La présidente de Fratelli d'Italia, Giorgia Meloni, se rapproche un peu plus du poste de Premier ministre. (Reuters)

Après la chute du gouvernement de Mario Draghi, la droite italienne a attiré toute l'attention sur elle. La raison en est la nouvelle qu'elle est en contact régulier avec la Russie. Ce n'était un secret pour personne que ces forces étaient pro-Kremlin, mais le scandale est d'une grande importance pour la prochaine coalition.

La dissolution de la coalition au pouvoir en Italie a de nouveau fait de la droite locale la cible d'accusations concernant ses relations avec la Russie. Le quotidien La Stampa a rapporté qu'une rencontre a eu lieu entre Antionio Capuano, conseiller en relations internationales du président du parti "Lega Nord", Matteo Salvini, et Oleg Kostyukov, diplomate de l'ambassade de Russie. Selon le rapport du journal, lors de la réunion, Kostyukov s'interrogeait sur la possibilité d'une crise gouvernementale dans ce pays d'Europe du Sud.

Le deuxième coup a touché le parti "Italie, en avant !" (Forza Italia), l'allié tactique de "Lega", ou plutôt son leader inébranlable, Silvio Berlusconi. Selon le journal La Repubblica, l'ancien Premier ministre a réalisé un entretien téléphonique avec l'ambassadeur de Russie en Italie, Sergueï Razov, le jour même où ses partisans ont refusé de soutenir le gouvernement qui s’est effondré. Les sources du journal dans les milieux du renseignement pensent que l'incident coïncide avec les allégations de tentative d'ingérence de l'ambassade de Russie dans les affaires intérieures de l'Italie.

Les journaux locaux interprètent l'intensification des contacts entre la droite et l'ambassade de Russie à Rome comme une tendance générale, mais le fait que les pourparlers en question coïncident avec la crise du pouvoir amène les politiciens et experts italiens à tirer des conclusions désagréables qui peuvent être résumées comme "ingérence dans les affaires intérieures".

Le leader du Parti démocrate, Enrico Letta, a déclaré qu'une enquête devrait être menée pour déterminer dans quelle mesure Moscou est responsable de la démission de Mario Draghi de sa fonction de Premier ministre. Pour Letta, cette situation survenue avant les élections législatives anticipées du 25 septembre constitue "le pire démarrage possible pour la campagne électorale".

Les dirigeants de la droite ont rejeté ces assertions. Berlusconi a souligné qu'il n'avait rencontré Razov que pour comprendre la position de la Russie sur l'Ukraine, tandis que selon Salvini, les nouvelles dans la presse sont "fausses" et "calomnieuses". "La gauche dispersée et impuissante passe son temps à chercher des fascistes, des Russes et des racistes qui ne sont pas parmi nous", a martelé Salvini, précisant que son parti est "du côté de l'Occident".

Cependant, peu de personnes ont trouvé ces défenses convaincantes.

Problème pour l'Allemagne et la France

En vérité, ces nouvelles n'ont pas affecté pour l'instant le poids de la droite dans les élections. Les sondages prédisent que la coalition constituée des partis "Lega Nord", "Forza Italia!" et "Frères d'Italie" (Fratelli d'Italia) l'emportera en septembre. Ils sont en passe d'obtenir 40% des voix. Entretemps, le dernier des partis mentionnés semble être en tête dans les sondages. Cela signifie que la présidente de Fratelli d'Italia, Giorgia Meloni, se rapproche un peu plus du poste de Premier ministre. Il est certain que, selon l'accord de coalition, le chef du parti qui recueillera le plus de voix aux élections aura droit à la plus haute fonction.

Selon les estimations des observateurs, l'approche douteuse de ces partis vis-à-vis de la Russie pourrait aussi plaire aux électeurs. Certains membres de droite, comme Salvini, par exemple, représentent des milieux d'affaires touchés par les sanctions occidentales de l'Italie contre le Kremlin. Aussi, d'un point de vue plus large, l'approche de la société italienne face à la guerre en Ukraine est différente de celle de l'Occident en général : selon l'enquête nationale réalisée en juin, près de la moitié des personnes interrogées sont contre l'idée d'envoyer des armes défensives au président Vladimir Zelensky.

Cependant, même si les scandales concernant la "Russie" n'affectent pas les relations de la droite avec l'électorat, ils mettent en péril les relations avec les alliés de Rome.

La membre du Parti démocrate, Lia Quartapelle, a déclaré que les partenaires occidentaux de l'Italie "suivront désormais avec une grande inquiétude" ce qui se passe dans le pays. "Même si un gouvernement menait des pourparlers avec l'ambassade des États-Unis, ce serait un problème, mais nous parlons en ce moment de l'ambassade de Russie", a déclaré Quartapelle. Elle estime que les informations sur les contacts de Salvini et Berlusconi avec Moscou n'amélioreraient pas les chances de Meloni d'être élue Premier ministre, mais nuiraient à l'ensemble du bloc de droite en termes de prestige international.

Margaret McMillan, professeure à l'Université d'Oxford, est du même avis, affirmant que dans la situation actuelle, il est très dangereux pour le nouveau gouvernement d’"afficher plus de sympathie pour la Russie". Si cela continue, selon l'expert, "l'Italie pourrait se retrouver dans le camp pro-russe, avec la Hongrie et la Serbie, et devenir un problème pour l'Allemagne et la France".

Atlantisme de droite

Cependant, Meloni, qui, selon les dires, occupera le siège du Premier ministre, joue la même tactique d'image que sa "jumelle" française Marine Le Pen. L'année dernière, Meloni a déclaré qu'elle ne comprenait pas que les "Frères d'Italie" soient qualifiés de parti d'extrême droite.

De plus, Meloni fait de grands efforts pour ne pas s'écarter du principal axe occidental concernant le Kremlin et sa politique étrangère. C’est justement la principale différence entre la ligne de Meloni et les lignes de Berlusconi et de Salvini.

Dario Cristiani, chercheur principal au Fonds allemand Marschall (The German Marshall Fund), déclare à ce sujet que bien que Salvini et Meloni aient des approches différentes vis-à-vis du Kremlin, il y a suffisamment d'atlantistes parmi les factions internes de la "Lega", c'est-à-dire assez pour que l’Italie reste sur sa ligne actuelle. "Je ne crois pas qu'il y aura un grand changement ou un changement très significatif", estime Cristiani au sujet des conséquences potentielles des élections de septembre.

Selon Alekseï Makarkin, directeur adjoint du Centre des technologies politiques, qui évalue la position de la Russie, Moscou est très habituée à mettre en place l'équation simple que l'on peut résumer à la lutte de la droite dite "pro-russe" en France et en Italie contre les élites dites "atlantistes". Pourtant selon Makarkin, la situation est beaucoup plus compliquée et après le 24 février, certaines forces de droite en Europe tentent de prendre leurs distances avec Moscou.

Makarkin rappelle aussi qu'à la suite des transformations politiques houleuses du début des années 90 en Italie, les anciens représentants du bloc communiste se sont transformés en démocrates, une force dirigeante de centre-gauche ; pendant ce temps, la droite radicale a accepté l'invitation de Berlusconi pour une alliance politique et s'est intégrée à l'establishment. "L'atlantisme de l'extrême droite n'a pas disparu : ils n'aiment peut-être pas les dirigeants de l'Union européenne, mais l'union militaire avec les États-Unis reste pour eux le facteur le plus important", ajoute toutefois le politologue russe.

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