L’exécutif français mis à l’examen face à la crise du carburant (Others)

Limitation d’achat, priorité aux personnels soignants, ruée vers les pays frontaliers, queues interminables à la pompe, la situation se dégrade de jour en jour. Alors que les Français se préparaient psychologiquement à manquer de gaz cet hiver, c’est finalement la pénurie de carburant qui bouleverse leur quotidien.

Les salariés des raffineries de Total et d’Esso sont en grève depuis près de 3 semaines pour réclamer de meilleurs salaires, entraînant des pénuries de carburants avec un tiers des stations-service affectées dans l’Hexagone.

Si Esso-ExxonMobil a annoncé la fin de la grève aujourd’hui, le débrayage continue toujours sur les cinq sites de TotalEnergies et s'étend à plusieurs centrales nucléaires. Le climat social tendu dans le pays se reflète sur les images de files interminables et d'automobilistes en colère et parfois violents. Ces vidéos qui tournent en boucle sont devenues virales sur les réseaux sociaux.

L’exécutif jette-t-il de l’huile sur le feu ?

Mis à l’épreuve, le gouvernement est critiqué pour sa gestion de la crise qui a pris une ampleur nationale. Dans sa tentative de régler la situation des stations-services, le gouvernement a choisi l’option de réquisitionner une partie des salariés, au risque d'accroître les tensions au lieu de les apaiser.

"Vous comprendrez aisément qu'on ne va pas entrer dans une situation où c'est le président de la République qui va faire les négociations salariales chez Esso ou Total, parce que là, on va partir cul par-dessus tête !" avait lancé Macron agacé par des négociations entre entreprises et syndicats qui n’avancent pas.

Mardi, le gouvernement a décidé la réquisition des salariés des dépôts de carburant du groupe Esso et aujourd’hui, ce sont tous les personnels indispensables de la raffinerie et du dépôt de carburant de Fort-Mardyck, de TotalEnergies près de Dunkerque qui ont également été réquisitionnés.

Alors que la CGT a condamné le recours aux réquisitions en dénonçant une atteinte au droit de grève, elle a décidé en réponse de prolonger le mouvement. La fédération CGT de l'énergie a appelé à "l'élargissement de la grève" dans toutes les entreprises du secteur.

Suite à la décision du gouvernement, le syndicat Force Ouvrière (FO) a également pris le parti de rejoindre le mouvement de grève. "Les réquisitions, ce n'est pas acceptable", s’indigne Frédéric Souillot, secrétaire général de FO. La grève dure depuis "seize jours" et "c'est aujourd'hui, parce qu'il y a pénurie de carburant, que le gouvernement s'en émeut".

Philippe Martinez, secrétaire Général de la CGT, a estimé de son côté que le recours aux réquisitions de salariés grévistes a "mis le feu aux poudres". "Le fait que le gouvernement fasse des réquisitions de salariés chez Esso-ExxonMobil n’a pas participé à apaiser le climat social", a-t-il expliqué.

Devant les menaces d'élargissement du conflit, le gouvernement a fait pression sur TotalEnergies pour qu'il "augmente ses salaires". Le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a souligné que le géant français, qui a engrangé quelque 10,6 milliards de bénéfice au premier semestre grâce à la hausse des prix de l'énergie sur fond de guerre en Ukraine, avait "la capacité" et "donc le devoir" de le faire.

Echec à rassurer les français

Le gouvernement n’a pas réussi à rassurer les français face à un scénario de pénurie totale et se heurte désormais à une surconsommation de carburant avec une augmentation de 30%. Inquiets, les français se sont rués vers les stations par crainte de ne plus avoir de carburant pour se déplacer et notamment pour se rendre sur leur lieu de travail.

"Qu'est-ce qu'ils foutent, les ministres en charge ? Ils auraient déjà dû faire le tour des stations-service du Nord, à portée de baffes, pour rassurer", avait d’ailleurs lancé un conseiller ministériel pointant du doigt la mauvaise communication du gouvernement.

"On n'a pas pris la mesure. Les gens pètent un câble. Ça met le pays à cran", regrette de son côté un ministre.

Le gouvernement sous le feu des critiques de l’opposition

Comme au début de la crise sanitaire, l'exécutif est accusé de ne pas anticiper la gravité de la situation et de ne pas agir à temps. "On ne va pas manquer d’essence. Il y a un problème de grève qui va être réglé dans certaines raffineries" avait assuré le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, une semaine après le déclenchement du conflit .

"Il y a quelques jours, Olivier Véran ricanait lorsque l'on parlait de pénuries de carburant. Aujourd'hui, la situation est hors de contrôle et le gouvernement ne fait toujours rien. A quoi servent-ils ? " a dénoncé Marine Le Pen avant l'annonce des réquisitions.

Pour Mathilde Panot, présidente du groupe La France insoumise (LFI) à l'Assemblée, l'exécutif attise la "violence sociale". "Les salariés réclament désormais par la lutte tout ce que vous leur avez refusé au Parlement, alors cessez votre propagande anti-grévistes", a-t-elle déclaré.

"Une nouvelle fois, rien n'est anticipé, rien n'est géré et les Français ressentent légitimement le sentiment que la France n'est plus gouvernée", s’est indigné le député Les Républicains Eric Ciotti.

"Il y a un effet de chaos qui, une fois de plus, est créé par le fait qu'on a affaire à un gouvernement qui ne prévoit rien, qui n'organise rien à l'avance et qui attend d'être le nez dedans pour arriver à comprendre qu'il y a une difficulté", a dénoncé de son côté Jean-Luc Mélenchon.

Le mouvement n’est que modérément soutenu dans l’opinion publique française notamment depuis que TotalEnergies a dévoilé le salaire moyen de 5 000 euros dans les raffineries. Selon une enquête Elabe, 42 % des Français approuvent le mouvement et 40 % le désapprouvent. C’est surtout l'exécutif qui est mis en cause. 8 Français sur 10 jugent que le gouvernement n’est pas à la hauteur.

Pour le journal Le Monde, tout le monde est perdant dans cette tension. "L’entreprise, qui a maintenant le couteau sous la gorge pour lâcher ce que réclame la CGT ; les Français, qui n’avaient pas besoin de cette séquence, alors que leur moral était déjà en berne ; le gouvernement, qui est contraint de hausser le ton en ordonnant la réquisition de salariés pour tenter de débloquer la situation, au risque de rajouter de la tension à la tension. Quant à la CGT, elle donne l’image d’un syndicat peu concerné par l’intérêt général", écrit le journal dans son article sous le titre: "Pénurie de carburant : face au blocage, tous perdants".

Même si le mouvement cessait demain, il faudrait au moins 5 jours pour réapprovisionner l'ensemble des pompes, les longues files d’attente et les tensions à la pompe ne sont donc pas prêts d’être terminés.

TRT Français et agences