Sans surprise, le président candidat Emmanuel Macron a gagné le premier tour de l’élection présidentielle.

Les premiers résultats donnent à Macron 28.5 % tandis que Marine Le Pen arrive en deuxième position avec 23.4%. Donc, le deuxième tour de la présidentielle sera une réplique de 2017.

Certains experts estiment que le progrès de Le Pen est dû à plusieurs facteurs. D’abord elle a gagné le soutien de ceux qui s'abstiennent habituellement. Ensuite, elle a réussi à prendre des électeurs supplémentaires à Éric Zemmour dû à l’essoufflement de la campagne de ce dernier.

Une bataille de communication

Les statistiques reflètent aussi les stratégies de communication qui étaient en jeu. La stratégie multiforme de Macron a consisté à minimiser l'importance de ces élections et à donner l'impression que sa réélection était un fait accompli. Il a donc déclaré sa candidature tardivement et a tenté d'éviter toute polémique majeure pour ne pas alimenter les campagnes de ses rivaux. Cette stratégie, qui n’a été affectée que par l'affaire McKinsey, lui a quand même donné des sueurs froides à la fin.

La guerre entre la Russie et l'Ukraine a été une aubaine pour Macron. La navette diplomatique de ce dernier pour réduire les tensions entre les deux camps a été largement médiatisé diluant l'embarras de certaines de ses rencontres mais aussi certaines de ces initiatives ces dernières années durant lesquelles il a invité Poutine à discuter d'une « nouvelle architecture de sécurité » sans coordination avec l'Allemagne ou les autres partenaires de l'UE. L'invasion de l'Ukraine a aussi permis à Macron de cultiver son image d'homme d'État. Cette couverture médiatique a aussi écrasé le temps d’antenne réservé aux débats politiques, permettant à Macron d’esquiver un éventuel embarras sur les dossiers les plus brûlants.

Les liaisons dangereuses avec Moscou

Pendant ce temps, ses rivaux ont été souillés par leurs relations antérieures avec la Russie. Le candidat controversé Eric Zemmour, qui a commencé à faire campagne tôt, a longtemps été une menace pour Le Pen même s’il n’a achevé que 7.2% à la fin. En effet, de nombreuses zones d'ombre persistent en ce qui concerne sa stratégie. Certains de ces détracteurs avaient affirmé que Zemmour serait le fer de lance d’une "guerre par procuration" notamment pour saper Marine Le Pen et cannibaliser les votes d'extrême droite.

Zemmour a le plus souffert de ses liaisons dangereuses avec Moscou. Il avait fait l'éloge du président russe lors de sa campagne juste avant la guerre. Il avait également déclaré en décembre 2021 sur France 2 : "Le problème de l'Ukraine n'est pas que la Russie menace d'une invasion, je n'y crois pas. Je prends le pari que la Russie n'envahira pas l'Ukraine", assurait-il. Compte tenu des développements dramatiques en Ukraine, les intentions de vote pour Zemmour ont chuté depuis.

L’image de Marine Le Pen a également été affecté à cause de son association avec le Kremlin même si dans un degré moindre. Dans une interview en 2017, elle avait déclaré que ce serait un triomphe pour le Kremlin si elle devenait présidente de la France, défendant au passage l’annexion de la Crimée par la Russie. Son parti continue de rembourser la dette de financement de campagne, qui lui a été prêtée par une banque à Moscou. Elle a réussi néanmoins à s’en sortir indemne, rester sur son message et conserver son élan.

Édulcorer l'étiquette de l'extrême droite

Le Pen s’est servie des excès de Zemmour pour se dédouaner de son image d’extrémiste et se présenter comme une candidate acceptable après avoir été discréditée pendant des années à cause de son appartenance à l'extrême droite. N'oublions pas que le principal succès de communication de Le Pen a consisté à rebaptiser son parti de "Front National" à "Rassemblement National" pour attirer davantage d'électeurs d'horizons divers.

Pendant de longues périodes, Le Pen a réussi à édulcorer l'étiquette de l'extrême droite et à véhiculer l'image d'un parti conservateur et nationaliste de droite. Cependant, pour attirer encore plus l’électorat de Zemmour durant les derniers jours avant les élections, elle a exposé son sectarisme en attaquant des femmes musulmanes portant le foulard, menaçant d'interdire cette pratique de la sphère publique.

L’effet porte-monnaie

De son côté, Jean-Luc Mélenchon s'est bien battu jusqu'au bout. En janvier, il pouvait à peine atteindre 7,6% d'intentions de vote. Le fait qu’il est arrivé en troisième position avec 21.1% représente une envolée remarquable en l'espace de quelques semaines. Sa rhétorique populiste opposée aux élites a séduit les jeunes électeurs.

Le discours de Mélenchon a surtout porté sur des questions d'intérêt pour le citoyen lambda, comme le gel des prix du carburant, la retraite anticipée, et l'amnistie pour les manifestants des gilets jaunes. Il était le seul en compagnie de Le Pen à parler tout le temps des sujets qui tiennent à cœur la France populaire. Sa campagne a donc bénéficié de l’effet porte-monnaie. En effet, l’augmentation des prix de l’alimentation, les dépenses contraintes (chauffage, énergie) et l’inflation ont donné un coup de massue au pouvoir d’achat des Français. Mélenchon a aussi bénéficié du vote utile des électeurs de gauche.

Paradoxalement, Macron a refusé de participer aux débats sur les sujets économiques et sociaux qui touchent une majorité de Français. Il n’a pas fait une grande campagne, loin de là. D’aucuns comme le journal Les Echos l’ont décrit comme "campagne ovni". Un seul rassemblement, une poignée de déplacements et pas de débat télévisé n’ont pas vraiment réussi à impressionner.

Des phénomènes politiques plus larges

Au-delà des différentes stratégies de communication, cette élection illustre des phénomènes politiques plus larges. En premier lieu, les électeurs ne sont plus attirés par les partis politiques traditionnels tant de gauche que de droite. La campagne d'Anne Hidalgo a été un échec total (2.1 % de votes) et le parti socialiste n'est plus que l'ombre de ce qu'il était autrefois. De même, Valérie Pécresse (4.7 % de votes), pourtant l’héritière lointaine du parti du général De Gaulle et d’un mouvement qui a porté plusieurs présidents au pouvoir par le passé, a laissé beaucoup de plumes lors de cette campagne. C'est un signe des temps que tous les grands candidats à cette élection, que ce soit Macron, Le Pen, Mélenchon ou Zemmour, ne représentaient pas les grands partis établis. Au contraire, ils ont bâti des partis politiques autour de leurs personnalités respectives.

De plus, aucun thème politique fort ne s’est vraiment imposé. Le discours ultranationaliste et contre-mondialiste n’a pas séduit l’électorat. Le tout identitaire et les thèmes ethno-confessionnels propagés à tout va par Zemmour non plus. Même le réchauffement climatique qui est une source d’inquiétude pour les jeunes n’a pas permis à Yannick Jadot de s’imposer. En fait, on sent que les Français sont d'abord et avant tout inquiets pour leur pouvoir d’achat et leur avenir immédiat.

La montée de l’extrême droite

Ensuite, la montée de l’extrême droite est un phénomène notable depuis quelque temps. Le quotidien américain The New York Times a publié un article le 6 avril passant en revue l’historique de cette ascension, démontrant que ce qu’on voit aujourd’hui n’est que le fruit "d’années de guerres culturelles menées par les racistes à la télévision, sur les réseaux sociaux et dans les think tanks." L’article dénote aussi le rôle de Zemmour qui "a tiré la campagne électorale française à l’extrême-droite en repoussant de plus en plus loin les limites de ce qui était politiquement acceptable en France."

Il faut dire que Macron a aussi joué un rôle dans cette évolution. Il a banalisé le discours de l’extrême droite. Macron n’a pas hésité à chasser sur le terrain de l’extrême droite durant cinq ans. Cela était devenu évident en 2019 quand le chef de l’Etat s’était exprimé dans un entretien fleuve sur l'hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles dans lequel il a soulevé une polémique sur la trilogie immigration-Islam-identité. Son choix du ministre Darmanin à l'Intérieur était aussi un coup d’œil aux électeurs d'extrême-droite. Ce dernier avait multiplié les déclarations provocatrices.

Darmanin a aussi fait siennes certaines thèses racistes de l'extrême droite comme la thèse de "l’ensauvagement". Ensuite la décoration de l’écrivain raciste et islamophobe Michel Houellebec par la légion d’honneur en 2019 et la loi contre le séparatisme, votée en février 2021, ont aussi donné la couleur.

L’abstention et l’indécision

Finalement, l’autre problème persistant est l'abstention. Malgré qu’il n’y ait pas eu une chute massive de participation, l’abstention a été plus importante qu’en 2017. La perception que Macron est le vainqueur inévitable, combinée à la période des vacances en France, a refroidi l'intérêt général pour les élections. Un souci similaire est le phénomène de l’indécision. Les enquêtes estiment que 49 % étaient indécis pour 2022 et ne savaient pas jusqu’au dernier moment pour qui ils allaient voter (comparé à 26 % en 2012).

Maintenant, les tractations commencent pour le deuxième tour qui se présente comme un match retour de 2017. Les deux camps ont déjà commencé à peaufiner leurs stratégies et ont certainement d’autres cartes dans leurs manches. Le pari de Macron semble avoir déjà réussi : s'établir comme un rempart contre l’extrême droite même s’il a joué un peu au "pompier pyromane" dans ce contexte.

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