"Le monde est plus grand que cinq": l’Afrique donne de la voix à l’Assemblée générale de l’ONU

"Le monde est plus grand que cinq": l’Afrique donne de la voix à l’Assemblée générale de l’ONU

Toujours marginalisée sur la scène mondiale, l'Afrique ne cesse de réclamer une meilleure représentativité au Conseil de sécurité de l'ONU.
"Le monde est plus grand que cinq": l’Afrique donne de la voix à l’Assemblée générale de l’ONU (Reuters)

L’Assemblée générale de l’ONU, "principal organe décisionnaire et représentatif des Nations Unies", et "seul organe de l'organisation internationale offrant une représentation universelle", voit se réunir chaque année, au mois de septembre, ses 193 États membres. A cette occasion, le débat général qui a lieu est marqué par les discours de nombreux chefs d'État.

Cette année, pour sa soixante-dix-septième session, l'Assemblée générale a élu le diplomate hongrois Csaba Korosi à la présidence de l’assemblée. Le 13 septembre 2022, il succède à Abdullah Shahid, l'ancien président des Maldives.

Quant à lui, le débat général se tient du mardi 20 au samedi 24 septembre pour prendre fin le lundi 26 septembre.

Intervenant lors de sa prise de fonction, Csaba Korosi a cité, parmi les nombreux défis auxquels fait face la communauté internationale, la pandémie de Covid-19, l’insécurité alimentaire, la hausse des prix de l’énergie, ainsi que les perturbations de la chaîne d’approvisionnement mondiale et la guerre en Ukraine.

Si le nouveau président de l’Assemblée générale de l’ONU a évoqué les profils de ces défis majeurs, d’autres acteurs politiques et de la société civile mondiale se sont donné rendez-vous lors de ce débat général afin de faire connaître et promouvoir leur propre vision des défis au sujet desquels ils réclament une attention particulière de la communauté internationale.

L'Afrique, continent encore marginalisé sur la scène mondiale, ne cesse de réclamer une meilleure représentativité au Conseil de sécurité de l'ONU. S'estimant lésée par l'histoire coloniale, l'Afrique refuse d'être satellisée par l’Occident, qui continue à tirer profit de ses richesses.

Henda Diogène Senny, président de la Ligue Panafricaine-UMOJA Congo, sera parmi les représentants de cette société civile africaine qui se bat bec et ongles pour une place au premier rang mondial.

Récemment de passage en Turquie, ce militant associatif, qui s’est résolu à se lancer en politique pour porter le message de son credo panafricaniste, a profité de cette occasion pour affirmer son adhésion à la doctrine qui veut que "le monde est plus grand que cinq".

"Le monde est plus grand que cinq"

Pour Henda Senny, ''l'histoire des Turcs ressemble à celle de l'Afrique, ils se battent pour leur souveraineté et ont cette sensibilité sur les questions d'égalité entre nations, en particulier, la marginalisation de l'Afrique au sein des instances onusiennes''.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan n’a eu de cesse, depuis près de 10 ans, de militer pour l’intégration des pays africains au sein du Conseil de sécurité, dénonçant le fait qu’aucun pays africain n’y siège en tant que membre permanent au Conseil.

A l’égard des Nations Unies, la politique turque se fonde notamment sur la nécessité d'une réforme globale, en particulier au sein du Conseil de sécurité, épinglant les problèmes de légitimité, de fonctionnement et de représentation au sein des Nations unies.

Depuis 2013, le Président Erdogan plaide pour un projet de réforme des Nations unies qui serait à la fois viable, exhaustif, stratégique et fondé sur des principes. Projet dans lequel la représentation équitable serait garantie et le droit de veto aboli.

"Nous continuerons à dire que 'le monde est plus grand que cinq', jusqu'à ce que soit établi un système dans lequel la cause juste l’emportera, et où la force ne sera pas synonyme de droit." avait-il déclaré.

Selon Henda Diogène Senny, la marginalisation de l’Afrique, au sein des instances représentatives et décisionnelles des Nations Unies, s’explique par son passé colonial. Il a, en effet, déploré que l'ONU soit devenue ''une sorte d'instrument des grandes puissances du 20e siècle, notamment celles issues de la seconde guerre mondiale, qui manipulent le continent en fonction de leurs intérêts''.

Il cite, à cet égard, l’exemple de la Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo : " C'est au Conseil de sécurité, je le rappelle, que l'on a pris des dispositions pour bombarder la Côte d'Ivoire. Le président Laurent Gbagbo a été arrêté en 2011, en avril, plus précisément sur la base, paraîtrait il, d'une résolution des Nations unies à la demande de la France. Son palais a été soumis à un bombardement et on a fini par l'envoyer à la CPI où il a passé dix ans. Et tout cela pour conclure à l’abandon des charges retenues contre lui".

Critiquant sur un ton encore plus virulent, l’instrumentalisation de l’ONU en général et du Conseil de sécurité en particulier, Henda Senny ne manque pas de rappeler la tragédie libyenne. "Là aussi, les grandes puissances, notamment la France (…) l'Angleterre et bien d'autres, ont pris une résolution visant la protection des civils de Benghazi. Tout cela a abouti au lynchage du colonel Kadhafi. Il y a beaucoup de reproches à faire à Kadhafi, mais il est bien clair qu'on ne peut pas cautionner (l’usage qui a été fait) des Nations unies" a-t-il ajouté.

Après la Libye, explique le président de la Ligue panafricaine-UMOJA, la France, sous prétexte de lutter contre divers groupes terroristes, a mis le Mali au centre de ses préoccupations africaines. Ces groupes terroristes ont pu s’approvisionner en armes en provenance de Libye, précisément parce que la France et ses alliés avaient abattu le régime du Colonel Kadhafi. Ainsi, les rebelles Azawad du Nord-Mali ont pu fonder le MNLA, fourrier des mouvements de sécession de cette région. M Senny n’hésite pas à conclure que la France, a par ses initiatives, “a agi de telle sorte qu’elle a créé en amont les conditions pour son intervention ultérieure au Mali en affublant du masque de libératrice du Mali”.

“Ayant subi les tares de la stratégie française, les Maliens ont fini par exiger le départ des Français de leur pays alors même que la question terroriste n’a pas été encore résolue” a-t-il ajouté.

Des informations recueillies par le Magazine Jeune Afrique indiquent qu’''une plainte sera introduite devant la Cour pénale internationale (CPI) contre le Mali pour avoir mené des opérations de répression contre les terroristes. Opérations qui auraient coûté la vie à des civils" ajoute le président de la Ligue Panafricaine-UMOJA Congo.

On voit là comment on utilise les Nations unies en vue de régler des comptes entre ex-colonisateurs et ex-colonisés, lesquels réclament leur souveraineté. Les Nations-Unies sont devenues l’instance où les anciennes puissances coloniales fomentent des actions afin de maintenir leur contrôle sur l’Afrique, a-t-il déploré.

La nécessaire réforme de l’ONU

S'agissant de la réforme de l’organisation internationale et de ses instances, le président de la Ligue Panafricaine-UMOJA Congo a expliqué qu'il existe bel et bien plusieurs pistes à l’étude pour garantir une certaine égalité entre les nations membres de l'ONU.

"Il faut d'abord, dans un premier temps, faire entrer certains pays (au Conseil de sécurité), pour que tous les continents soient à peu près à égalité", explique-t-il.

Il ajoute que le Conseil de Sécurité de l’ONU devrait être composé d’entités représentant les différents continents, et ainsi voir ainsi l’Union Européenne ou l’Union Africaine siéger au Conseil en tant que membres permanents, de même pour des organisations représentant l’Asie et les Amériques : "On peut faire en sorte que le Conseil de sécurité, dans un premier temps, soit le reflet de ce qu'on appelle les organisations régionales par continent ou par sous-région"

Pour Henda Senny, toutefois, ces réformes intermédiaires ne sauraient éclipser le besoin d’une réforme en profondeur de l’ONU : "En définitive, la vraie réforme des Nations unies, c'est de réhabiliter l’Assemblée générale (…) qui doit être l'entité et en tous cas l'instance principale des Nations unies en matière de décision pour faire la guerre, pour agir en faveur de la paix".

Franc CFA : une répression monétaire exercée contre l'Afrique

Au sujet de la problématique du franc des colonies françaises en Afrique, dit CFA, Henda Senny a laissé entendre que ''la France contrôle la monnaie de 15 Etats (…) ce qui lui donne un avantage économique impressionnant''.

Lorsque ces Etats vendent à l'extérieur, affirme-t-il, "ils doivent impérativement laisser 50% de leurs recettes d'exportation dans un compte d'opération au trésor français, C’est ainsi qu’il y a de véritables problèmes d'endettement et de financement''.

En outre, le Franc CFA est un instrument de domination contre une quinzaine d'Etats, où des répercussions quotidiennes sont observées. ''C'est une répression monétaire exercée contre le peuple''.

Il faut aussi dire, d’après lui, que cette monnaie n'est pas reconnue internationalement et qu’elle ne peut pas être utilisée en Afrique de l'Ouest et centrale, voire en France.

Henda Diogène Senny a par la même occasion rappelé qu'il ne s'agit pas d'accusations portées contre la France, les Etats africains ayant aussi une part de responsabilité en raison de leur collaboration avec le néocolonialisme, pour des intérêts et avantages personnels.

Le président de la Ligue Panafricaine-UMOJA Congo a, in fine, expliqué que ces luttes ne visent en aucun cas les Français, mais plutôt le système colonial que l'Etat français veut maintenir.

AA