La police espagnole surveille la place de Tarajal à Ceuta, lieu de traversée des migrants entre le Maroc et l'Espagne / Photo: Reuters (Reuters)

Une initiative inconcevable en France. Imaginez la même annonce et vous verriez, de suite, une Marine Le Pen proche de l’apoplexie, un Éric Ciotti, patron du parti Républicain trépignant d’indignation et entendriez des cris dénoncer “l'invasion migratoire”.

En Espagne, point de psychodrame. Le Congrès a accepté, à une grande majorité, la proposition d’un collectif d’associations dont Caritas. Il s’agit, en fait, d’une ILP, une Initiative Législative populaire. Il faudra environ six mois à un an pour que le parcours législatif soit finalisé (passage en commission, vote des députés et des sénateurs). A l'issue du vote, la ministre espagnole de l’Inclusion, de la Sécurité sociale et des Migrations, Elma Saiz (PSOE), a exprimé, mardi sur X, son “ soutien total” au projet, tout en mentionnant que son parti proposerait des amendements pour améliorer le texte.

Maria Elisa Alonso Garcia, chercheure à l’université de Nancy et spécialiste de l’Espagne, estime que la loi va passer sans encombre. Le patronat, c’est une première, et la gauche soutiennent l'initiative.

Seul le parti d’extrême droite Vox a voté contre. “La dernière régularisation a eu lieu sous le premier ministre Zapatero en 2005, à cette période il y avait d’énormes besoins de main-d'œuvre dans le secteur du bâtiment. Aujourd’hui l'hôtellerie, le tourisme et l’agriculture ont besoin de main-d'œuvre, ils ne trouvent pas d'employés.

De plus cette fois-ci toutes les forces politiques se sont réunies autour de cette initiative, l’Église catholique, le patronat, le parti populaire qui est la deuxième force politique du pays. Il y a plus de consensus qu’en 2005.”

L’économie espagnole a besoin de bras

Selon une étude réalisée par la banque Allianz, l’Espagne a besoin de 338 000 travailleurs supplémentaires pour faire fonctionner son économie. Gonzalo Fanjul a rappelé à TRT Français le rôle de son institut de recherche Porcausa basé à Madrid, dans le débat lors du lancement de l'initiative en 2021. Avec deux études, il a montré la réalité de la migration illégale. “On a apporté des chiffres et surtout on a apporté la vraie image de cette migration. Beaucoup pensent à ces Africains qui essaient de passer par-dessus les barrières à Ceuta ou Melilla quand on parle immigration vers l’Espagne. Nous, on a montré que 80% de ces illégaux sont d’Amérique du Sud, ce sont des femmes, un quart sont des enfants et ils arrivent généralement légalement comme touristes ou étudiants. Dans un second rapport, on a aussi montré le bénéfice financier pour l’État si on légalisait ces personnes, l’État espagnol pourrait engranger 1 milliard d’euros par an”.

Le parti Vox, le parti d’extrême droite dénonce un texte qui pourrait servir d’incitation à la migration et a rappelé que le chômage en Espagne atteint 11%.

“Le chômage existe en Espagne mais cet argument ne fonctionne pas. Il y a des emplois qui ne trouvent pas preneurs, ce sont des emplois difficiles et physiques”, argumente Maria Elisa Alonso Garcia. Cette régularisation cherche à couvrir les besoins de ces secteurs en difficulté, ces secteurs en tension.

Les porteurs du texte estiment que la non-régularisation des migrants violerait leurs droits fondamentaux, les empêcherait de contribuer à la société espagnole. Les associations militantes insistent également sur la contribution des travailleurs migrants pendant la pandémie de COVID-19 entre 2020 et 2021 dans des secteurs clés, tels que les soins aux personnes âgées, la livraison de repas à domicile ou la collecte de fruits et légumes.

“Ce que je retiens de cette campagne c’est que la population a moins peur des migrants que nos élus. Il y a deux mois, j’aurais eu peur que l’initiative ne soit bloquée mais on a un vrai soutien populaire, il suffit de regarder la couverture des médias pour s’en rendre compte. Et surtout, le rôle de la hiérarchie catholique a beaucoup aidé,” commente Gonzalo Fanjul.

Le migrant type espagnol est une femme

Autre pays, autre mœurs a-t-on l’habitude de dire. Et entre l’Espagne et la France, la gestion des migrations est clairement différente. En France, on va vers plus de restrictions, plus de filtrage.

“En Espagne, le taux de natalité est le plus bas d’Europe et ce depuis 1941”, insiste Maria Elisa Alonso Garcia auprès de TRT Français : la société espagnole vieillit, son attitude envers l’immigration est, de ce fait, différente.

“On parle ici aussi de régulariser des migrants qui sont en Espagne, et qui sont pour la plupart des latino-américains. En France, le débat est perturbé par les questions de terrorisme. Les forces d'extrême droite sont aussi beaucoup plus fortes en France et elles peuvent bloquer une loi au Parlement. ”

L’actuel premier ministre ne risque même pas d’être mis en difficulté avec ce projet de régularisation. Son amnistie catalane sera plus problématique pour lui. L’Espagne est clairement une exception en Europe.

“Sur ce dossier, les Espagnols sont fiers d’être différents en Europe”, conclut Maria Elisa Alonso Garcia.

Nico Sguiglia, élu municipal Podemos (parti d’extrême gauche) à Malaga, a milité pour cette initiative. “La question des migrants, ce n’est pas une question de droite ou de gauche, mais c’est une question de démocratie. Quelle démocratie veut-on ? On doit se poser la question : veut-on des migrants avec des droits ou des migrants sans droits ?”.

L’Espagne est une porte d’entrée importante des migrations qui viennent du Sud de la Méditerranée vers l’Union européenne, notamment via les îles Canaries. Sur les trois premiers mois de l’année, le nombre d’entrées a explosé avec 16 156 entrées soit plus 277% par rapport à 2023.

TRT Francais