"Un refus d'obtempérer toutes les 20 minutes". La formule, martelée à l'envi par les syndicats de police, est aussi reprise régulièrement par le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin.
En 2021, environ 27.700 refus d'obtempérer ont été enregistrés par les policiers et les gendarmes, soit une hausse de près de 50% en dix ans, selon les chiffres officiels.
Dans cet inventaire, "il n'y a pas que des simples refus d'obtempérer", affirme un haut responsable policier, "il y a aussi des tentatives d'homicide ou des violences volontaires sur personne dépositaire de l'autorité publique".
En 2021, 5.247 refus d'obtempérer "avec risque de mort ou de blessures" ont été recensés, selon les derniers chiffres de la Sécurité routière. Une hausse de 88% depuis dix ans, avec une nette accélération depuis 2018 (+64%).
Parallèlement, les tirs policiers sur les véhicules en mouvement ont augmenté, ce que les syndicats de police attribuent à la hausse des refus d'obtempérer.
"Décorrélation complète"
Toutefois, pour Fabien Jobard, directeur de recherches au CNRS et spécialiste des questions de police, il y a une "décorrélation complète" entre les deux phénomènes.
La hausse "continue et régulière depuis 20 ans" des refus d'obtempérer ne peut expliquer l'augmentation "extrêmement brutale" du nombre de tirs policiers sur les véhicules en mouvement, passés de 137 en 2016 à 202 en 2017.
Cette année-là, le 28 février, le Parlement a voté une loi qui modifie les règles d'usage de leur arme de service par les policiers, sous la pression des syndicats après une attaque aux cocktails Molotov contre quatre agents dans la banlieue parisienne quatre mois plus tôt.
Avant, le policier était soumis comme tout citoyen au régime de la légitime défense défini par le code pénal: il ne pouvait riposter que de façon "simultanée et proportionnée" à une attaque "actuelle et réelle" contre lui ou autrui.
Depuis, l'article 435-1 alinéa 4 du code de la sécurité intérieure lui permet de tirer sur les occupants d'un véhicule "susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d'autrui", soit parce qu'il dispose d'informations sur leur dangerosité avant de tirer, soit parce que des personnes se trouvent dans la direction de fuite du véhicule en cause.
Mais les principes d'"absolue nécessité" et de "stricte proportionnalité" de la légitime défense demeurent, brouillant la portée du texte.
La nouvelle loi "a élargi le périmètre de l'usage de l'arme du policier, c'est incontestable", note un haut responsable policier.
"Un moniteur de tir m'avait dit: +c'est un texte de fin de mandat, voté trop vite en réaction à un fait divers, il n'est pas clair et risque de faire des dégâts+", rapporte un policier parisien.
"Césure"
Dans une étude statistique publiée en septembre, les chercheurs Sebastian Roché, Paul le Derff et Simon Varaine ont démontré que les tirs policiers mortels sur les véhicules en mouvement ont été multipliés par cinq après 2017.
Dans le même temps, les autres tirs mortels de la police ont légèrement décru. "Il apparaît que la loi de 2017 a eu pour effet de plus fréquentes atteintes à la vie des citoyens par la police", concluent les chercheurs.
Ils relèvent que cette explosion des chiffres depuis 2017 ne s’est pas produite dans des pays voisins, comme en Allemagne ou en Belgique, selon les données récupérées par le trio de chercheurs.
Cela exclut "l’hypothèse d’une évolution plus générale des modes d’action policiers parfois qualifiée de + militarisation+", soulignent-ils.
Le haut responsable policier avance lui l'hypothèse d'une "césure" en France survenue avec l'assassinat du policier Xavier Jugelé en avril 2017 sur les Champs-Elysées par un islamiste.
Désormais, "les policiers se disent +je préfère être mis en examen que mourir+", résume-t-il.
En 2022, cinq policiers ont été inculpés (mis en examen) dans le cadre des 13 dossiers de tirs mortels sur une voiture en fuite. Les autres ont été libérés sans poursuite à ce stade.