En novembre dernier, plusieurs représentants politiques de l’île réclamaient des renforts policiers alors que leurs populations étaient à nouveau en proie à des violences. Cette année, tout comme en 2020, en 2018 et ainsi de suite, plusieurs attaques à la machette ont fait de l’insécurité à Mayotte le nouveau marronnier venant rappeler à la France que cette île est toujours dans son giron. Mais pour tenter de comprendre ce qui s’y passe, il faut se pencher sur son contexte historique, social et géographique. Voici cinq éléments à savoir pour mieux comprendre la situation à Mayotte.
1 - L’île des inégalités
Si on le compare aux autres départements français, celui de Mayotte est le plus pauvre de France. 77% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté, et le niveau de vie médian est six fois plus faible que celui de métropole selon l’INSEE. Parmi cette population pauvre, près de la moitié ne dispose que de très bas revenus (moins de 160 euros par mois et par unité de consommation). Sur le plan du chômage et des rétentions administratives, l’île est également tristement détentrice d’un certain nombre de records. Elle détient celui du plus fort taux de chômage dans l’Union Européenne. Selon les chiffres du CERCOM (comptes économiques rapides pour l’Outre Mer), 36% des 15-29 ans sont sans emploi, une part trois fois plus élevée que sur sur le reste du territoire français. Au deuxième trimestre de 2021, 30% de la population active était au chômage (au sens du BIT); c’est bien plus qu’en métropole en 2021 (8%) et que dans les autres DOM (entre 14% et 18%). Toujours selon ce rapport, le taux d’activité n’augmente plus depuis 2016, il est de 50% pour les hommes et seulement de 37% pour les femmes. A cette hausse vertigineuse des records en matière de chômage se succèdent les rapports d’ONG en matière d’égalité de droit et de libertés individuelles. Dans son dernier rapport, l’Unicef a par exemple rappelé que « la France a recours à des pratiques contraires aux principes de la Convention internationale des droits de l'enfant, comme l'enfermement administratif des enfants lorsque les familles en situation irrégulière vont être expulsées » certaines le sont en métropole, mais depuis 2012 « au moins 33.786 enfants ont été placés en rétention, dont l'immense majorité à Mayotte et 1.460 en métropole » précise l’ONG, enjoignant la France à respecter les conventions relatives aux droits de l’enfant.
Mais si l’île est étouffée par ses inégalités si on la compare aux autres territoires français, elle souffre également d’être la plus riche sur son bassin géographique. En effet, eu égard aux pays voisins, les Comores, Madagascar, la Tanzanie ou le Mozambique, Mayotte est plus riche et donc plus attractive. Elle attire donc une immigration des pays voisins, mais n’a pas les infrastructures nécessaires à l’accueil des immigrés. Alors que la population a voté pour une départementalisation de l’île en 2009, pour qu’y soit opéré un rattrapage, elle devient officiellement un département français en 2011. Sauf que ce rattrapage réclame du temps, il devrait prendre au moins trente ans, et en attendant ces années, beaucoup de générations risquent d’être sacrifiées.
2 - Le référendum de 1974, entre indépendance et départementalisation
Mayotte est une île qui appartient historiquement aux Comores. Elle est la première des quatre iles comoriennes à devenir une colonie française en 1841. Le reste de l’archipel des Comores (Grande Comore, Mohli et Anjouan) verra s’étendre l’empire colonial français seulement quatre décennies plus tard, en 1887. Mayotte sera pendant plusieurs années une colonie sucrière avant que ne soit officiellement aboli l’esclavage en 1846. Mais alors que la vague d’indépendance submergeait le continent africain dans les années 70, l’île de Mayotte choisissait dans un referendum de rester française. Les 102 états membres de l’ONU protestent contre ce référendum considéré comme illégal et comme une atteinte à la souveraineté de l’Etat comorien. Le 11 avril 1976, à la suite d’un nouveau référendum statutaire, où 79,6% des Mahorais se prononcent en faveur de la départementalisation française, la France érige Mayotte en collectivité territoriale, en dépit des protestations internationales. La visite du Premier ministre français Jacques Chirac, le 19 octobre 1986, conforte Mayotte dans son espoir de rester dans la République française. Cette visite est suivie de la loi du 31 décembre 1986, qui intègre Mayotte dans la loi-programme relative au développement des DOM. La deuxième visite d’un Premier ministre français, Édouard Balladur, le 24 novembre 1994, confirme la volonté de la France de préférer l’avis des Mahorais à celui des instances internationales. Le 11 juillet 2001, le Parlement vote une loi faisant de Mayotte une collectivité départementale.
Depuis ce choix, l’île se retrouve entre deux feux, d’un côté l’instabilité politique aux Comores fait craindre à une majorité de la population Mahoraise les velléités de la souveraineté comorienne sur leur territoire. De l’autre l’extreme lenteur du rattrapage promis par les autorités françaises avec la départementalisation, fragilise le sentiment d’appartenance aux institutions françaises.
3- Le visa Balladur
Le 18 janvier 1995 entre en vigueur ce que l’on appelle « le visa Balladur », un visa réglementant la circulation des personnes entre les îles des Comores et Mayotte. Un visa unique en son genre : il ne permet pas de circuler dans les autres territoires français puisqu’il est exclusif à l’île de Mayotte. Alors que les Comoriens étaient habitués à circuler librement entre les quatre îles, pour travailler, rendre visite à leurs familles ou faire du commerce, ce visa est très contesté et considéré comme un mur maritime. D’une part la procédure très compliquée a poussé des milliers de comoriens à circuler de manière illégale et dangereuse depuis leur île. Selon une enquête du Sénat en 2012, entre 7000 et 10 000 personnes auraient péri dans l’Océan Indien depuis 2015 en tendant de rejoindre les côtes Mahoraises. Principalement sur des embarcations de fortune, des « kwassa-kwassa » ces bateaux de pêche tristement célèbres depuis la blague douteuse du président français. Emmanuel Macron alors en visite dans le Morbihan s’était essayé à l’humour raciste : « Mais le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du Comorien, c’est différent » avait-il alors plaisanté lors d’une présentation, où il comparait ce bateau à un crevettier. Des propos de très mauvais goût qui avaient choqué des internautes et plusieurs personnalités publiques.
Depuis l’instauration de ce visa Balladur, de nombreuses reconduites aux frontières ont provoqué un véritable drame humain sur le sol Mahorais : celui des « sans identités fixe ». Plusieurs milliers de familles ont ainsi été déchirées, alors que les parents ont été expulsés et que les enfants se sont retrouvés seuls, livrés à eux-mêmes sur l’île. Le défenseur des droits c’est à plusieurs reprises saisi de cette situation. Dans l’un de ses rapports en 2012 il déplore l’abandon de plus de 3000 mineurs isolés sur l’île.
4- Mamoudzou, la première maternité de France
Avec ses plus de 10 000 naissances par an, la maternité de Mamoudzou est la plus importante de France. Ce qui représente en moyenne 25 naissances par jour, mais les hôpitaux manquent cruellement de lits et d’effectifs. Le suivi des femmes est très difficile et on retrouve parfois quatre femmes dans des chambres de deux. Selon les chiffres de l’INSEE en 2017, la population Mahoraise a doublé en l’espace de vingt ans. Les écarts de niveau de vie et d’accès aux soins se creusent d’année en année entre Mayotte et l’archipel des Comores, de nombreuses femmes enceintes comoriennes continuent d’embarquer sur ces bateaux de fortune préférant accoucher dans de meilleures conditions médicales à Mayotte plutôt qu’aux Comores. Toujours selon l’INSEE, près de 42% de la population de Mayotte est native des Comores. Une population très jeune et qui s’accroît plus vite qu’en métropole, mais les infrastructures ne suivent pas et c’est le principal problème sur l’île qui suffoque à tous les niveaux.
5- Une île qui peine à s’occuper de sa jeunesse
Mayotte est le département le plus jeune de France, la moitié de la population a moins de 17 ans et demi (contre 23 ans en Guyane et 39 ans en France métropolitaine). Selon l’INSEE : « six Mahorais sur dix ont moins de 25 ans ; trois sur dix ont moins de 10 ans ». Problème: il n’y a pas suffisamment de structures pour accueillir cette jeunesse. En 2019, selon les chiffres communiqués par le vice-rectorat de Mayotte, seul 40% des enfants étaient inscrits à la maternelle, faute de place. Et pour cause, les premières écoles maternelles ne voient le jour qu’en 1993. À l’époque, 15 écoles et une section enfantine ont ouvert sur l’île. Avant cette date, les enfants ne commençaient l’école qu’à partir de l’école élémentaire soit entre 6 et 7 ans. Aujourd’hui les classes de maternelle sont surchargées, à Koungou par exemple, la deuxième ville plus peuplée de Mayotte, les élèves de maternelle qui ont eu la chance de trouver une place, étaient 35 par classe.
Du côté des collèges et lycées on retrouve la même problématique : l’académie de Mayotte où le premier lycée n’a vu le jour que dans les années 80, ne comptait en 2020 que 22 collèges et 11 lycées, surchargés et sans système de cuisine centrale, proposant aux élèves un système de collations, faute de pouvoir préparer un repas équilibré.
En ce qui concerne les études supérieures, la première université voit le jour à Mayotte en 2011. Avant cette date, les étudiants souhaitant poursuivre leurs études après le bac devaient se rendre soit en métropole, soit sur l’île de la Réunion. Sauf que cette option n’est dans les faits possible que pour les Français. Pour les Comoriens détenteurs d’un « visa Balladur », il est quasiment impossible de quitter l’île et donc avant 2011, quasi impossible de poursuivre leurs études après le bac. Mais là encore les capacités d’accueil sont très largement insuffisantes. Pour une filière AES par exemple, elle ne dispose que de 110 places, alors qu’elle reçoit plus de 700 demandes d’inscription. Laissant un bon nombre d’étudiants post bac sans admission.
Sur la question des mineurs isolés et de leur scolarisation, elle est très complexe. Dans son rapport de 2010, la sénatrice UMP Isabelle Debré explique qu’à Mayotte il s’agit d’une question très préoccupante : « Le Juge des enfants fait une distinction entre les « enfants étrangers isolés » et les « enfants abandonnés ». « Les enfants étrangers isolés », pour reprendre l’expression du juge des enfants, sont arrivés seuls à Mayotte venant du Congo, du Rwanda et du Burundi. Leur voyage a été le plus souvent éprouvant et ils vivent à Mayotte dans un dénuement total. Ces enfants sont confiés à l’Aide sociale à l’enfance par le Juge des enfants. Mais la situation des mineurs dits « étrangers abandonnés » est tout à fait spécifique. Ces enfants se retrouvent seuls à Mayotte suite à la reconduite à la frontière de leurs parents en situation irrégulière. « Les enfants, parfois très jeunes, sont pris en charge par des membres de la famille plus ou moins proche ou par des voisins. Ils sont parfois livrés à eux-mêmes en particulier quand ce sont de grands adolescents. La solution, quelle qu’elle soit, reste souvent précaire. Il n’est pas rare que les enfants se retrouvent en réelle situation de danger, abandonnés pour différentes raisons par les personnes les ayant accueillis » précise la sénatrice. Une situation qui fragilise ces enfants, et rend quasi impossible leur scolarisation dans des conditions décentes. Une situation inquiétante qui préoccupe de nombreuses instances internationales de protection des droits de l’enfant, comme l’Unicef qui a rappelé à plusieurs reprises l’urgence en matière d’éducation, de pauvreté, de maltraitance et de justice des mineurs.