Le roi Abdallah de Jordanie reçoit le président français Emmanuel Macron au palais Al Husseiniya à Amman, le 25 octobre 2023. / Photo: Reuters (Reuters)

Des priorités mais peu de marge de manœuvre. La tournée au Proche-Orient d’Emmanuel Macron qui s’est terminée mercredi dernier, s’apparente à une tentative d’équilibrisme. Une tentative fragile dont la principale déclaration risque de rendre saillante, et c’est un paradoxe, la relégation de la France dans le conflit israélo-palestinien. Lors d’une conférence de presse à Tel Aviv aux côtés de Benjamin Netanyahu, chef du gouvernement israélien, Emmanuel Macron s’est fendu d’une déclaration qui devrait marquer sa tournée au Moyen-Orient du sceau de l’inexpérience pour certains, de la provocation pour d’autres.

Aussitôt tempérée par l’Élysée, l’idée "d’une coalition internationale contre Daech, dans laquelle nous sommes engagés en Irak et en Syrie puisse lutter contre le Hamas", avancée par Macron pêche par son inconsistance. S’il s’agit pour la France de "repenser la lutte contre le terrorisme peut-être passée au deuxième plan après l’échec de Daech et le retour de la guerre en Europe", selon l’Elysée, la mesure repose sur un postulat scientifique erronée.

Comme l’explique Thomas Vescovi, chercheur indépendant, "le Hamas est un mouvement, certes, islamiste, mais nationaliste palestinien mais en prise avec un pouvoir colonial. À l’inverse de Daech, il n’a pas de visée expansionniste, ni politique." Une différence de taille qui induit une approche différente afin d’endiguer leur progression. Au-delà de l’erreur (assimiler le Hamas à Daech, mouvement terroriste aux doctrines et aux buts propres), les déclarations du président ont frappé par leur manque de lisibilité. Est-il question d’étendre la coalition existante ou d’en créer une autre ? Or, est-il possible de construire une initiative d’une telle ampleur en s’appuyant sur un mauvais diagnostic ?

Créée en 2014, la Coalition internationale contre Daech naît de la résolution 2170 de l’ONU du 15 août de la même année, lors de la seconde guerre en Irak et de la guerre civile en Syrie. Le texte condamne les massacres du pseudo-État et réaffirme la notion de crimes contre l’Humanité. La coalition dirigée par les États-Unis rassemble les armées européennes mais aussi des États arabes dont l’Arabie Saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis. Arrimée à cette organisation, Inherent resolve (OIR) en constitue le volet militaire avec 80 pays.

La France, elle, intervient à travers l’opération Chammal qui apporte un soutien militaire aux Irakiens. Si OIR ne mène plus d’actions militaires au sol en Irak, la coalition dans son aspect militaire poursuit des missions de conseils, d’assistance et d’autonomisation. Autre point clé, la résolution 2170 visait, aussi, à endiguer le financement de Daech. Pourra-t-on obtenir une unanimité au sein du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU)? Il y a deux semaines, les États-Unis déploraient, dans une allusion claire à la Russie membre du CSNU, le manque d’unanimité dans la condamnation des crimes du Hamas.

La coalition contre Daech repose, donc, sur un attelage complexe qu’il n’est pas aisé de reproduire. Une complexité qui dénote avec l’annonce improbable voire simpliste faite par Macron lors de cette conférence de presse. Comme le souligne Karim-Emile Bitar, chercheur associé à l’IRIS, spécialiste du Moyen-Orient, "c’est une proposition très difficile à mettre en pratique car nous parlons de deux coalitions très différentes l’une de l’autre. Dans la coalition contre Daech, il y avait une implication russe, iranienne. Je ne vois pas comment cela pourra être reproduit."

Dans la soirée, l’Élysée a assuré le service après-vente, précisant "qu’il s’agit de s’inspirer de la Coalition contre Daech" tout en voyant "quels aspects sont réplicables contre le Hamas”.

Là encore les limites d’une coalition jumelle apparaissent. Si le président français confirme que la France est prête à ce que "la Coalition internationale puisse lutter contre le Hamas", la question des pays arabes se pose.

La coalition d’origine incluait des États tels que l’Arabie Saoudite, le Qatar ou la Jordanie. Comment Macron compte-t-il convaincre ces États de se rallier à sa cause, en dépit de leur position critique vis-à-vis du Hamas mais leurs appels à protéger les vies des civils gazaouis ?

Doit-on rappeler le rôle de premier plan du Qatar dans la libération des otages ? Sans parler du fait que cet État accueille Ismaël Haniyeh, leader du Hamas exilé. Le roi Abdallah de Jordanie a, lui, réaffirmé lors de son entretien avec Macron, ce jour, "l’absolue nécessité de stopper la guerre à Gaza que le monde doit immédiatement aider à appliquer".

De son côté, l’Arabie Saoudite, en passe de normaliser ses relations avec Israël, appelle à un cessez-le-feu, au respect du droit international mais aussi à la création d’un État palestinien dans les frontières de 1967. Une position qui diffère de celle de la France puisque la France n'a pas appelé à un cessez-le-feu. Formellement, du moins.

Certes, la coalition imaginée par Macron a les moyens financiers et politiques de se passer des États arabes. L’Élysée rappelle, sans détour : "la lutte contre les groupes terroristes de la région est pour nous Français une cause nationale. Ils sont une menace contre la sécurité de nos concitoyens" dans la zone. Avec 30 Franco-israéliens tués le 7 octobre, il s’agit de l’attaque "la plus meurtrière contre notre pays depuis Nice."

Malgré tout, il paraît illusoire de faire sans les États de la région. Justement parce que si coalition il y a, l’aspect coercitif serait mineur et Macron le garde en tête. "La coalition n’intervient pas uniquement via des opérations militaires ciblées", souffle-t-on à l’Élysée. Formation, lutte contre le financement du terrorisme, partage d’informations. Autant de volets stratégiques impossibles à mener sans les acteurs majeurs de la région.

Une réalité qui n’échappe pas au président français. Sans plaider pour un cessez-le-feu, Macron a prôné l’ouverture de négociations de paix, insistant sur "la solidarité" vis-à-vis d’Israël, l’urgence de la libération des otages et "le droit légitime des Palestiniens à avoir un État". Un jeu d’équilibre ponctué d’adresses compatissantes à Benjamin Netanyahu, auteur d’un parallèle hasardeux entre banlieues françaises et Daech, auquel Macron n’a pas répondu. Reste que le message conclusif du président a rappelé "le caractère indissociable de "la sécurité d’Israël, de la lutte contre le terrorisme, le respect du droit international, l’ouverture d’un horizon politique".

En dressant le bilan de la tournée du président Macron, le nœud du problème persiste. En l’absence d’appels au cessez-le-feu immédiat de la part des leaders occidentaux, comme l’explique Karim-Emile Bitar, la France est perçue dans les opinions au Sud, notamment dans les pays arabes, comme étant incapable de peser dans la situation. D’ailleurs, le déplacement assez tardif du président est parlant. "Cette tournée de Macron est en effet assez tardive et intervient dans un contexte où l’influence et le soft power de la France au sud de la Méditerranée et dans le Sud global souffrent d’une position apparentée à un soutien quasi inconditionnel à Israël", analyse M. Bitar.

Sont largement critiquées aussi les interdictions par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin des manifestations pro-palestiniennes. Dorénavant laissées à l’appréciation des préfets, le droit à leur tenue n’est, donc, pas acquis.

Un éloignement entre la France et les opinions arabes qui s’inscrit dans un contexte antérieur à la situation actuelle. Antérieur, également, aux caricatures du prophète Mohammed. Le soutien à la cause palestinienne prend un nouveau tour dès 1967. Après l’annexion des territoires palestiniens consécutives à la guerre des 6-jours, "Charles de Gaulle dénoncera ces politiques d’occupation dont il dit qu’elles allaient faire naître une résistance qui sera qualifiée de terroriste, créant une situation inextricable", rappelle K. E Bitar.

Or, à partir du quinquennat de Nicolas Sarkozy, en 2007, "les nouvelles orientations en politique étrangère mais aussi le durcissement en politique intérieure sur les questions de la laïcité affaiblissent la voix de la France au Moyen-Orient", poursuit le chercheur. Emmanuel Macron, en refusant d’appeler à un cessez-le-feu rend inaudible tout appel au respect du droit international, phare de toute diplomatie d’envergure. À rebours du discours de Dominique de Villepin de 2003 contre la guerre en Irak dont on sait, maintenant, qu’elle fut le terreau du terrorisme nihiliste et expansionniste de Daech.


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