Congo: la richesse des ordures (Getty Images)

Une source potentielle d'énergie et d'engrais propres à même d’améliorer à la fois le quotidien des Congolais et l'économie du pays.

Lorsqu'en 2019 Destin Babila, un jeune polytechnicien de Pointe-Noire exposait son projet de biocharbon à des proches, le scepticisme était de mise.

"Les railleries les plus polies s'exprimaient par des fous rires ponctués de commentaires souvent désobligeants, voire décourageants'', se remémore t- il. "Qu'est ce qu'on peut tirer des déchets ? Une ordure c'est une ordure", tranchaient un brin sentencieux, les plus sceptiques.

"Pourtant, réplique sereinement dans un éclat de rire Destin Babila, la réalité est là : il y a de l'or dans les ordures. C'est de l'or vert !"

Trois ans après, le rêve a pris forme et les sceptiques semblent confondus. Avec Wumela Bio-charbon, la startup créée par le polytechnicien, les ordures connaissent une seconde vie, une métamorphose. Le charbon écologique encore appelé bio-charbon et le biochar, l'engrais écologique existent bel et bien. Ce sont les premiers produits de la startup qui emploie 12 permanents.

Le biocharbon

D'abord amusé, Destin Babila se dit avoir été choqué et révolté par la quantité d'ordures qui gagnaient du terrain dans la ville de Pointe-Noire.

"80 % de déchets, de biomasse sont produits par les ménages, explique Destin Babila. Nous sommes choqués par la quantité de déchets autour de nous. Nous avons lancé le projet pour valoriser les ordures et offrir une énergie propre à la population qui génère ces mêmes déchets."

Cette énergie propre, c’est le bio-charbon "un dérivé des biomasses administratives (comme du papier), agricoles (à l’exemple du bois mort, de la drèche, la bagasse qui est un résidu fibreux issu du broyage de canne à sucre) et des biomasses issues des ménages", précise Destin Babila.

Pour obtenir du biocharbon, les équipes de Wumela collectent des déchets, les trient. S'en suit un processus de séchage, de torréfaction et de broyage pour obtenir une poudre noire enrichie d'additifs. Le moulage pour donner la forme du bio-charbon termine le processus. Après trois jours de séchage, le produit final est prêt à être utilisé sous forme de briquettes notamment. Au- delà de la lutte contre l'insalubrité urbaine, la production du bio-charbon, d'après Destin Babila, participe aussi de la lutte pour la préservation de la forêt.

Salubrité et préservation de la forêt

Une étude de 2013 menée par la Banque Mondiale pour le compte du COMIFAC (Commission des forêts d’Afrique centrale) estime que la production du charbon de bois est une réelle menace pour les forêts de la sous-région : "S’il suit un scénario de maintien du statu quo, l’approvisionnement en charbon de bois pourrait constituer dans les prochaines décennies la menace la plus importante pour le bassin du Congo, où les coupes ont constamment augmenté ces dernières années, avertissent les auteurs de l’étude. Selon les estimations, plus de 90% du volume de bois récolté dans le bassin du Congo servirait à produire l’énergie, et un mètre cube (m3) équivalent de bois serait en moyenne nécessaire par personne et par an."

"Voyez-vous avec les statistiques officielles, en 2016 dans mon pays, le Congo, on en était à près de 100 000 tonnes de consommation de charbon de bois et à environ 132 000 tonnes de consommation de bois de chauffe. C’est dire que si nous agissons, nous pouvons réellement lutter contre la déforestation et le changement climatique", insiste Destin Bibila.

Le Biochar améliore les rendements et lutte contre le changement climatique

Outre le biocharbon, la startup s'est lancée depuis 2022 dans la production du biochar, un engrais écologique obtenu lui aussi à partir des déchets végétaux agricoles ou forestiers.

"La biomasse est brûlée par pyrolyse, dans un four spécialement conçu, chauffé à plus de 300 degrés à l'abri de l'air. Nous devons avoir une teneur en charbon à plus de 85 %", explique Destin Babila.

Visiblement cet engrais écologique est très bénéfique pour l'agriculture.

"L'objectif premier du biochar est d'améliorer les sols, d'entretenir la vie microbienne des sols. Il permet la rétention d'eau jusqu'à 15 %, la régularisation de l'acidité des sols. Il retient beaucoup de CO2 et participe ainsi à la lutte contre le réchauffement climatique. Bien utilisé souligne Destin Babila, le biochar permet d'améliorer les rendements de production de 50% à 100%."

Des propos corroborés par des experts de Pro Natura, une ONG internationale née au Brésil, à la suite de la conférence de Rio de 1992. Objectifs : "le développement rural, la protection de la biodiversité et la lutte contre le changement climatique dans les pays en développement."

"L’introduction de 300 grammes à un kilo de biochar par m2 permet d’augmenter la productivité des cultures en zones tropicales entre 50% et 200%, lit- on sur le site internet de cette ONG. Une seule application crée et maintient une fertilité de longue durée, augmente la séquestration de carbone qui lutte contre le changement climatique. Les effets du biochar ont pu être évalués scientifiquement :

- Stimulation de la biologie des sols (+40% de champignons de mycorhize)

- Amélioration de la rétention des nutriments (+50% d’échanges cationiques)

- Augmentation de la capacité de rétention d’eau dans les sols (jusqu’à +18%)

- Accroissement du pH des sols acides (1 point de plus en moyenne)

- Augmentation de la matière organique du sol

- Réduction des émissions de N2O et de CH4."

Prometteur malgré tout

Toujours est-il qu'une grande entreprise au Congo suits de près l'évolution du biochar.

Engagée dans "une démarche écologique", cette entreprise tient à ce que “le "maïs, l'un des principaux ingrédients dans la fabrication de ses produits, respecte davantage l'environnement. Qu'il soit écologique, précise le polytechnicien".

"Des tests sont en cours et nous aviserons à l'issue du processus " indique un officiel de cette succursale d'une grande multinationale.

Le promoteur de Wumela Bio-charbon se dit "en mesure de contribuer efficacement à l'amélioration de l'agriculture au Congo grâce au biochar". Seul handicap : l'insuffisance des moyens financiers. "Nous fonctionnons encore sur fonds propres et nous ne sommes pas en mesure de satisfaire une demande sans cesse croissante" regrette Destin Babila.

Résultats, la production est limitée à 30 tonnes par mois…

"En Europe, ils ont les moyens financiers mais pas de déchets. Ici, nous avons les déchets mais pas de moyens", conclut, optimiste Destin Babila pour qui "le recyclage des ordures est un secteur porteur…"

TRT Francais