Alors que la guerre en Ukraine a déjà chamboulé l’actualité politique, les adversaires du président-candidat se sont saisis du dossier explosif de la Corse pour attaquer le bilan d’Emmanuel Macron.

Les images sur l'île impactent très négativement le gouvernement. Blocages de lycées, gendarmes qui ne parviennent pas à débarquer sur l'île, stoppés par des marins, des dizaines de policiers blessés lors de violentes émeutes... « Le Président cède visiblement à la violence », selon Valérie Pécresse, « une crise pas gérée du tout » pour Anne Hidalgo et enfin un « message catastrophique » pour Marine Le Pen.

En 2017, quelques jours avant le premier tour, le futur président tenait à Furiani un discours très apprécié des nationalistes. Le candidat déclarait être prêt à envisager une révision de la Constitution, affirmant que « le cadre actuel ne permettait pas à la Corse de développer ses potentialités. » Mais une fois au pouvoir, ce fut la déception pour les autonomistes. Alors que Jacqueline Gourault, ministre des Collectivités territoriales, était envoyée en février 2018 par le Président pour avancer sur le contenu de cette révision constitutionnelle, le gouvernement mit finalement un terme à ce projet.

Une nouvelle promesse

La situation semblait au point mort jusqu'à l'agression d'Yvan Colonna le mois dernier, qui a complètement changé le dialogue entre l'État et le territoire corse, poussant le gouvernement à avancer sur la question de l'autonomie de l’île. L’agression du 2 mars dans la prison d’Arles du militant condamné à la perpétuité pour l’assassinat du préfet Erignac avait provoqué de violentes manifestations. Quatre ans plus tard, on assiste ainsi à de violentes manifestations dans les rues corses en hommage à Yvan Colonna : on caillasse la police, on brûle des bâtiments publics et on crie « Français de merde ! » et « État assassin ! ».

Soucieux de calmer les tensions en pleine présidentielle, le gouvernement a fait plusieurs gestes d’apaisement, annonçant des négociations sur une possible autonomie. Le pouvoir, qui n’a rien fait sur le sujet depuis cinq ans, se retrouve ainsi contraint de bricoler dans l’urgence une solution de sortie de crise. Alors que le territoire s'est embrasé après la violente agression du prisonnier corse le 2 mars dernier, le gouvernement a mis sur la table la possibilité de l’autonomie de l’île par la voix de son ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin.

La promesse du candidat Emmanuel Macron en 2017, lors de la campagne présidentielle, est ainsi réitérée en tant que président : « Faire entrer la Corse dans la Constitution française ». En d’autres termes, une forme d'autonomie pour l'île. Mais la question d’hier reste la même aujourd'hui : quelle forme, et quel degré d'autonomie pour la Corse ?

Point de vue « juridique » ou « politique » ?

Pour certains chercheurs, cette déclaration d’être prêt à céder à la Corse une autonomie politique alimente une mécanique dangereuse qui contribue à mettre à mal l'unité du pays. La plupart d’entre eux considèrent par ailleurs que tous les Français devraient s'en inquiéter.

La réponse d’Emmanuel Macron et du gouvernement aux violences qui ont ressurgi en Corse a de quoi surprendre. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, envoyé sur place pour tenter d’apaiser les tensions, s'est dit prêt à entamer des discussions en vue d’accorder à la Corse son autonomie. Pour beaucoup, cette annonce a été surprenante, Emmanuel Macron s’étant, jusqu’ici, montré critique face à cette perspective. En février 2018 notamment, à l’occasion de la commémoration de l’assassinat du préfet Claude Erignac, où il s’était montré très ferme.

Concernant les revendications des nationalistes, il s’était déclaré opposé à toute demande de séparation de la Corse et de la France. Un projet de loi constitutionnel prévoyait, certes, l’inscription de la spécificité de la Corse dans la Constitution, mais il n’accordait que très peu de droits supplémentaires. C’était une mesure avant tout symbolique. La proposition faite par Macron d’avancer vers l’autonomie de l’île constitue donc un revirement important.

Pour Benjamin Morel, maître de conférences à l'Université Panthéon-Assas et président du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica, le terme « autonomie » ne veut pas dire grand-chose d’un point de vue juridique. En soi, la libre administration des collectivités territoriales peut être vue comme une forme d’autonomie. Si l’on entend l’autonomie législative seule, la Nouvelle-Calédonie en dispose par ailleurs.

Mais d’un point de vue politique, le risque est réel. « Nous avons l’exemple de trente ans d’erreurs chez nos voisins britanniques, espagnols, belges ou italiens, que cela ouvrirait un engrenage dangereux. En accordant des statuts particuliers, on stimule le régionalisme », a averti le chercheur, s’exprimant dans différents médias.

Emmanuele Massetti et Arian Schakel, dans une étude par régression statistique sur 227 partis régionalistes, montrent que la présence d’un gouvernement local multiplierait par trois le nombre de ces derniers.

Dans ses études sur les relations entre les institutions démocratiques et la violence, Dawn Bracanti note aussi, pour sa part, que la décentralisation stimule le vote pour les partis autonomistes et indépendantistes. Ainsi, en accordant des statuts particuliers, on stimule le régionalisme. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé jusqu’à aujourd’hui : les Corses avaient refusé une collectivité unique en 2003 par référendum ; finalement, entre 2010 et 2021, le score des nationalistes corses était passé au premier tour de 27,76 % à 57,70 % des voix.

Les autres références sur la décentralisation ne sont pas très réjouissantes non plus. Tocqueville pense que la décentralisation est impossible en France, si elle est fondée sur des identités ethnoculturelles. Maurras lui-même prône un fédéralisme uniquement pour les régions de culture dite « gallo-romane », considérant que l’appliquer aux autres régions comme la Bretagne, l’Alsace ou encore le Pays basque… mènerait à la mort du pays.

Une promesse « maladroite » ou une décision « réfléchie » ?

Emmanuel Macron a-t-il réellement l’intention, à terme, d’accorder à la Corse un statut d’autonomie ? On ne le sait pas. C'est encore très flou. En attendant, cette proposition semble avoir été ressortie dans l’urgence, afin d’apaiser les tensions et d’éviter qu’en plus de la crise sanitaire, à peine terminée, et de la guerre en Ukraine, ne s’ouvre un nouveau front. Cette proposition donne le sentiment qu’Emmanuel Macron agit dans la précipitation et qu’il est pris de court. Comme lorsqu’il avait débloqué 10 milliards d’euros, en décembre 2018, en réponse au mouvement des gilets jaunes : il avait alors semblé déconcerté par la violence qui s’exprimait dans les manifestations. Cette fois encore, il donne l'impression de céder, en répondant aux revendications des nationalistes.

Mais en même temps cette annonce légitime la violence. Les manifestants ont le sentiment d’avoir obtenu en quelques jours ce que leurs élus ont réclamé en vain durant des années.

En réalité, le président de la République et son ministre de l’Intérieur n’accordent pas grand-chose, mais promettent des discussions dans les mois à venir, en échange d’un arrêt immédiat des violences.

De plus, n’oublions pas que lors des élections territoriales, les autonomistes ont obtenu la majorité absolue. Dans ces conditions, la promesse de discussions sur l'autonomie pour la Corse vise alors à lancer un processus politique pour redonner la main aux autonomistes, et en faire les interlocuteurs privilégiés du pouvoir exécutif. Enfin cette mesure est susceptible, par ailleurs, de neutraliser les indépendantistes et les éléments les plus radicaux de la contestation.

TRT Francais