Les juges de la Cour international de justice ont reconnu l'existence d'un "risque plausible que des actes génocidaires soient commis" durant la campagne militaire israélienne en cours dans la bande de Gaza / Photo: Reuters (Reuters)

En décembre, la plus haute juridiction de l'ONU a débouté Israël de sa demande de rejeter la plainte pour génocide déposée par l'Afrique du Sud, reconnaissant qu'il existe un risque plausible que des actes génocidaires soient commis durant la campagne militaire israélienne en cours dans la bande de Gaza, qui a tué plus de 27 000 Palestiniens et en a blessé plus de 66 000.

Dans sa décision provisoire, la CIJ a également reconnu le risque plausible de génocide dans l’enclave encerclée.

Interprétation du risque de génocide

Michael Becker, expert en droit international, considère qu'il était "très important que la CIJ ait estimé que l'Afrique du Sud avait présenté des revendications au moins plausibles".

Bien qu'il ne s'agisse pas d'une norme très élevée, il est tout de même significatif que la Cour ait déclaré qu'elle avait été respectée, a-t-il ajouté.

Toby Cadman, spécialiste du droit international, souligne que la Cour n'était pas censée déterminer à ce stade si un génocide était en train d'être commis.

"Il y avait un risque imminent de génocide. Il s'agit donc manifestement d'un seuil beaucoup plus bas pour cette première étape", a-t-il expliqué.

Les mesures provisoires et leurs implications

M. Becker, ancien membre du personnel de la CIJ, a noté que si l'ordonnance de la Cour n'est pas allée aussi loin que le souhaitait l'Afrique du Sud, elle s'en tenait très étroitement à ses propres précédents en ce qui concerne "les types de mesures conservatoires et d'ordonnances (émises) dans ces affaires, en particulier celles qui ordonnent essentiellement aux États de s'assurer qu'ils s'acquittent de leurs obligations existantes".

La première des mesures conservatoires de la CIJ consiste à demander à Israël de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir le génocide dans la bande de Gaza, conformément à ses obligations au titre de la Convention sur le génocide de 1948. .

Pour cette partie, Becker souligne que deux interprétations très différentes ont été avancées. D'une part, certains pensent qu'il s'agit simplement d'ordonner à Israël de se conformer aux obligations qui lui incombent en vertu de la convention sur le génocide. "Bien sûr, comme Israël affirme depuis le début qu'il se conforme à la convention sur le génocide et qu'il est scandaleux de prétendre le contraire, certains pourraient considérer que cet ordre n'a pas un impact énorme", a-t-il déclaré à Anadolu.

D'autres, cependant, la voient d'une manière totalement différente, a-t-il poursuivi. "Bien que la Cour n'ait pas exigé de cessez-le-feu, de nombreuses personnes l'interprètent en combinaison avec l'autre mesure provisoire qui ordonne à Israël de prendre des mesures pour assurer la fourniture effective des services de base et de l'aide humanitaire", a-t-il ajouté. Selon ce point de vue, la seule façon d'y parvenir et la seule façon pour Israël de s'y conformer serait un cessez-le-feu de facto.

Becker estime que ces deux lectures reflètent deux récits totalement différents et que l'un ou l'autre de ces récits n'est pas tout à fait juste. "Je ne dirais pas qu'il s'agit d'un cessez-le-feu de facto. Je pense que cet ordre de la Cour exige d'Israël, et devrait être compris comme tel par Israël, qu'il fasse preuve de beaucoup plus de retenue dans ses opérations militaires à l'avenir", a-t-il déclaré.

Cela ne signifie pas que l'opération militaire contre le Hamas et d'autres groupes doive cesser complètement, a-t-il expliqué, mais plutôt qu'Israël doit éviter les actions qu'il entreprend dans le cadre de cette campagne militaire, en particulier celles qui pourraient potentiellement être considérées comme des actes de génocide à l'avenir, si l'intention génocidaire est prouvée. "Deuxièmement, pour garantir qu'une aide humanitaire efficace puisse effectivement être acheminée à Gaza, il faut, au minimum, faire preuve de beaucoup plus de retenue", a-t-il relevé.

M. Cadman fait encore remarquer que la Cour n’a pas ordonné un cessez-le-feu qui était, pourtant l'une des principales demandes de l'Afrique du Sud. "Certains commentateurs ont avancé que la Cour aurait pu le faire parce qu'elle avait fait la même chose dans l'affaire Ukraine-Russie. D’aucuns diront que le conflit en Ukraine est différent de celui de Gaza, mais ils auraient quand même pu le faire. D'autres commentateurs trouvent que les mesures prescrites par la Cour étaient suffisantes pour parvenir à un cessez-le-feu, mais pas complet", a-t-il ajouté.

M. Cadman lui-même estime que les mesures provisoires sont suffisamment fondées pour obliger Israël, s'il veut se conformer aux ordres, à prendre des mesures appropriées pour ne pas prendre les civils pour cible.

Des obligations plus larges pour les États parties

Cadman et Becker s’accordent à dire que la décision s'étend aux États parties et aux obligations qui leur incombent en vertu de la convention sur le génocide. "Il est important de se rappeler que la procédure et la convention sur le génocide elle-même n'imposent pas d'obligations uniquement à Israël et à l'Afrique du Sud. Elle impose des obligations à tous les États parties à la convention sur le génocide, y compris le Royaume-Uni et les États-Unis", a signalé M. Cadman.

Selon lui, cela envoie un message très clair : ces pays doivent agir conformément à l'esprit de la convention. "Si vous soutenez un État qui a été déclaré comme potentiellement incapable de prévenir ou de réaliser un génocide, et que vous lui apportez un soutien matériel, alors, bien sûr, cela soulève la responsabilité d'autres États également", a-t-il déclaré.

Selon M. Becker, la Cour a expliqué que le devoir de prévention concerne les États et leur capacité à influencer efficacement la situation. Cette capacité varie considérablement d'un État à l'autre. "L'arrêt de la CIJ est très important parce qu'il sert à signaler à tous les États qu'il existe au moins un risque significatif, un risque sérieux de voir se produire quelque chose qui pourrait être un génocide", affirme M. Becker.

En ce qui concerne les pays qui suspendent leur financement à l'UNRWA, l'agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, il a estimé qu'il pourrait y avoir beaucoup de points d'interrogation à ce sujet. "Il s'agit là d'une analyse juridique qui devrait être menée en ce moment même par les ministères des affaires étrangères de ces États, afin qu'ils puissent les conseiller sur la nécessité éventuelle de revoir leurs décisions", a-t-il fait remarquer.

Rapports et mise en œuvre

L'une des mesures provisoires de la CIJ prévoit qu'Israël doit faire rapport à la Cour après un mois de mise en œuvre de l'ordonnance. A ce sujet, M. Becker estime qu'il y a "des indications qu'Israël n'a pas l'intention de le faire ou qu'il n'a plus l'intention de participer à l'affaire".

"J'espère certainement qu'Israël continuera à participer, mais ce rapport va probablement refléter un récit que l'équipe juridique sud-africaine a du mal à reconnaître", a-t-il déclaré.

Selon lui, la difficulté réside dans la confidentialité de ces rapports, ce qui signifie que "nous ne ferons que deviner ce qu'Israël pourrait dire".

Ce qu’il serait intéressant de vérifier dans ce rapport c’est de voir si Israël fournit des explications claires sur les actions qu’il a entreprises au sujet de deux des directives de la Cour - prendre des mesures pour réprimer l'incitation publique au génocide et des mesures pour augmenter l'aide humanitaire à Gaza, a encore noté Becker. "Il appartiendra alors à l'Afrique du Sud d'attirer l'attention de la Cour sur le fait qu'elle considère ce compte rendu comme non crédible. L'Afrique du Sud pourrait, sur la base de ces informations, demander des mesures conservatoires supplémentaires ou une modification de l'ordonnance de mesures conservatoires.

L'expert juridique Cadman estime, quant à lui, qu'il est certes peu probable qu'Israël "se conforme en partie ou en totalité à la décision de la CIJ, mais il note que c'est "la première fois qu'Israël s'engage dans un tel processus".

M. Becker considère que, même si Israël a rejeté publiquement les mesures provisoires, la décision de la Cour représente en même temps une opportunité. Pour lui, c'est l'occasion pour les États-Unis et le Royaume-Uni de dire aux responsables israéliens : "Écoutez, nous avons maintenant cet ordre de la CIJ, nous vous soutenons fermement, mais cela vous donne maintenant l'occasion de changer de cap", a-t-il dit. Cela pourrait déboucher sur quelque chose, d'autant plus que certains éléments de l'establishment israélien souhaiteraient également voir le gouvernement changer de cap, a-t-il espéré.

AA