Le scandale d'écoutes téléphoniques marque-t-il l’affaiblissement de l’Etat de droit en Grèce? (Others)

La mise sur écoute par les services de renseignement (EYP) de Nikos Androulakis, député européen et chef du parti socialiste Kinal-Pasok, et la tentative d'infection de son téléphone portable par le logiciel espion Predator ont porté un coup majeur au Premier ministre conservateur.

L'affaire, qui surgit à neuf mois des prochaines élections législatives, a poussé vers la porte de sortie le chef du Renseignement et un proche conseiller du Premier ministre - qui est également son neveu. Elle a aussi envenimé un peu plus le climat politique.

Ce scandale d'Etat, qualifié de "Watergate grec" par des médias, "n'est pas seulement l'une des pires violations de la vie privée mais affecte la démocratie et l'Etat de droit", assure la députée européenne Sophie in 't Veld, qui s'est saisie de l'affaire au sein de commission d'enquête du Parlement européen sur les logiciels malveillants (PEGA).

"Voie erronée"

"La Grèce n'est pas dans la même phase que la Hongrie" mais "elle et ne doit pas prendre une voie erronée, il faut freiner cette tendance", prévient également l'élue néerlandaise dans un entretien à l'AFP.

La Hongrie mais aussi la Pologne sont critiquées pour la détérioration de l'Etat de droit et du pluralisme, et ont connu des affaires similaires de piratage de téléphones par des logiciels espions.

Mettre sur écoute un dirigeant de l'opposition est "une façon de fausser le jeu politique, (de porter) un coup à la démocratie et aux droits", abonde Lina Papadopoulou, professeure de droit constitutionnel à l'Université de Thessalonique.

Cela "peut influencer d'une façon négative le vote des citoyens", estime-t-elle aussi.

Ces révélations s'inscrivent dans un contexte déjà chargé: deux journalistes travaillant sur des sujets sensibles en Grèce, la corruption et les migrations, ont eux aussi fait l'objet d'une surveillance.

L'exécutif grec est aussi mis en cause pour des refoulements illégaux et violents de migrants à la frontière avec la Turquie, ce qu'il dément. Le tout sur fond d'affaiblissement de la liberté de la presse.

Athènes martèle que "l'Etat de droit et les institutions démocratiques" sont respectés. "L'Etat grec n'a pas acheté ou utilisé de logiciel malveillant", assure Kyriakos Mitsotakis tout en reconnaissant "une erreur" de l'EYP.

Devant l'ampleur du scandale, une commission spéciale d'enquête parlementaire a été mise sur pied. Mais certains dénoncent une enquête entravée qui n'a pas permis d'apporter de véritables réponses.

Entendu par cette commission, Nikos Androulakis a tancé les députés de la Nouvelle-Démocratie (ND), le parti de M. Mitsotakis.

"Au lieu de saisir l'occasion et de protéger notre démocratie, vous avez laissé les responsables de cette affaire malsaine s'en tirer indemnes et sans contrôle", a-t-il dénoncé.

"Crise institutionnelle"

Il a aussi accusé cette commission de ne pas avoir convoqué les responsables de la société Intellexa qui, selon des médias, commercialise des logiciels malveillants en Grèce et que la majorité conservatrice essaie de couvrir" le scandale.

Cette affaire "montre une crise institutionnelle", selon lui. "Il s'agit d'un événement sans précédent en Grèce ces dernières années", a-t-il aussi martelé lors d'une réunion de la commission PEGA jeudi.

En Europe, "la démocratie et la tolérance refluent", selon l'élu grec, qui a dénoncé certains dirigeants qui veulent tout faire pour garder le pouvoir".

La députée européenne Sophie in 't Veld se dit elle aussi "surprise que l'enquête sur la société Intellexa soit extrêmement superficielle jusqu'ici".

L'opposition de gauche ne cesse de réclamer la démission de M. Mitsotakis car elle le considère comme "responsable politique du scandale".

Le Renseignement a été placé sous l'autorité directe du Premier ministre dès son arrivée au pouvoir en juillet 2019.

Des dizaines d'universitaires, de journalistes mais aussi de simples citoyens ont par ailleurs déploré dans une pétition, intitulée "Démocratie zéro", que ces écoutes illégales marquaient le point "culminant de l'affaiblissement de l'État de droit en Grèce".

AFP