femmes de confession musulmane qui sont les premières cibles de la loi séparatisme.

Françoise Vergès, politologue, livre à TRT Français son analyse de la situation.

Au sujet de cette affaire des vêtements dits islamiques au lycée Joliot Curie de Nanterre, quels enseignements peut-on tirer de cet événement ? En particulier, sur le rapport que l'on a vis-à-vis du corps des femmes en France ? Tout d’abord, je dirais que c'est quand même étonnant de la part d'enseignants d'être beaucoup plus intéressés par la longueur d'une jupe que par l'enseignement qu'ils donnent aux élèves. L'école n'est pas un commissariat de police. On pourrait se poser d’autres questions plus intéressantes : est-ce que ces jeunes filles montrent de la curiosité en littérature ou en sciences ? Malheureusement, il y a en France une véritable obsession sur le corps des femmes, de jeunes femmes, de très jeunes filles même, qui dicte leur manière de s’habiller. Cette vision bourgeoise du XIXᵉ siècle, sur la façon de se vêtir et de se tenir, rappelle la mission civilisatrice qu'il y a eu dans la pensée française durant la colonisation. D’ailleurs, cette volonté de civiliser les personnes est à la fois coloniale et de droite, une droite pétainiste même. Qu'est-ce qu'on peut également en tirer comme conclusions au sujet du rapport que la France entretient avec l’islam et les musulmans ? J’avais mentionné dans mon livre Un féminisme décolonial que ce sont des féministes blanches françaises qui ont offert le vocabulaire de l'islamophobie à la droite et à la gauche française institutionnelle. Elles l’ont fait lors de la première affaire du voile en 1989 en disant qu’une jeune fille ne peut pas être voilée car, pour être libre, elle ne doit pas le porter. Pour elles, le voile est le signe même de la soumission de la femme et l'islam en est la religion symbole de l’atteinte aux droits des femmes. Aussi, elles ont poussé à la loi de 2004 sur l'interdiction du voile dans les écoles. Elles ont continué aussi à fournir des arguments sur le danger des hommes arabes et du monde musulman qui, par nature, serait un monde hostile aux droits des femmes. Contrairement au monde européen qui aurait été disposé par nature à l'égalité entre les femmes et les hommes. C'est absolument ancré dans les mentalités françaises depuis les années 2000, en devenant un lieu commun dont l'extrême droite s'est emparée. En effet, si vous voulez en plus utiliser le vocabulaire des droits des femmes, vous utilisez un vocabulaire féministe. Donc, on cache derrière cette question de droits des femmes une islamophobie et un racisme vraiment structurel de cette société envers l’islam et les musulmans. On observe un contenu féministe et un rapport esthétique que l'on donne à la laïcité. Elle devient en quelque sorte l'arbitre des élégances. Qu'en pensez-vous ? La laïcité a été complètement retravaillée puisque, à la base, c'est la liberté de conscience n'ayant rien à voir avec l'interdiction. N'oublions pas également qu'il y a de la géopolitique là-dedans, car on a tenté de justifier des guerres impérialistes en Afghanistan et en Irak au nom du droit des femmes. Il y a aussi en France, dans son histoire même, un sentiment antireligieux qui ne comprend pas du tout ce que pourrait être la religion, la voyant comme une oppression et contre le progrès. On a du mal à s’imaginer que l’on puisse vivre une forme de spiritualité au sein d’une communauté religieuse. La religion serait donc en totale contradiction avec ce que seraient la démocratie, la République française et les fameuses valeurs de la République. C'est vraiment un refus de voir les différences en France. Il y a toujours aussi le souhait, derrière l'idée de l'assimilation coloniale, que la différence de ces personnes disparaisse. Ce qui gêne, c'est que les femmes musulmanes et les hommes musulmans montrent leurs différences non pas d'une manière agressive, mais d'une manière sereine justement. Ils vivent leur vie, sereinement, en étant médecin, avocat, collégienne, lycéenne, journaliste et en exprimant au fond les mêmes aspirations que tout le monde.

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