Londres veut légiférer pour outrepasser la CEDH (Reuters)

Juridiction du Conseil de l'Europe veillant au respect de la Convention européenne des droits de l'Homme, la Cour s'était opposée à l'expulsion controversée vers le Rwanda de migrants arrivés clandestinement au Royaume-Uni. Sa décision avait cloué au sol un avion spécialement affrété à grands frais peu avant son décollage d'une base militaire anglaise le 14 juin.

Le gouvernement du Premier ministre conservateur Boris Johnson s'était montré cependant résolu à déployer le dispositif, alors que les traversées de la Manche sont en constante augmentation malgré ses promesses répétées de contrôler l'immigration depuis le Brexit.

Il avait réitéré son intention de réformer la législation sur les droits de l'Homme, avec une nouvelle "Bill of Rights" (déclaration des droits) présentée mercredi, qui ferait en sorte que le gouvernement puisse ignorer ce type d'injonctions provisoires de la CEDH.

"Cette déclaration des droits renforcera notre tradition britannique de liberté tout en injectant une saine dose de bon sens dans le système", a commenté le ministre de la Justice, Dominic Raab.

Elle viendrait remplacer la loi ("Human Rights Act") qui incorpore la Convention européenne des droits de l'Homme dans le droit britannique.

Le dispositif d'expulsion vers le Rwanda, à plus de 6.000 kilomètres de Londres, avait été validé par les tribunaux britanniques qui avaient débouté des associations s'y opposant. Mais la CEDH avait estimé que la justice britannique devait en examiner la légalité dans le détail, ce qui est prévu en juillet, avant de le mettre en œuvre.

Bien que la juridiction n'ait aucun lien avec l'Union européenne, que les Britanniques ont quittée en 2020 pour "reprendre le contrôle" de leur destinée, cette décision avait alimenté la rhétorique du gouvernement contre des institutions européennes accusées d'attenter à la souveraineté nationale.

La ministre de l'Intérieur, Priti Patel, avait dénoncé son caractère "opaque" et "politiquement motivé". Des députés conservateurs s'étaient indignés aussi, y voyant une "ingérence" inacceptable dans les affaires du pays.

"Bond en arrière"

Si le ministre Dominic Raab a estimé que, dans certains cas, le dernier mot devait revenir à la Cour suprême, il a toutefois exclu sur Sky News de sortir le Royaume-Uni de la CEDH comme le pressent certains députés conservateurs.

La "Bill of Rights" prévoit aussi de faciliter l'expulsion de ressortissants étrangers condamnés en justice, en limitant leur possibilité de faire prévaloir leur droit à la vie familiale sur la sécurité publique.

"Ces réformes renforceront la liberté d'expression, nous permettront d'expulser plus de criminels étrangers et de mieux protéger le public contre de dangereux criminels", selon M. Raab.

Déjà vent debout contre les expulsions au Rwanda, également condamnées par l'ONU, l'Eglise anglicane et, selon la presse, le prince héritier Charles, de nombreuses ONG ainsi que le Parti travailliste d'opposition ont décrié ce nouveau projet de législation.

"Le Human Rights Act a permis à des millions de personnes d'accéder à la justice, de protéger les victimes de crimes et d'assurer à nos êtres chers d'obtenir les soins dont ils ont besoin", a déclaré Steve Reed, responsable de la justice au Labour.

Mais la nouvelle déclaration "enlèvera ces droits".

Amnesty International UK y voit "un énorme bond en arrière pour les droits des personnes ordinaires" et Human Rights Watch un "affaiblissement des droits de tout un chacun au Royaume-Uni (...) parce que le gouvernement n'aime pas les contrôles sur le pouvoir exécutif".

Jusqu'à présent, le durcissement de la politique migratoire depuis le Brexit n'a pas eu l'effet dissuasif escompté: le nombre de migrants traversant la Manche à bord de petites embarcations depuis le nord de la France va de record en record.

Entre le 1er janvier et le 13 juin, 777 traversées et tentatives de traversées impliquant 20.132 candidats (+68% par rapport à la même période en 2021) ont été recensées, a indiqué le ministère français de l'Intérieur à l'AFP.

La situation suscite régulièrement des tensions entre Paris et Londres.

AFP