Pyrénées : fermeture polémique de la route transfrontalière du col de Banyuls (AFP)

Cette fermeture visant à lutter contre le terrorisme et l'immigration illégale est "une absurdité administrative", lâche Pierre Becque, président de l'association Albères (le massif où se trouve le col, NDLR) sans frontière, la main appuyé sur un des blocs rocheux mis en place au col pour bloquer la route.

Pour José Rueda, un Catalan espagnol de 32 ans qui vient vendanger depuis sept ans près de la petite ville française de Banyuls-sur-Mer, "venir par le col était très facile. Maintenant, on dépense plus en essence. Certains venaient travailler pour la journée et repartaient dormir à Espolla ou Figueras", côté espagnol. "Ceux-là ne viennent plus", ajoute-t-il avec regret.

Alors que des travailleurs frontaliers ou saisonniers espagnols passaient par le col pour gagner du temps, nombre d'habitants de Banyuls prenaient la petite route pour faire des courses côté espagnol et y acheter notamment des cigarettes ou de l'alcool à meilleur prix.

Le maire de Banyuls-sur-Mer, Jean-Michel Solé, dénonce "une atteinte aux libertés individuelles et de commerce" et rappelle les "liens forts" entre sa commune et Espolla, un des villages espagnols proches du col.

"Voisins"

Dans la salle du conseil municipal, le maire d'Espolla, Carles Lagresa, est flanqué du drapeau catalan. "Nous sommes voisins. Ce passage nous permettait d'être en contact avec toute la côte de la Catalogne Nord", dit-il à l'AFP, faisant allusion aux stations balnéaires de la Catalogne française, Collioure, Banyuls, Argelès-dur-Mer.

"Moi-même, j'ai de la famille à Banyuls, même si elle est un peu éloignée. Et mon grand-oncle est enterré là-bas", ajoute-t-il, rappelant aussi le manque à gagner pour les commerçants.

Derrière le comptoir du bar tabac d'Espolla, Cristina Juanola confirme: "Les gens de la zone de Banyuls, qui avaient l'habitude de passer par le col" le font maintenant par les passages frontaliers de Port Bou ou La Jonquère, et s'arrêtent aux tabacs ou aux cafés qu'il y a là-bas", regrette-t-elle.

À l'instar d'autres préfets des départements pyrénéens, celui des Pyrénées-Orientales a interdit à partir du 11 janvier 2021 la circulation sur cinq passages frontaliers, dont le col de Banyuls, invoquant "la menace terroriste" et les "mouvements soutenus" de migrants.

Cette interdiction faisait suite à la venue dans le département, le 5 novembre 2020, du président Emmanuel Macron qui avait annoncé un durcissement des contrôles aux frontières.

Sollicitée par l'AFP, la préfecture des Pyrénées-Orientales a confirmé la réouverture d'un des cinq cols en mai 2021, mais n'a fait aucun commentaire sur les demandes de réouverture de celui de Banyuls.

- Interdit républicain -D'Espolla au col, le trajet en voiture prend une quinzaine de minutes. La route serpente à travers les vignobles et la garrigue, avant d'arriver aux blocs coupant le passage. Un autre quart d'heure suffirait pour arriver à Banyuls-sur-Mer.

Par les autres routes, il faut entre une heure et une heure et demie, selon la saison, pour faire Espolla-Banyuls.

Dans la pratique, piétons, vélos et même certains véhicules peuvent passer par le col, malgré les rochers érigés en travers de la route. Arrivé du côté français, un conducteur de 4x4 donne quelques coups de volant, fait une marche arrière sur quelques mètres, puis passe côté espagnol par une petite piste très pentue.

"Ces blocs n'arrêtent rien du tout", commente aussitôt Pierre Becque, jugeant peu probable que des immigrés illégaux ou des terroristes empruntent ce passage, avec ou sans blocs.

Quelques mètres plus loin, côté français, une plaque rappelle que des réfugiés espagnols fuyant la dictature de Francisco Franco (1939-1975) sont entrés en France par là.

Puis, pendant la Seconde guerre mondiale, des personnes refusant le travail obligatoire imposé par les nazis, ou des juifs persécutés, ont fui par ce point frontalier, mais dans l'autre sens, précise Pierre Becque.

"Du temps de Franco, on pouvait passer. Maintenant, la République française nous l'interdit", résume à sa façon Jacques Solane, un autre membre de l'association Albères sans frontière.

AFP