Interdiction de l’abaya : une plainte déposée contre la France devant l’ONU / Photo: AFP (AFP)

L’interdiction du port de l’abaya en France, a pris, dès la rentrée scolaire, une nouvelle tournure avec l’éviction controversée de plusieurs élèves, vêtues de kimonos, chemises longues ou simples vêtements amples.

Selon des informations exclusives obtenues par Anadolu, une plainte a été déposée devant l’ONU, par une jeune lyonnaise de 15 ans, pour des faits de "discrimination" liés notamment à son appartenance religieuse.

La lycéenne, qui a déjà déposé une première plainte contre X et saisi le procureur de Lyon, a cette fois adressé sa saisine à la Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l'intolérance rattachée au Bureau du Haut-commissariat aux droits de l'Homme de l’ONU.

Discrimination de genre et discrimination religieuse

Le document, daté du 18 septembre dernier, est déposé à Genève , par l’avocat parisien de la plaignante, Maître Nabil Boudi, qui fustige l’interdiction de l’abaya, instaurée par le ministre de l’éducation, Gabriel Attal, et qui constitue selon lui "un manquement".

"Nous estimons que le gouvernement français, notamment le ministère de l’éducation nationale, n’a pas pris les mesures nécessaires afin d’éviter toute forme de discrimination faite envers les femmes", écrit le conseil, avant de rappeler l’existence de "textes internationaux interdisant la discrimination" et ratifiés par la France, dont "la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, le Traité de fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) et la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (CESDH)".

Dans sa plainte, Maître Boudi ne manque pas de présenter une chronologie (non-exhaustive) des offensives politiques et/ou législatives menées en France contre "les tenues des femmes" et "en particulier celles de confession musulmane", allant de l’affaire "du foulard de Creil" en 1989, jusqu’à la note de Gabriel Attal interdisant l’abaya en milieu scolaire depuis septembre 2023.

"Nous reprochons aux autorités françaises (…), de mettre en œuvre des normes ayant pour effet de causer des actes de discriminations envers les jeunes filles en France, en particulier celles d’origine étrangère et de confession musulmane", grince l’avocat, dans son texte.

L’arbitraire de l’éducation nationale au cœur de la plainte

Mais au-delà des considérations purement législatives, le pouvoir laissé aux chefs d’établissement pour apprécier et juger seuls, quels vêtements portent une signification religieuse, est largement pointé dans la plainte de la jeune lycéenne lyonnaise.

Maître Nabil Boudi affirme à cet effet que "ce n’est qu’en raison de son appartenance religieuse réelle ou supposée qu’il a été demandé (à sa cliente) de retirer ce vêtement" et que l’objectif de l’interdiction de l’abaya en milieu scolaire "est bien de stigmatiser les jeunes filles musulmanes".

"En l’espèce, on ne peut raisonnablement pas douter qu’il n’aurait jamais été demandé à une élève dont on ne suppose pas qu’elle est de confession musulmane de retirer un vêtement aussi banal. En effet, une personne d’origine étrangère et de confession musulmane portant une robe longue se verra plus facilement refuser l’accès à l’école par rapport à une personne n’ayant pas d’origine étrangère ni de religion et portant le même vêtement", assure la plainte.

Cette position est par ailleurs confortée par le CFCF (conseil français du culte musulman), qui mettait en garde dans un communiqué de presse publié dans le courant du mois d’août, contre cette notion d’arbitraire et de ciblage des jeunes élèves musulmanes.

L’organisation indiquait redouter "qu'en l'absence de vraie définition, l’abaya ne soit définie non pas en fonction de critères objectifs (qui n'existent pas) mais d'une manière purement arbitraire, en fonction du profil des filles et des femmes qui la portent, de leur origine et de leur religiosité supposées, ce qui serait un précédent extrêmement grave, dangereux et discriminatoire".

"À moins d'interdire purement et simplement le port de toute robe longue à l'école et par tous, élèves et professeurs compris, quelle que soit leur appartenance ou non à une religion, il sera impossible d'appliquer une mesure visant spécifiquement l’abaya sans tomber dans les travers de la discrimination et de l'arbitraire", détaillait le CFCM.

Qu’attendre de l’ONU?

Cette plainte est dévoilée par Anadolu alors que mardi, le secrétaire général des Nations Unis (ONU), Antonio Guterres a prononcé un vibrant discours sur l’égalité et la lutte contre les discriminations, à l’occasion de l’Assemblée Générale des Nations Unies à New York.

Pointant les pays dans lesquels "les femmes sont punies parce qu’elles portent trop de vêtements" et ceux dans lesquels elles le sont "parce qu'elles n'en portent pas assez", le dirigeant s’est réjoui du fait que "grâce aux générations de militantes des droits de femmes, les temps changent".

De fait, Maître Boudi, demande à la Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l'intolérance, de conclure que la France doit "prendre des mesures propres à éviter les discriminations envers les femmes" alors qu’elle a "au contraire entendu définir des règles de conduite qui portent atteinte à cet objectif en pratique".

Il est enfin demandé à la Rapporteuse spéciale d’appeler la France à "mettre en œuvre les recommandations du Comité des droits de l’Homme invitant les autorités à prendre toutes les mesures nécessaires à la lutte contre toute discrimination fondée sur le sexe et la religion".

D’un point de vue procédural, celle-ci devrait demander à la France de s’expliquer sur les accusations dont elle fait l’objet et pourrait, si elle le juge nécessaire, lui adresser un rappel à l’ordre quelque peu embarrassant pour le pays des Droits de l’Homme.

AA