Esplanade de la mosquée Suleymaniye à Istanbul/ Photo: Getty Images (Getty Images)

La tempête sismique qui a frappé la Turquie a relancé le débat sur les techniques d'ingénierie modernes résistantes aux tremblements de terre, notamment les isolateurs flexibles placés entre les fondations et les colonnes des bâtiments. Des experts sont intrigués par les procédés mis au point par le célèbre architecte ottoman "Mimar Sinan" dans des mosquées et des édifices depuis plusieurs siècles.

Tout au long de l'histoire, la Turquie en général et Istanbul en particulier ont été frappés par de grands tremblements de terre. Cependant, les édifices conçus et construits par Mimar Sinan ont survécu à ce fléau sans dommages considérables. Des édifices tels que la mosquée Selimiye, la mosquée Suleymaniye et la mosquée Şehzade, ainsi que des ponts, des bains et bien d'autres ne sont que quelques exemples de l'héritage de Mimar Sinan.

Mimar Sinan (Others)

Pendant près de 5 siècles, les monuments bâtis par Sinan, qui allient beauté architecturale et prouesse d'ingénierie, ont pu tenir debout grâce au génie de l'ingénierie de son concepteur, ainsi qu'à sa connaissance approfondie du fonctionnement des composants architecturaux et des matériaux de construction lors des tremblements de terre, ce qui lui a permis d'utiliser des méthodes et des techniques en avance sur son temps.

Quel est le secret de la longévité des œuvres de Mimar Sinan?

Avant d'entrer dans les détails, le choix du site convenable et la conception des fondations appropriées sont les deux éléments les plus importants de l’architecture parasismique de Sinan. L’examen de la mosquée Selimiye (inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO), construite à Edirne en 1574 et considérée par Mimar Sinan lui-même comme un chef-d'œuvre, révèle sa grande capacité de résistance aux tremblements de terre.

Il est clair que Mimar Sinan a prêté attention à des détails minutieux mais importants lors de l'exécution de ce travail. Les experts qui ont étudié le terrain et la mosquée ont découvert que le socle de la mosquée Selimiye repose sur un sol mou et, par conséquent, ils ont conclu que la meilleure solution d'ingénierie pour construire une mosquée et de grands minarets au-dessus de ce site est de fixer les fondations des minarets avec des mailles métalliques. Quelle n’a pas été leur surprise de constater que Mimar Sinan avait appliqué la même solution en utilisant la même technologie déjà à son époque.

Bâtir pour l’éternité !

Dans l'architecture moderne, les bâtiments ont généralement une durée de vie entre 100 et 150 ans, après quoi la durabilité ne peut plus être garantie. Mais l'ingénieur ottoman Mimar Sinan a promis au sultan Soliman le Magnifique au XVIe siècle de lui construire une mosquée qui resterait debout " jusqu'au Jour de la Résurrection". Le plus grand défi auquel Sinan aurait fait face est la construction de la mosquée Suleymaniye à Istanbul, célèbre pour ses tremblements de terre forts et violents.

Lors de la mise en œuvre de ce projet ambitieux, Sinan s'est assuré de remplir deux conditions primordiales: la nature du terrain et la qualité des fondations. Pendant plus de 5 siècles, la mosquée a survécu, malgré ses dimensions énormes, à 89 tremblements de terre, dont 15 ont dépassé 5,5 degrés sur l'échelle de Richter, sans aucun dommage significatif. Ce monument n'a été restauré que 4 fois depuis sa construction.

Dans un premier temps, Mimar Sinan a creusé des fondations sur une superficie de 150 mètres sur 70 mètres et 6 mètres de profondeur, où il a retiré un sol sableux d'une épaisseur de 5 à 6 mètres jusqu'à atteindre la couche rocheuse. Il a fait planter, par la suite, 30 000 pieux dans le sol, placé des tonnes de blocs de pierre dessus et a attendu plus de deux ans afin de s’assurer que la terre devenait mieux compactée et capable de supporter d’énormes charges.

À ce stage, il a recouvert le sol d'une couche de mortier de 20 centimètres sur laquelle il a placé des blocs de bois qui constituent la couche flexible devant agir comme des tampons en caoutchouc contre les secousses.

L’édifice a été fortifié par un mur de pierres taillées et de rochers, d’épaisseur décroissante du bas vers le haut, décrivant une forme pyramidale. Cette fondation en gradins confère au bâtiment une grande stabilité en cas de secousse.

En outre, Mimar Sinan a veillé à contrôler l’humidité des fondations par le biais de canaux de drainage qui servent à préserver les assises du bâtiment des eaux souterraines.

Restoration of Selimiye Mosque (AA)

Exemples de techniques antisismiques traditionnelles

1. Mortier de Khorasan: Dans l'architecture seldjoukide classique et ottomane, le matériau de base pour les jointoiements entre les pierres de construction était le mortier de Khorasan. C'est un mélange utilisé depuis l’âge des pyramides égyptiennes et qui a la particularité de se solidifier sous la pression et de fléchir lorsqu'il est secoué. Mimar Sinan a, toutefois, apporté une modification notable à la composition du mortier qui l’a rendu plus souple et mieux adaptée en cas de tremblement de terre.

2. Anneaux de plomb: Afin de conférer davantage de flexibilité à la structure et éviter l’éboulement des murs en pierre sous l’effet des vibrations causées par les tremblements de terre, Mimar Sinan a poussé la maçonnerie classique des minarets un peu plus loin, en perçant des trous dans les pierres et en les verrouillant ensemble à travers des anneaux de plomb. Ainsi la technique du joint flexible, utilisée au Japon aujourd'hui, était-elle appliquée à Suleymaniye il y a 500 ans.

Les minarets de Suleymaniye se caractérisent par une flexibilité à toute épreuve. Grâce notamment à ses joints mobiles qui absorbent le choc des secousses, le bâtiment peut résister même à un tremblement de terre de magnitude 8. À titre d’exemple, les minarets de la mosquée Suleymaniye rivalisent en résilience avec les gratte-ciel modernes.

3. Jauge de déformation: La mosquée Muradiye, construite en 1585 et unique œuvre de Mimar Sinan à Manisa et dans la région égéenne, est célèbre pour ses pierres cylindriques rotatives situées aux deux extrémités du mihrab. Ces mécanismes présentent encore une grande maniabilité qui montre que la structure du bâtiment est intacte et n'a pas subi de dommages qui auraient exercé une pression de manière à l'empêcher de tourner.

Mis en place dans la mosquée Muradiye depuis 438 ans et toujours opérationnelle, cette technique montre clairement la durabilité de l’édifice et sa résistance aux tremblements de terre tout au long de cette période.

D'autre part, les mosquées ottomanes avant l'ère de Mimar Sinan étaient célèbres pour la présence de ces indicateurs placés dans les coins des mosquées, comme c’est le cas de la mosquée Muharramiya à Hatay, dont la date de construction est estimée entre 1400 et 1500, et la mosquée verte à Bursa, qui a été construite en 1424.

TRT Francais