“L’abaya: le vêtement qui cache une racialisation conspiratoire” / Photo: Reuters (Reuters)

Quoi de mieux qu’une bonne polémique sur une laïcité prétendument attaquée et assiégée par les “islamistes” pour commencer l’année scolaire ! Le débat sur l’abaya, une longue robe traditionnelle couvrant le corps, portée par certaines élèves musulmanes, a dominé la rentrée médiatique et politique. Le président Macron ainsi que son gouvernement, au nom de la défense de la laïcité “menacée”, ont appelé à “faire bloc” et à résister à cette interdiction qui vaut aussi pour le port du qamis, version masculine de ce vêtement.

Faux problème, laïcité dévoyée et approche disciplinaire

Emmanuel Macron a renchéri en affirmant qu'il "ne laisserait rien passer" sur la question du port de l'abaya ou du qamis à l'école. Aujourd’hui, ces vêtements traditionnels, et non religieux selon les instances religieuses musulmanes, sont interdits afin de contrer des atteintes à la laïcité. Sonia Backès, la secrétaire d'État chargée de la Citoyenneté, solidaire de son gouvernement, a rappelé que toute fille se présentant en abaya ne rentrera pas dans son établissement.

Quand on analyse l’interview de Mme Backès, on observe plusieurs incohérences et fragilités dans le raisonnement. Tout d’abord, la question est de savoir si l’abaya est ou non un vêtement religieux. Les instances religieuses musulmanes ont tranché et elles disent que l’abaya ne répond pas au critère de la vêture islamique. En revanche, le pouvoir politique rétorque que ce sont des tenues religieuses qui menacent la laïcité, il doit donc intervenir en deux temps. Premièrement, le gouvernement se donne la latitude de s’immiscer dans des questions théologiques alors que la République devrait être indifférente aux religions. Deuxièmement, le gouvernement a les mains libres pour interdire ces tenues au nom de la défense de la laïcité.

Ensuite, les chiffres mesurant le nombre d’atteintes à la laïcité ne sont pas clairs et difficilement vérifiables. Des questions demeurent en suspens: Comment apporter une réponse politique à un problème de société quand ce dernier n’a pas été quantifié ? Même les chiffres annoncés n’indiquent pas un raz-de-marée. Dès lors, comment peut-on mettre en difficulté des chefs d’établissements qui espèrent, en cette rentrée, d’abord et avant tout, des ressources humaines et financières plus importantes ?

Des questions sont éludées par des éléments qui relèvent d’une forme de théorie du complot. En effet, on présente cette décision politique dans un scénario forgé de toutes pièces où la République serait mise à l’épreuve notamment par ceux qui considèrent les lois de la religion supérieures à celles de la République. De plus, on évoque des notes des renseignements généraux sur les “réseaux islamistes” qui pousseraient, disent-elles, à passer en force. Et là, vous réunissez tous les ingrédients d’une polémique sur un ton complotiste, se basant sur une affaire n’ayant pas lieu d’être, sur une laïcité se retrouvant injustement invoquée et des solutions disciplinaires radicales à l’endroit de femmes et de musulmanes.

Une séquence politique qui nourrit le discours raciste conspiratoire

Comment en arrive-t-on à ce point à dévoyer la laïcité au nom d’une politique de pompier-pyromane ? Pour Marwan Mohammed, sociologue, l’islamophobie est devenue la forme hégémonique du racisme en France ces dernières années. Elle a grandement participé à la normalisation (“mainstreamisation”) des idées de l’extrême-droite. Pour lui, elle “permet à des racistes de devenir des républicains et des progressistes.” dit-il lors d’une conférence à l’Université d’été de La France Insoumise en 2022. Tout en rappelant que la construction idéologique du racisme est passée par plusieurs phases comme celle du racisme biologique et du racisme culturel, il insiste sur la difficulté de contrer ce type de racisme conspiratoire. Contrairement au racisme, type antisémitisme par exemple dont le rejet fait consensus, l’islamophobie n’en bénéficie malheureusement pas.

L’islamophobie articule actuellement le racisme et une forme de théorie de complot. Pour le sociologue, “l’islamophobie repose sur une racialisation conspiratoire (concept théorisé par l’universitaire Reza Zia Ebrahimi) […] il y a des comploteurs (les islamistes), un complot (islamisation de la France) et des complices (les islamo-gauchistes) […] C’est ainsi difficile à manœuvrer et à contrer car ce “racisme conspiratoire” n’a pas besoin de se justifier, il a juste besoin d’être énoncé.”

L’abaya devient également le vêtement qui cache une “racialisation conspiratoire” mais aussi tant de difficultés politiques, économiques et sociales en France. Avec une polémique sur l’islam et les musulmans, plus besoin d’évoquer les difficultés pour recruter des enseignants (environ 3100 postes d’enseignants qui n’ont pas été pourvus), de la lutte contre le harcèlement scolaire, du décrochage scolaire ou encore de la prise en charge du handicap en milieu scolaire.

Cette nouvelle diversion politique favorise l’arrivée du Rassemblement national aux portes du pouvoir tandis qu’il relègue l’antiracisme à la naïveté voire à la complicité du complot de l’islamisation de la France. La bataille culturelle des idées menée par le Rassemblement National depuis 40 ans a encore de beaux jours devant elle !

TRT Francais