Marine Le Pen est accusée par ses adversaires de complaisance avec la Russie de Poutine même si elle a condamné l'invasion sans équivoque (AP)

La cheffe de l'extrême droite Marine Le Pen est parvenue dimanche pour la deuxième fois au second tour de l'élection présidentielle face à Emmanuel Macron, fruit d'une "dédiabolisation" et d'une banalisation de son image - mais pas de son programme - menée pas à pas depuis 10 ans.

Héritière ambitieuse au tempérament orageux, la benjamine des trois filles de Jean-Marie Le Pen, sulfureux fondateur du Front national (FN) depuis rebaptisé Rassemblement national (RN), était déjà parvenue en 2017 - comme son père 15 ans plus tôt - au second tour de la présidentielle.

Elle s'est de nouveau qualifiée dimanche, obtenant entre 23,4% des suffrages, derrière le président sortant, largement en tête avec entre 27,6% des voix.

Une petite victoire familiale pour la fille de Jean-Marie Le Pen, figure pendant des décennies de l'extrême droite française, qui n'avait jamais pu rêver d'être aussi haut. Elle a dû pour cela patiemment déconstruire ce qu'il avait bâti à coup de harangues antisémites ou racistes, parfois condamnées en justice.

"Dédiaboliser" le FN, jusqu'à en exclure en août 2015 son père, dont les propos clivaient trop pour permettre une victoire nationale.

"J'ai adulé cet homme", confie-t-elle. "Je me suis beaucoup battue pour lui mais à un moment donné, cela devait s'arrêter".

Changer l'image du parti à travers une "normalisation", qui passait par un nouveau nom. Le FN, à sinistre réputation, devint "Rassemblement national" en 2018. Sa formation, qu'elle préside depuis 2011, fait campagne sur son prénom, Marine, préféré à son patronyme, lourdement connoté.

Liens personnels avec la Russie

Sur les plateaux, la candidate, au caractère ombrageux, ne s'énerve plus des piques des journalistes.

Elle encaisse poliment. S'habille de couleurs claires. Sourit davantage. Montre son côté femme.

Deux fois divorcée, mère de trois enfants, séparée d'une des figures du mouvement, cette avocate de formation, âgée de 53 ans, insiste sur l'économie, parent pauvre du discours du RN, afin de séduire les "perdants" de la mondialisation.

Pour la présidentielle de 2022, elle fait campagne sur le pouvoir d'achat, préoccupation numéro 1 des Français, alors que la guerre en Ukraine fait s'envoler les prix du carburant et des aliments. Face à un Emmanuel Macron, ancien banquier d'affaires, désigné "président des riches".

Un temps débordée à sa droite par Eric Zemmour, elle laisse passer l'orage et voit l'ex-polémiste, qui veut obliger les parents à donner des "prénoms français" aux nouveaux-nés ou créer un ministère de la Rémigration pour renvoyer les étrangers indésirables, s'effondrer dans les sondages.

Par rapport au "discours radical, voire brutal" choisi par M. Zemmour, "Marine Le Pen a fait le choix inverse de normaliser, d'adoucir, de lisser son discours", observe Cécile Alduy, professeure à l'université de Stanford et chercheuse associée au Cevipof (Sc ience Po).

"Son programme n'a guère changé sur les fondamentaux du FN comme l'immigration et l'identité nationale, mais elle a choisi un autre vocabulaire pour le justifier", poursuit cette spécialiste de l'extrême droite. C'est désormais "au nom de la laïcité et des valeurs républicaines, voire du féminisme, qu'elle attaque l'islam et veut limiter drastiquement l'immigration non-européenne".

Marine Le Pen est accusée par ses adversaires de complaisance avec la Russie de Poutine même si elle a condamné l'invasion sans équivoque. Elle soutient l'idée d'"arrimer la Russie à l'Europe" afin que ce pays "ne parte pas dans les bras de la Chine".

Elle a noué des liens personnels avec la Russie et s'y était rendue lors de l'élection de 2017. La candidate a aussi cultivé des relations étroites avec les dirigeants dits populistes d'Europe centrale, dont Viktor Orban en Hongrie.

"Agressive"

Sur le plan migratoire, son programme s'est même "durci" depuis 2010, pointait lundi une étude de la Fondation Jean-Jaurès.

Marine Le Pen prévoit pour 2022 d'inscrire dans la Constitution la "priorité nationale" qui privera les étrangers de plusieurs prestations.

Elle veut aussi, comme Éric Zemmour, expulser les clandestins, criminels et délinquants étrangers, ceux qui sont soupçonnés de radicalisation ainsi que... les étrangers sans emploi depuis plus d'un an, notait-elle.

Elle débattra de nouveau le 22 avril face à Emmanuel Macron et tentera d'effacer le souvenir désastreux de son débat raté d'entre deux tours de 2017, qui lui avait coûté très cher.

Marine Le Pen, qui reconnaissait fin mars dans le quotidien Le Parisien, une "erreur stratégique", affirme en avoir "tiré les leçons".

"Il y a cinq ans, j'avais en face de moi un jeune homme venu de nulle part. Je me suis dit qu'il fallait que j'explique aux Français quelle allait être sa politique et donc j'ai été agressive", explique-t-elle.

Mais "cette fois-ci, je vais vraiment utiliser mon temps pour montrer aux Français qu'une autre politique est possible. (...) Je pense que je n'ai jamais été aussi près de la victoire qu'aujourd'hui".

Agences