Les realisateurs du documentaire "No other land", le palestinien Basel Adra et l' israélien Yuval Abraham. / Photo: AA (AA)

Depuis la fin de la Berlinale-le festival de cinéma de Berlin, le réalisateur israélien Yuval Abraham n’a toujours pas regagné Israël. Le cinéaste a dû ajourner son retour au pays natal, du fait des menaces proférées à son encontre par des extrémistes, comme il l'a indiqué sur son compte X.

“Une foule israélienne de droite est venue hier au domicile de ma famille pour me rechercher, menaçant les membres de ma famille proche, qui avaient fui vers une autre ville au milieu de la nuit. Je reçois toujours des menaces de mort et j'ai dû annuler mon vol de retour”, explique-t-il.

“Cela s'est produit, poursuit le cinéaste, après que les médias israéliens et les politiciens allemands ont absurdement qualifié mon discours de remise de prix à la Berlinale – dans lequel j'appelais à l'égalité entre Israéliens et Palestiniens, au cessez-le-feu et à la fin de l'apartheid – d”'antisémite”.

Pour Yuval Abraham y voit une “effroyable” instrumentalisation du mot “antisémite”avec pour objectif non seulement de “taire les critiques palestiniennes à l'égard d'Israël, mais aussi pour faire taire les Israéliens comme moi qui soutiennent un cessez-le-feu qui mettrait fin aux tueries à Gaza et permettrait la libération des otages israéliens”.

“Mais par-dessus tout, comme le fait remarquer le cinéaste israélien, ce comportement met en danger la vie du co-réalisateur palestinien Basel Adra, qui vit sous occupation militaire et entouré de colonies violentes à Masafer Yatta. Il court un bien plus grand danger que moi”.

L'histoire récente nous enseigne que critiquer ou remettre en question le narratif d’Israël sur la question palestinienne, peut être dangereux, surtout lorsqu’on est juif ou palestinien.

Depuis le début de la guerre de Gaza le 7 octobre dernier, les figures les plus en vue de l’intelligentsia, de la littérature ou de la poésie sont surveillées de près, censurées, muselées ou réduites au silence éternel.

“Le nettoyage ethnique de la Palestine” retiré du marché

Le 7 novembre dernier, le public a été surpris par l’arrêt de la commercialisation de l’ouvrage “Le nettoyage ethnique de la Palestine” de l’historien israélien Ilan Pappe. Un retrait de l’ouvrage du marché survient après l’acquisition de la maison d’édition de l’ouvrage “Hachette Livre” par “Vivendi” de l’homme d’affaires Vincent Balloré, réputé proche de l’extrême droite française et d’Israël.

Ilan Pappe auteur du livre “Le nettoyage ethnique de la Palestine”. (Others)

Dans cet ouvrage, l’historien Ilan Pape, explique le libraire français Patrick Bobulesco : “ (...) révèle que l'exode des Palestiniens en 1948, ou la Nakba (désastre), était en réalité le fruit d'un plan élaboré bien avant le début des hostilités, et non simplement une conséquence accidentelle de la guerre. Il impliquait notamment la pression, la menace et la destruction de la société urbaine palestinienne”.

D’après la maison d'édition française La Fabrique, qui a annoncé sa décision de rééditer le livre "Le nettoyage ethnique de la Palestine", il existe une "ingérence et une censure scandaleuses" contre les voix qui critiquent Israël en France.

Ilan Pape, faut-il le souligner, appartient à ces intellectuels qu’on appelle en Israël les “nouveaux intellectuels”. Ils se caractérisent par un réexamen critique de l'histoire de l’État d’Israël et du sionisme. Ils questionnent les mythes de l'historiographie officielle qui sous-tendent un narratif d’une nationale en Israël.

Du reste, les idées de Ilan Pape ont alimenté la polémique et fortement déplu aux autorités et extrémistes israéliens. En 2007, un an avant la sortie de son essai “Le nettoyage ethnique de la Palestine”, se sentant menacé pour sa sécurité et régulièrement harcelé par l’administration de l’université d’Haïfa ou il enseignait, il s’exila en Grande-Bretagne. Il enseigne désormais l'histoire à l'université d’Exter et dirige le Centre européen d'études sur la Palestine.

Plus de trente artistes et écrivains tués à Gaza

Depuis le début de la guerre à Gaza, force est de constater la disparition de toute une génération des créateurs des œuvres de l’esprit comme les poètes, dramaturges, écrivains ou encore peintres. Tous ont disparu brutalement dans les bombardements israéliens. Leurs œuvres témoignent de l’identité de la Palestine et de l’attachement des palestiniens a leur terre.

Deux mois après le déclenchement de la guerre par Israël, le poète palestinien Refaat Alareer est mort à Gaza, tué par un bombardement de l’armée israélienne. À 44 ans, il enseignait la littérature à l’université islamique de Gaza. C’était l’un des chefs de file de la littérature palestinienne qui témoignait du quotidien austère et de la quête de liberté des habitants de l’enclave.

Début décembre, ce sont une trentaine d’écrivains, poètes, peintres Palestiniens qui ont succombé aux bombardements de l’armée israélienne.

De l'écrivain, journaliste et photographe palestinien Yusuf Dawas, au poète et écrivain Nour al Din Hajjaj, en passant par l’artiste Mohammed Qaryeqa, le poète et romancier Omar Abu Shaweesh, la dramaturge Inas al Saqa, la plasticienne Heba Zagout ou les poétesses et romancière Hiba Abu Nada entre autres, tous ont été réduits au “silence éternel” par l’armée israélienne.

Pour le ministre palestinien de la Culture, il ne fait l’ombre d’aucun doute qu’il s’agit d’une stratégie bien pensée,pour effacer la mémoire collective d’un “peuple assiégé”.

"La guerre contre la culture a toujours été au cœur de la guerre menée par les agresseurs contre notre peuple, car la véritable guerre est une guerre contre le récit. Elle vise à voler la terre et ses riches trésors de connaissances, d'histoire et de civilisation, ainsi que les histoires qu'elle renferme", écrit le Dr Atef Abu Saif, dans l'introduction d’un rapport sur la disparition d’une trentaine de créateurs des œuvres de l’esprit, 60 jours après le début de la guerre de Gaza.

TRT Francais