E. Borne ne s’est pas écartée d’un iota du programme présidentiel de Macron, lequel n’a guère évolué depuis 2017. Elle a notamment égrené sans ciller les articles de la vulgate macronienne, sans un mot sur ses difficultés ou ses impasses.

Le siège du pouvoir n’est plus exclusivement au Palais de l’Elysée, mais dans les travées de l’Assemblée nationale. C’est à partir de cette redistribution des cartes qu’il faut analyser la conjoncture politique intérieure et extérieure. Il est évident que l’évolution de la situation internationale, la guerre en Ukraine et ses conséquences, pèse et pèsera de plus en plus sur le porte-monnaie des Français tant que les hostilités n’auront pas cessé.

Le président Macron a dû s’y résoudre tout en vivant malaisément la situation d’un monarque affaibli. Lors du premier conseil des ministres, il a déclaré qu’«il convient de prendre acte de l’absence de volonté des partis à participer à un accord de gouvernement » non sans ajouter qu’« il a besoin aussi d’esprit de responsabilité pour bâtir des compromis exigeants ». Cette culture du compromis, il va falloir l’acquérir pour atteindre les objectifs fixés.

Sur ce terrain-là, le remaniement a montré l’étendue de l’échec. Le « barouf » du gouvernement célébrant la constitution du nouveau gouvernement sur des bases assez larges en est le signe. L’inflation des postes ministériels, 14 de plus par rapport au gouvernement précédent, n’est pas une preuve de latitude politique, cet « élargissement » n’excédant pas les bornes de la macronie.

Les débauchages personnels, les ralliements espérés n’ont pas eu lieu. Pis, Macron et Borne ont dû, la mort dans l’âme, se séparer de Damien Abad leur seule « prise de guerre ». Englué dans les accusations de viol qui sont portées à son encontre, l’ancien patron du groupe LR à l’Assemblée, est devenu un boulet. Quoi qu’il en soit, aucun élu de l’opposition, de quelque bord que ce soit, n’a factuellement rejoint la majorité (relative) qui soutient E. Borne.

Pourtant, Macron n’a épargné aucun effort pour proposer des postes ministériels à qui l’aurait voulu au sein des oppositions. Des rumeurs ont couru sur la possible participation de certains communistes au gouvernement. Des candidats venant de la droite, comme Philippe Juvin, chef des urgences de l’hôpital Georges-Pompidou et élu LR, auraient bien rejoint les rangs des macronistes. Mais la menace d’une exclusion émanant de la direction de LR l’en aurait dissuadé. Comme il n’y a là rien à célébrer ou de quoi se satisfaire, le remaniement a été dépouillé de toute la solennité républicaine traditionnelle.

La liste des ministres a été publiée sous la forme d’un communiqué simple. Macron a parlé d’un « remaniement technique » comme si un remaniement technique n’avait aucun sens politique. Macron a dû se rabattre sur ses alliés naturels, le Modem et Horizons. François Bayrou avait pourtant tenu des propos peu amènes sur E. Borne. A l’heure des périls, il est indispensable que le chef du gouvernement « soit politique, qu’on n’ait pas le sentiment que c’est la technique qui gouverne le pays mais, au contraire, les sentiments profonds qui s’expriment dans le peuple » estimait le patron du Modem.

Lors de son discours de politique générale, E. Borne s’est particulièrement attachée à démentir ce pronostic, à prouver qu’elle ne pouvait être réduite à un technocrate, qu’elle est la femme de la situation : « Face aux défis à venir, l’instabilité et le désordre ne sont pas des options ». C’est sans doute pourquoi elle a fait un éloge marqué de la police et de la gendarmerie, oubliant les victimes de la répression ordonnée par Christophe Castaner, l’ancien ministre de l’Intérieur, à l’encontre des Gilets jaunes. E. Borne s’est aussi attachée à donner d’elle-même l’image d’une femme de dialogue : « Je crois possible que chaque idée soit débattue » s’engageant « à ne jamais rompre le fil du dialogue » avec ses adversaires ou ses interlocuteurs.

Sur le fond cependant, elle ne s’est pas écartée d’un iota du programme présidentiel de Macron, lequel n’a guère évolué depuis 2017. Elle a notamment égrené sans ciller les articles de la vulgate macronienne, sans un mot sur ses difficultés ou ses impasses. Elle a notamment maintenu la réforme du régime des retraites et la prolongation du temps de travail. « Nous devons travailler progressivement un peu plus longtemps », a-t-elle déclaré sous les chahuts de la gauche de l’hémicycle. « Je veux rendre hommage aux soignants », qui ont accompli, il est vrai, un travail tout à fait remarquable tout le temps qu’aura duré l’épidémie du Covid 19, s’est-elle exclamée.

Elle n’a pas omis de mentionner les mérites des enseignants et évoqué l’ambition de l’Éducation nationale, qui est de réaliser l’émancipation par la diffusion du savoir, depuis la Révolution française : « Les enseignants, a-t-elle martelé, sont le cœur battant de la République ». Or, si l’on se réfère aux salaires de base, la France rémunère mal ses enseignants. Les conditions de l’exercice du métier ne sont pas, c’est le moins qu’on puisse dire, optimales. Le gouvernement Macron aurait pu sans doute, s’il l’avait voulu, faire davantage pour améliorer le statut et la condition des personnels de l’Éducation nationale.

Touchant enfin la transition écologique, le discours de politique générale a paru plutôt maigre et inconsistant. Il est clair que la protection de l’environnement n’est pas la priorité d’E. Macron. La preuve, c’est que Christophe Béchu, le ministre de la transition écologique, n’est pas un poids lourd de la politique comme l’est Bruno Le Maire dont l’équipe a été de surcroît renforcée par l’apport d’anciens ministres et de députés. « On n’a pas l’équivalent de G. Darmanin et de Le Maire dans le secteur de l’environnement » remarque un observateur perspicace.

La pente naturelle du président Macron le conduit invinciblement à privilégier l’économie et la croissance, espérant par-là assurer le rayonnement de la France. Mais c’est oublier les formidables défis du changement climatique qui, lui, n’est pas soumis aux aléas de la politique politicienne et qui sera, de plus en plus, la priorité des priorités des Français dans les mois et les années à venir, à mesure que la France et l’Europe en ressentiront cruellement les effets.

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