L’accueil des réfugiés au cœur de la première crise politique entre la France et l’Italie de Meloni / Photo: Reuters (Reuters)

Après avoir passé une vingtaine de jours à bord, les 230 passagers (4 ont débarqué jeudi à Bastia) étaient épuisés, et certains malades, mais rien n’a fait fléchir, l’Italie.

Malgré les multiples appels à l’aide de l’ONG, le gouvernement de Giorgia Meloni a formellement refusé d’ouvrir l’un de ses ports au navire, créant une première brouille avec Paris.

Le "comportement inacceptable" de l’Italie pointé par la France

Si la France est dans un premier temps restée silencieuse en ignorant les appels de SOS Méditerranée, elle a tenté, sans faire de bruit, d’inciter l’Italie à accueillir les passagers de l’Ocean Viking.

C’est du moins ce qu’a fait savoir le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, en annonçant que les autorités françaises avaient finalement décidé de leur permettre de débarquer sur le port militaire de Toulon.

"J’ai bien précisé, à la demande du président de la République, que c’est à titre exceptionnel que nous accueillons ce bateau, au vu des quinze jours d’attente en mer que les autorités italiennes ont fait subir aux passagers" a-t-il déclaré, considérant qu’il "n’y a aucun doute, au regard du droit international et du droit de la mer, que c’était à l’Italie, de désigner un port sûr pour accueillir ce bateau".

À la sortie du conseil des ministres, jeudi, Gérald Darmanin ne s’est ainsi pas privé de formuler de vives critiques à l’égard de son voisin italien "qui n'a pas été au rendez-vous du devoir d'humanité" en prenant "le parti de ne pas se considérer comme un État européen responsable".

La sanction en guise de réponse

Si la France a fini par donner son feu vert à l’Ocean Viking, la réponse des autorités vis-à-vis de Rome se veut ferme et claire.

En annonçant l’accueil du navire sur son territoire, le locataire de Beauvau a bien précisé plusieurs points pour réaffirmer sa fermeté en matière migratoire.

Si les 234 passagers qui ont pu débarquer, ont pu le faire de manière tout à fait régulière, Gérald Darmanin promet que ceux "ne relevant pas du droit au séjour et d’asile feront l’objet de mesures d’éloignement sans délai", laissant ainsi craindre des expulsions à venir, à l’heure où la France est confrontée à de vifs débats sur l’immigration.

Et au-delà des procédures d’expulsion qui pourraient viser les naufragés, Paris envoie manifestement un message à l’Italie avec le renforcement à "effet immédiat" "des contrôles aux frontières intérieures avec l’Italie" a fait savoir le ministre de l’intérieur, qui a également mis en garde que son pays va "tirer toutes les conséquences de l’attitude italienne sur d’autres aspects de sa relation bilatérale".

Dans les faits, l’Agence Anadolu a constaté sur place au poste de frontière entre les deux pays, que les forces de l’ordre, présentes en continu, procèdent à des contrôles aléatoires de jour comme de nuit.

À Menton, les voyageurs empruntant le bord de mer sont contrôlés par la gendarmerie, tandis que du côté de l’autoroute à La Turbie, la surveillance est effectuée par la police nationale et ses CRS.

Mais la mesure qui pourrait davantage gêner Rome réside dans la suspension, là aussi à effet immédiat, de "l’ensemble des relocalisations de 3500 réfugiés" déjà accueillis en Italie et qui devaient être transférés vers l’hexagone.

Ces relocalisations devaient permettre d’alléger la péninsule, confrontée à un très fort afflux migratoire chaque année en raison de sa situation géographique.

L’incompréhension et la fermeté côté italien

Quelques heures à peine après les annonces du ministre français, son homologue Matteo Piantedozi a qualifié la réaction française de "complètement incompréhensible".

"La réaction de la France à la demande d'accueillir 234 migrants, alors que l'Italie en a accueilli 90.000 seulement cette année, est totalement incompréhensible", a-t-il commenté assurant ne pas comprendre "la raison pour laquelle l'Italie devrait accepter de bon gré ce que les autres ne sont pas disposés à accepter" alors que son pays "a affronté jusqu'à présent seul ce problème".

"Les pays d'arrivée ne peuvent pas porter seuls la responsabilité exclusive de gestion des flux" a-t-il enfin. tranché.

Néanmoins, en dépit des éléments de langage et de cette guerre de communication, c’est bien le démarrage politique de Giorgia Meloni qui est en jeu.

Le 25 octobre dernier, lors de son discours d’investiture, la dirigeante d’extrême-droite avait été très claire sur les questions migratoires.

Elle promettait de "faire de la sécurité un trait distinctif de cet exécutif et de mettre fin aux départs illégaux en brisant enfin le trafic d’êtres humains en Méditerranée".

Une posture qui n’est pas sans rappeler la période où Matteo Salvini était à la tête du gouvernement italien, et menait, jusqu’en 2019, une politique très dure à l’égard de l’immigration.

Les oppositions vent debout contre la décision de Macron

Au niveau national, la décision d’accueillir l’Ocean Viking a suscité toutes sortes de commentaires hostiles de la part des oppositions politiques.

Le militant d’extrême-droite et ancien candidat à l’élection présidentielle, Éric Zemmour, s’est même rendu sur place, à Toulon, où il était accompagné entre autres, de Marion Maréchal-Le Pen "pour dire non à l’accueil du navire".

"Cet accord est un signal de laxisme envoyé à ceux qui, comme ces ONG, instrumentalisent la misère humaine" a, quant à lui, commenté Jordan Bardella, président fraîchement élu du Rassemblement National qui réclame par ailleurs une "commission spéciale d'enquête du Parlement européen sur les liens entre ONG et filières criminelles de passeurs".

Du côté de la droite républicaine (LR) où se prépare les élections internes pour désigner le futur président du parti, les réactions sont également très vives.

Les candidats Eric Ciotti et Bruno Retailleau se sont eux aussi ouvertement opposés à l’accueil de l’Ocean Viking.

Le premier accuse l’Exécutif de se rendre "complice des passeurs" et plaide pour "renvoyer les bateaux dans leurs pays de provenance", emboîtant le pas au second candidat qui qualifie la posture française de "vrai laxisme".

Quel enjeu pour la France?

Cet épisode politico-médiatique arrive à un moment particulier où le gouvernement s’apprête à présenter, début 2023, une nouvelle loi visant à réformer l’asile et les droits de l’immigration.

L’accueil de l’Ocean Viking pourrait ainsi servir à illustrer sa volonté de faire preuve de fermeté tout en adoptant une politique humaniste.

Et un épisode intervenu début novembre au Palais Bourbon, avait permis à Emmanuel Macron, accusé de mener une politique de droite vis-à-vis de l’immigration, de tenter d’adoucir son image.

Le député RN, Grégoire de Fournas, a en effet suscité une vive controverse en lançant à l’un de ses collègues, Carlos Martens Bilongo, "qu’il retourne en Afrique".

Cette invective raciste, condamnée par Emmanuel Macron en personne, lui a d’ailleurs valu d’écoper de la plus forte sanction prévue par le règlement de l’Assemblée Nationale, à savoir deux semaines d’exclusion et la perte de 50% de son indemnité parlementaire pendant deux mois.

Si la polémique s’est cristallisée sur le fait que la phrase était destinée à un député de couleur, il est important de préciser que Carlos Martens Bilongo évoquait justement la question de ces navires de secours au moment où il a été coupé par son homologue d’extrême-droite.

Emmanuel Macron qui s’est empressé de réagir au caractère raciste de la phrase lancée à un élu de la Nation, avait-il un autre choix que d’accueillir l’un des navires dont il était question, au moment de l’incident, alors qu’il a été le premier chef d’Etat à rencontrer Giorgia Meloni à Rome, dès son accession au pouvoir, formulant le souhait de "réussir ensemble, avec dialogue et ambition"?

AA